OPINION

PROTECTION DES ENFANTS AUTOCHTONES Un projet de loi à parfaire

Le projet de loi C-92, récemment introduit par le gouvernement fédéral, propose un changement radical en matière de protection de la jeunesse. Il permettra aux communautés autochtones de prendre le contrôle de ces services et de se défaire de la tutelle des provinces.

Rappelons que l’application des lois provinciales telles que la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) du Québec contribue à une surreprésentation des enfants autochtones à toutes les étapes du système.

À l’échelle du pays, la moitié des enfants placés en famille d’accueil sont autochtones. En plus d’être séparé de sa famille, l’enfant autochtone placé dans une famille d’accueil non autochtone est bien souvent coupé de sa culture, de sa langue et de sa communauté.

Dans les faits, les régimes de protection de la jeunesse, parce qu’ils sont fondés sur des conceptions occidentales de la famille, engendrent des effets discriminatoires lorsqu’ils sont appliqués en contexte autochtone. 

C’est ce qui a fait dire à la Commission de vérité et de réconciliation que ces services ne font que poursuivre les processus d’assimilation entamés par les pensionnats indiens.

L’innovation majeure du projet de loi C-92 est qu’on reconnaît enfin que la solution en matière de protection de la jeunesse repose sur le pouvoir des peuples autochtones de légiférer et de dispenser leurs propres services plutôt que sur l’adaptation des lois provinciales.

Entraves

Si le projet de loi constitue un pas dans la bonne direction, on peut craindre que les provinces cherchent à entraver la réforme. En effet, la loi prévoit que les groupes autochtones doivent négocier une entente de coordination avec les gouvernements fédéral et provincial.

Au Québec, il a fallu 17 ans au Conseil de la nation Atikamekw pour signer une entente sur la gouvernance d’un système atikamekw de protection de la jeunesse. Il s’agit d’ailleurs de la seule entente de ce type au Québec. Dans ce processus, la province impose aux organisations autochtones de nombreuses conditions. Par exemple, ces dernières doivent respecter l’ensemble des principes et des modalités précises d’application de la loi provinciale et démontrer leur capacité à gouverner leurs services.

Il faut donc s’assurer que les ententes de coordination prévues par le projet de loi C-92 ne deviennent pas un prétexte permettant aux provinces d’exiger que les organisations autochtones calquent leur loi sur les modèles actuels.

Il faut également s’assurer que les instances provinciales ne s’arrogent pas le rôle d’évaluer la capacité des organisations autochtones de se gouverner et de prendre en charge leurs services, alors qu’il s’agit d’un droit inhérent et non d’un privilège. Cela remettrait en question l’essence même du projet de loi, qui vise à libérer les autochtones de l’emprise des systèmes provinciaux de protection de la jeunesse. Il faut donc modifier le projet de loi actuel pour garantir que cela ne soit pas le cas.

Financement

Au-delà du projet de loi C-92, le succès de cette réforme dépend du financement qui sera accordé aux organisations autochtones. Ce financement ne doit pas être conditionnel à la signature des ententes de coordination. Il doit aussi être la hauteur des besoins. Or, après sept décisions du Tribunal canadien des droits de la personne, les enfants autochtones subissent encore un traitement discriminatoire et les services à l’enfance et à la famille demeurent toujours sous-financés.

Il faut souhaiter que le gouvernement fédéral prenne les engagements financiers nécessaires et que les politiciens fédéraux coopèrent afin d’améliorer ce projet de loi et de le faire adopter avant les prochaines élections.

* Signataires : Lisa Ellington, étudiante au doctorat en travail social à l’Université Laval ; et Nadine Vollant, directrice des services sociaux, Uauitshitun

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.