Chronique Lysiane Gagnon

VOIE CAMILLIEN-HOUDE
Ni une autoroute ni une piste d’entraînement

Du 2 juin à la fin d’octobre, en vertu d’un projet-pilote fort controversé, la voie Camillien-Houde sera fermée au transit automobile. Il ne sera plus possible de traverser le mont Royal pour aller d’est en ouest et vice versa. Cela rend beaucoup de gens furieux, pour ne pas dire enragés.

Des pétitions circulent et les deux séances d’information organisées par l’Office de consultation publique de Montréal ont été passablement houleuses.

D’emblée, je serais sympathique à l’idée de préserver de la circulation et de la pollution le grand parc de la montagne, ce magnifique havre de paix dans une métropole pauvre en espaces verts.

Même à l’époque où j’habitais Côte-des-Neiges, je n’ai jamais vu la voie Camillien-Houde comme une autoroute, et je ne l’utilisais pas pour me rendre à La Presse, bien que cela aurait considérablement raccourci mon trajet. Je ne prenais « la route de la montagne » qu’occasionnellement, pour le simple plaisir de m’offrir un bain de verdure et d’admirer la ville du haut du belvédère sans avoir à faire des kilomètres de marche. C’était, autrement dit, un petit moment festif, pas une habitude.

Mais soyons réaliste. On ne parle pas ici de taillader la montagne pour y percer une autoroute. La voie Camillien-Houde est là, elle existe et crée un lien entre l’est et l’ouest de la ville.

Il faut penser aux Montréalais qui doivent contourner la montagne aux heures de pointe, et qui ont vécu l’enfer durant les années où les deux seules voies de contournement – le chemin de la Côte-des-Neiges et l’axe Penfield-des Pins – étaient toutes deux bloquées par des chantiers.

Or, d’autres perturbations nous sont promises autour du mont Royal : d’autres rues éventrées, d’autres processions de grues et de bétonnières… La rénovation des infrastructures n’est pas terminée et la construction du REM va empirer les choses. À quoi sert-il de préserver de la pollution les trois cimetières du mont Royal, si c’est pour polluer par la congestion automobile les quartiers habités du pourtour de la montagne ?

Personnellement, je favoriserais une solution mitoyenne et flexible. Pourquoi ne pas ouvrir la voie Camillien-Houde durant la semaine et la fermer au transit durant les week-ends et en juillet, alors qu’une bonne partie des Montréalais est en vacances ? Ce serait un compromis acceptable pour tout le monde.

Ce beau « chemin de la montagne » devrait être considéré, en semaine, comme une solution de rechange lorsque les voies de contournement habituelles sont engorgées… et revenir à sa vocation naturelle les jours de congé.

Chose certaine, il faudra en tout temps limiter la vitesse, installer des « ralentisseurs », voire des radars, de même qu’une limite de vitesse à la baisse. Cela modérerait les ardeurs des automobilistes qui s’en servent la pédale au fond.

Mais attention, il y a une contrepartie à la prudence qu’on doit exiger des automobilistes. Si ces derniers doivent être contrôlés, les cyclistes doivent l’être aussi.

Il n’est pas normal que le mont Royal serve de piste d’entraînement aux cyclistes qui s’enivrent à la vitesse. C’est dangereux pour les autres et pour eux-mêmes, comme on l’a vu dans le tragique épisode de la mort de Clément Ouimet, l’événement qui a servi de déclencheur au projet de fermeture partielle de la voie Camillien-Houde.

Si le jeune homme n’avait pas roulé à une vitesse folle, il ne serait pas allé se fracasser contre une voiture… et l’automobiliste l’aurait vu venir avant d’effectuer son virage illégal.

S’il faut sacraliser la montagne pour respecter l’environnement, et s’il faut limiter la circulation de transit pour permettre aux Montréalais de jouir dans le calme de leur plus beau joyau naturel, alors soyons logique : bannissons les excès de vitesse – ceux des cyclistes également – et bannissons le sport extrême, qui n’a pas sa place dans un parc familial.

Il y a plus que la vitesse, toujours dangereuse quel que soit le véhicule. Pourquoi tolérer cette forme de sport extrême que constituent les vélos sans frein – comme celui, justement, qu’enfourchait Clément Ouimet ?

Ce n’est pas le premier drame du genre. En 2012, un autre cycliste de 18 ans, Tyrell Sterling, a été mortellement heurté par un poids lourd qui a viré à droite sans le voir venir après que le jeune Sterling eut tenté de le dépasser par la droite sans faire son arrêt. Le coroner qui a enquêté sur cet accident a conclu que cette mort aurait été évitée si le jeune homme avait eu un vélo avec frein.

Les capitales mondiales du cyclisme que sont les Pays-Bas et le Danemark interdisent les vélos sans frein. En France, où la pratique du vélo est un culte magnifié par l’emblématique Tour de France, la loi exige que les vélos soient dotés de deux dispositifs de freinage efficaces. Montréal a un règlement, mais il n’est pas appliqué.

Ces engins sans frein lâchés sur les piétons constituent un danger public, d’autant plus que les cyclistes vont maintenant sur les trottoirs même s’il y a une piste cyclable à côté et qu’ils circulent à contresens avec la bénédiction des autorités municipales. Pourquoi attendre qu’un piéton en soit victime avant de les interdire ?

Au début de novembre, l’Office de consultation rendra publiques les données recueillies durant le projet-pilote et rendra son rapport à la fin de février 2019. Souhaitons qu’il en ressorte une solution de compromis.

Ce beau chemin vert ne doit être ni une autoroute pour les autos ni une piste d’entraînement pour les vélos.

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