ROMANS LAURENT MAUVIGNIER ET ALICE MICHAUD-LAPOINTE
Humanité en mouvement
La Presse
Laurent Mauvignier
Les éditions de minuit, 380 pages
3 étoiles et demie
Mars 2011 : le monde entier a les yeux tournés vers le Japon après le tsunami qui a dévasté sa côte. Les 14 histoires d’
de Laurent Mauvignier, finaliste au prix Médicis, se déroulent pendant ces semaines terribles. C’est le mince fil qui les relie toutes, mais pas le seul, puisque chaque personnage de ce dense et terriblement beau roman choral est en voyage quelque part dans le monde.Le roman s’ouvre avec la rencontre entre un touriste mexicain et une jeune Japonaise tatouée, à Tokyo, quelques jours avant le tsunami. Il se termine 370 pages plus tard avec la petite Fumi, en voyage à Paris avec sa famille, qui ne comprend pas pourquoi elle ne peut pas parler à sa grand-mère au téléphone : ses parents ne veulent pas lui dire que son village a probablement été rasé par la vague géante.
Entre les deux, on suit les pensées et tribulations de deux Chiliennes à Jérusalem, de trois couples australiens en safari en Afrique, d’une bande de copains turcs venus faire de la plongée aux Bahamas, d’un couple de Québécois qui s’en va en voyage de noces aux chutes Niagara, d’un Allemand en croisière sur la mer du Nord, d’un Philippin qui travaille dans un grand hôtel à Dubaï…
Sur cette planète devenue si petite, le dépaysement est accessible à tous et aucun déplacement n’est impossible. Mais n’est-on pas toujours chez soi, au fond ? Car chacun des personnages de Mauvignier transporte avec lui son histoire, ses peurs, ses souvenirs, ses dilemmes…
Voilà ce qu’on retient de cet étourdissant tour du monde, ballet forcément inégal mais absolument pertinent : on n’échappe jamais à ce qu’on est, où que l’on soit, et la proximité avec l’autre reste un mirage. Car ce tour du monde virtuose, passionnant et parfois bouleversant, est peuplé d’êtres uniques qui avancent dans la vie le cœur battant, portant en eux leurs espoirs et leurs désillusions, toujours et nécessairement seuls.
Alice Michaud-Lapointe
Héliotrope, 212 pages
3 étoiles
Il n’y a pas de hasard : au début de
, la jeune auteure Alice Michaud-Lapointe a placé en exergue une citation tirée d’un précédent roman de Mauvignier, Il y a clairement une parenté entre les deux auteurs que sépare au moins une génération – il est né en 1967, elle en 1990.Tout comme son aîné, Alice Michaud-Lapointe aime attraper des bouts de vie, des moments où les gens se révèlent. Mais alors que Mauvignier place ses personnages dans des situations de déséquilibre, à des centaines de kilomètres de chez eux, c’est dans leur quotidien montréalais qu’elle a installé les héros de son livre.
Plus près du recueil de nouvelles que du roman,
nous présente toutes sortes de gens en transit, sur les lignes orange, bleue, verte ou jaune. Des copines ont rendez-vous au métro Jolicoeur pour assister à des funérailles en Outaouais, un jeune couple s’engueule au métro Beaudry après une soirée catastrophique au cabaret Chez Mado, des filles du privé et du public en viennent aux poings au métro Villa-Maria, sur le quai de Place-des-Arts, plusieurs usagers se remettent difficilement d’une nuit d’insomnie… On suit une femme de ménage philippine, un sans-abri, une fille à papa dans leurs angoisses. La quête d’amour de l’un. La peine d’amour de l’autre.Passant selon les situations du langage parlé à une langue plus soutenue, du je au il puis au dialogue intégral, Alice Michaud-Lapointe dresse plein de petits portraits précis, drôles, bizarres ou émouvants de ces gens qu’on croise tous les jours sans se poser davantage de questions. Le résultat est un livre cohérent aux images qui font mouche, composé de 21 courtes histoires où on sent un intérêt sincère pour l’humain, crédible dans le ton et dans ses choix.
Alice Michaud-Lapointe propose des instants volés au quotidien. Ils ne permettent pas autant de profondeur que chez Mauvignier, c’est certain. Mais ses histoires témoignent de la même empathie, de la même ouverture au monde et donnent à voir l’éclosion d’un beau talent d’écrivaine qu’on aura envie de suivre.