Médecines douces

La naturopathe « la plus détestée du monde »

Pendant trois ans, Britt Marie Hermes a travaillé comme « docteure en naturopathie » à Seattle puis à Tucson, en Arizona. Troublée par les pratiques de cette profession, elle en dénonce aujourd’hui le « charlatanisme » et la « dangerosité » sur son blogue. Mme Hermes termine son doctorat en biologie de l’évolution à l’Université de Kiel, en Allemagne. La Presse lui a parlé.

Comment en êtes-vous venue à vous intéresser aux médecines douces ?

Quand j’avais 16 ans, j’ai reçu un diagnostic de psoriasis, un problème de peau qui me suivrait à vie. Le médecin qui m’a vue n’avait aucune compassion et m’a prescrit une crème aux stéroïdes. Aujourd’hui, je réalise que j’aurais aimé que ce médecin ait plus d’empathie, et qu’il me donne des outils pour comprendre ma maladie. Après ce diagnostic, je suis allée à la bibliothèque et j’ai emprunté tous les livres qui parlaient de naturopathie et de médecines douces. Avec mon père, nous avons parcouru les magasins d’aliments naturels et dépensé une fortune en suppléments, en vitamines, en crèmes. J’étais heureuse parce que j’avais l’impression d’être en contrôle, même si aujourd’hui, je réalise que ce n’était qu’une illusion.

Quels ont été les résultats ?

Ma peau a fini par s’améliorer, mais c’est presque certainement dû aux médicaments sur ordonnance très puissants que je prenais. Or, quand j’évoquais cette période, j’avais tendance à me souvenir uniquement des traitements « naturels » qui prenaient du temps, des efforts et qui coûtaient cher. Mon cerveau évacuait le rôle des médicaments.

Après cette expérience, j’ai essayé un régime végétarien, un régime végétalien, un régime anti-inflammatoire, un régime élaboré en fonction du groupe sanguin, un régime sans glucides… Si vous pouvez le nommer, je l’ai essayé. J’avais la conviction que vous pouviez guérir n’importe quel problème de santé en changeant votre régime alimentaire et en ayant la bonne attitude. Je me suis inscrite à l’Université Bastyr, une école de naturopathie à Seattle.

Vous êtes devenue naturopathe et avez pratiqué pendant trois ans, à Seattle et à Tucson. Que retenez-vous de cette période ?

C’est très difficile de faire de l’argent en tant que naturopathe. Donc une des choses qui sont enseignées aux étudiants en naturopathie au Canada et aux États-Unis est comment faire augmenter les ventes, comment avoir une pratique plus productive. L’arnaque de la « désintox » est parfaite pour cela. C’est un mot qui n’a aucun sens, à l’exception d’une désintoxication pour un problème de drogue ou d’alcool. Comme naturopathe, vous promettez « d’améliorer la santé, le bien-être », des prétentions vagues. Vous mettez plusieurs suppléments alimentaires ensemble, avec des services qui sonnent bien, comme un massage de drainage lymphatique, ou l’administration de vitamines et de minéraux par voie intraveineuse. Vous donnez à cela un nom accrocheur, comme « la désintox parfaite » et voilà, vous avez une belle petite combine qui vous assurera de bons revenus.

L’idée de faire de l’argent est toujours présente, mais vous le justifiez en vous disant que ce que vous faites est soit positif, soit neutre, mais certainement pas dangereux. Aujourd’hui, je sais que ça peut être dangereux. Beaucoup de ces produits ne sont pas reconnus par Santé Canada ou la FDA aux États-Unis. On ne sait pas ce qu’ils contiennent. On pense qu’un supplément « naturel » est sûr. Mais des produits chimiques peuvent s’y trouver, et ça peut causer des problèmes et interagir avec des médicaments et provoquer des réactions graves, voire la mort.

Vous avez décidé de quitter le mouvement lorsqu’un naturopathe avec lequel vous travailliez s’est mis à traiter des patients cancéreux avec des herbes importées illégalement. Vous avez lancé Naturopathic Diaries, un blogue qui dénonce la pseudoscience. Comment voyez-vous votre parcours aujourd’hui ?

Comme naturopathe, j’ai l’impression d’avoir été bernée. J’ai dépensé des centaines de milliers de dollars pour acquérir une formation qui ne me permet pas d’avoir un emploi dans une clinique reconnue, dans une université, ou dans le monde de la recherche. Il y a un manque d’éthique dans ce domaine, et je sentais qu’il était de mon devoir d’informer les patients. Je suis probablement devenue la naturopathe la plus détestée du monde : des sites web ont été créés pour me diffamer, et quelqu’un a même lancé une pétition sur Change.org pour que j’arrête de bloguer. Mon expérience a été citée pour bloquer des projets de loi qui auraient donné plus de légitimité à la naturopathie dans plusieurs États et provinces. Des naturopathes m’envoient des photos d’eux avec leur mari ou femme et leurs enfants en me demandant d’arrêter de bloguer, car ils disent que ça nuit financièrement à leur pratique. Cela dit, je reçois aussi des tas de courriels de naturopathes qui me remercient, qui sont en colère et affirment qu’ils se sont fait avoir par le mouvement. Ils aimeraient changer de carrière, mais ils ont souvent des dettes d’études et se sentent pris à la gorge. Ils disent espérer que mon blogue puisse aider de futurs étudiants à éviter de faire les mêmes erreurs qu’eux.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.