Opinion Jocelyn Coulon

Le faux retour des Casques bleus canadiens

Le gouvernement libéral de Justin Trudeau a décidé de marcher dans les pas du gouvernement conservateur et de limiter sa participation aux opérations de paix de l’ONU.

Le plan annoncé hier à Vancouver est une grande déception pour tous ceux qui attendaient le retour concret du Canada sur la scène internationale.

Justin Trudeau a fait une promesse aux Canadiens et au monde pendant la campagne électorale de 2015 : sous son gouvernement, le Canada se réengagera dans les opérations de paix de l’ONU longtemps négligées par les conservateurs. Dès son arrivée au pouvoir, il a redit sa détermination à réaliser sa promesse lors de sa première rencontre avec le secrétaire général de l’ONU en mars 2016.

Quelques mois plus tard, en août, son gouvernement a dévoilé un ambitieux plan visant à déployer jusqu’à 600 militaires et 150 policiers dans des opérations de l’ONU et à fournir du matériel spécialisé.

Hier, malgré la grande opération de relations publiques où Angelina Jolie et le général Roméo Dallaire ont servi de décor pour masquer une politique sans ambition, force a été de constater que le premier ministre a renié sa promesse.

Il a annoncé ce que tous les spécialistes et connaisseurs du maintien de la paix craignaient, un saupoudrage : ici, un avion, là, un programme de formation, quelque part, un projet-pilote pour augmenter le nombre de femmes dans les missions.

Mali

Et il a réussi à ne pas dire où la contribution en personnel et en matériel allait être déployée sous prétexte de la complexité des négociations avec l’ONU. Or, en 2013, Stephen Harper a mis en quelques heures un avion de transport militaire à la disposition de la France pour l’aider au Mali.

L’annonce d’hier est loin de refléter la philosophie générale de la politique rendue publique l’an dernier. Celle-ci orientait le Canada vers une participation substantielle et ciblée dans une ou deux opérations de paix afin d’obtenir les meilleurs résultats. À ce titre, un engagement au Mali se révélait une option réaliste.

Le Mali est en effet au cœur d’une zone, le Sahel, où de multiples crises et enjeux – fragilité étatique, prolifération de groupes terroristes islamistes, trafic de drogues, d’armes et d’êtres humains, compétition autour des richesses naturelles, flux migratoires –, menacent la sécurité de l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest, tout comme celle de l’Europe et, par ricochet, celle de l’Amérique du Nord.

De plus, depuis 2012, le pays vit une transition politique délicate à la suite d’un coup d’État, d’une rébellion dans le nord du pays et d’attaques répétées de groupes terroristes islamistes. La situation qui prévaut au Mali a entraîné le déploiement de deux opérations militaires destinées à stabiliser le pays, mais aussi la région : l’opération Barkhane dirigée par la France et dont le mandat se concentre sur la lutte contre le terrorisme dans le Sahel ; la mission de l’ONU, la MINUSMA, dont les tâches prioritaires sont de protéger les civils, et d’accompagner le processus de paix et de réconciliation entre Maliens.

Il y a quelques mois, dans un rapport sur la situation au Mali remis au Conseil de sécurité, le secrétaire général de l’ONU a lancé un appel aux États membres pour qu’ils contribuent à la mission. En particulier, il a demandé du matériel spécialisé pour pallier certaines insuffisances de la MINUSMA : véhicules blindés de transport de troupes ; unités d’hélicoptères ; compagnie de renseignement, de surveillance et de reconnaissance ; compagnie de neutralisation des explosifs et munitions.

Le Canada possède ce matériel et pourrait le mettre immédiatement à la disposition de la mission. Il vient de refuser. Certains prétendent que la participation à la mission au Mali est dangereuse et ne répond pas à la défense des intérêts nationaux. C’est doublement faux.

Oui, il y a des risques au Mali comme dans toute mission militaire. Ce sont des risques acceptables. Plusieurs pays européens, comme la France, l’Allemagne, la Suède et les Pays-Bas, les prennent sans rechigner.

Quant à l’intérêt national, il est bien servi lorsqu’il consiste à éviter que l’instabilité dans une région n’affecte la sécurité d’autres régions. Lorsque, par une mauvaise décision, la voix du Canada dans les débats sur les questions de paix et de sécurité s’estompe, c’est son influence qui en souffre.

* Jocelyn Coulon est chercheur au CERIUM de l’Université de Montréal et a été conseiller politique principal du ministre canadien des Affaires étrangères en 2016-2017.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.