OPINION SOCIÉTÉ

Peur de quoi ?

Côtoyer des gens de culture arabe est, pour moi, édifiant et enrichissant

Depuis quelque temps, je vois de plus en plus de photos et de commentaires islamophobes défiler sur mon fil d’actualité Facebook. Et ça me dérange. Ça me dérange, parce que ces commentaires viennent de gens qui sont très près de moi.

Je peux comprendre l’hésitation de certaines personnes devant la soi-disant « ouverture culturelle » dont nous devons tous faire preuve, hésitation qui peut être le résultat de la peur de l’inconnu. Mais lorsque ces photos et ces commentaires envahissent l’écran de mon téléphone intelligent, je ne peux que soupirer et me demander de quoi ces personnes ont-elles vraiment peur ?

J’enseigne au secondaire depuis une vingtaine d’années. J’ai vu des milliers de jeunes de 13 à 17 ans assis sur mes bancs d’école : des Québécois, des Haïtiens, des Vietnamiens, des Cambodgiens, mais aussi plusieurs Marocains, Libanais et Algériens. Donc, plusieurs jeunes venant de pays du monde arabe. Or, si ces jeunes voyaient ces images sur mon fil d’actualité, ils se demanderaient peut-être pourquoi « Monsieur Éric » accepte de les voir.

À ces jeunes arabes qui m’interrogeraient sur ces images, je ne saurais trop quoi leur répondre. En fait, j’imagine que j’expliquerais que j’ai beaucoup de « contacts » de différents milieux et, comme on dit, il faut « toutes sortes de monde pour faire un monde ».

Le jeune Algérien-Marocain-Libanais me regarderait alors avec un air interrogateur : « Ce message vient de quelqu’un que vous connaissez ? »

— Oui, mais je ne partage pas toutes les valeurs de mes contacts… Je ne pourrais certainement pas lui mentir. Néanmoins, je me sentirais mal à l’aise. Triste même.

DÉSOLANT

Les propos sur mon fil d’actualité qui ciblent les musulmans me désolent. Et je ne parle pas ici du port du niqab et de la burqa, ou de radicalisation. Dans ma réalité, ces débats sont d’un autre ordre. Je parle ici des dizaines d’ados musulmans modérés que j’ai rencontrés durant ma carrière et qui doivent naviguer à travers leur éducation au secondaire et leur vie familiale sous ce gros nuage noir qu’est la xénophobie omniprésente au Québec.

Parce que, soyons francs, le peuple québécois est xénophobe. Et pas seulement avec les Arabes.

Il faut seulement tendre l’oreille pour entendre des commentaires méprisants envers les Noirs, les Mexicains, ou tout autre peuple qui n’a pas la peau couleur farine enrichie.

Or, de jeunes Arabes musulmans, j’en ai rencontré ! Des tannants, des énervés, des bavards, des petits, des grands, des sportifs, des paresseux. Mais tous polis. Tous des jeunes qui veulent simplement jouer au soccer ou jaser avec leurs amis durant l’heure du dîner et qui font des efforts à l’école parce qu’ils souhaitent rendre leurs parents fiers.

Et des hijabs ? J’en ai vu de toutes les couleurs : des roses, des blancs, des bleus, etc. Une de mes élèves portait un hijab de couleur différente tous les jours. Et la couleur de son hijab dictait le choix de son look et de ses accessoires. Souvent, je l’ai complimentée et elle me remerciait. Ni ses amies ni mes collègues ne se sauvaient à la vue de son couvre-chef.

Aussi, quand je fais un « dîner pizza » en classe, j’en ai toujours une sans pepperoni pour mes élèves musulmans. Là, je sens la réaction de certains d’entre vous : « Pourquoi sans pepperoni ? Elle a juste à retourner dans son pays ! » Le menu du restaurant offre 24 pizzas différentes, alors pourquoi n’en commander qu’au pepperoni ?

Mes jeunes élèves végétariens ont droit à leur pizza au chou-fleur, mais les musulmans n’auraient pas droit à leur pizza au fromage ?

Si j’adoptais la ligne dure, ça irait contre mes principes et, de toute évidence, je ne pourrais faire le métier que je fais et que j’adore. Mais surtout, je ne côtoierais pas les ados parmi les plus polis et attachants que je connaisse. Ils ne viendraient jamais me parler de leur ville d’origine, que ce soit Casablanca, Alger ou Beyrouth.

Par ailleurs, les parents marocains, algériens ou libanais, contrairement aux Québécois, considèrent l’école comme un privilège et non comme un droit acquis. Le privilège d’avoir une éducation de qualité au Québec dans un cadre sécuritaire possède une valeur inestimable aux yeux des parents arabes.

De plus, les parents arabes sont fiers, humbles et respectueux. Le père arabe baisse légèrement la tête en vous disant « merci » lorsqu’on lui dit que son jeune est un bon élève. Ensuite, il vous regarde droit dans les yeux et vous dit : « N’hésitez pas à m’appeler s’il y a quoi que ce soit avec mon enfant ».

Parmi mes contacts, plusieurs n’ont jamais eu à côtoyer des gens de culture arabe. Moi, j’ai le privilège de le faire tous les jours. Ces fréquentations sont, pour moi, constamment édifiantes et enrichissantes.

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