À votre tour

La pointe de l’iceberg

On tombe dans la pauvreté, on s’y ramasse en grimaces.

J’ai 60 ans, je suis handicapé et j’ai été forcé à la retraite. Je reçois chaque fin de mois un beau chèque de la Régie des rentes du Québec. Ma vie dépend de 1000 $ pour un mois complet.

C’est carrément insuffisant au début. Mais, si c’est tout ce que j’ai, je me suis dit aussi bien agir et commencer à lester ces sangsues corporatives qui nous rendent la vie misérable. La recette est simple : mettez tout simplement le frein, ralentissez toute cette démence et notre environnement en bénéficiera.

J’ai vendu ma voiture. Plus besoin d’immatriculation, d’assurances, de permis de conduire, etc. Il faut dire que pour avoir une auto à Montréal, il faut être un peu cinglé. Il n’y a jamais de place pour la garer et les rues sont défoncées. C’est une relation amour et haine. Bref, je n’ai pas ces problèmes avec mon vélo.

Ah oui ! Il y a les autres assurances, aussi. Je n’ai pas d’assurance vie ni d’assurance habitation, donc aucune protection. Je n’ai pas de téléphone intelligent, pas de câble, pas de cartes de partis politiques – qui ne sont là que lorsqu’ils ont besoin de notre argent. Je ne paie pas ma dîme ni mes impôts. J’ai déménagé dans un quartier populaire et j’ai diminué ma consommation d’énergie. J’achète local et à pied.

Malgré toutes ces mesures, je suis encore très fragile et, comme vous l’avez constaté, il m’est totalement impossible de participer à l’économie. Je ne peux tout simplement pas dépenser.

Je n’assiste à aucun match au Centre Bell, à aucun spectacle à la Place des Arts et je ne vois pas de spectacles d’humour, car même ces foutus comiques sont hors de prix. Je ne fais pas de voyage, je ne prends pas de vacances. Je n’ai même pas de titre mensuel pour le transport en commun, parce que ça amputerait 10 % de mon budget.

Toute ma fortune sert à m’offrir un loyer décent, un accès à l’internet et à équilibrer mon alimentation.

Je ne sortirai jamais gagnant de cette situation. J’ai reçu en janvier une belle augmentation de 0,9 % et, trois mois plus tard, Hydro-Québec m’en a repris 4,3 %.

Je représente la pointe de l’iceberg. Bientôt, il y en aura des milliers comme moi, pauvres, vieux et itinérants. Vous ne pourrez pas nous ignorer et nier notre existence encore bien longtemps. La colère gronde, la foi est brisée et la confiance est à son plus bas. Vous, les élus et les élites, n’attirez plus que le mépris et le cynisme. Je ne vote pas non plus.

Dans cette société à deux vitesses, je me sens comme un frein, un poids qui, de tout son être, veut ralentir cette décadence de l’humain.

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