Grande entrevue

SI MAÏTÉE LABRECQUE-SAGANASH ÉTAIT…

UNE VILLE

Le village cri de Whapmagoosstui, l’un des rares à avoir gardé sa langue et ses traditions.

UNE COULEUR

Le bleu parce que c’est la couleur de l’eau, symbole de vie, et que son nom en cri désigne le courant de l’eau.

UN PERSONNAGE HISTORIQUE

Louis Riel, un Métis comme elle, exécuté par pendaison il y a 150 ans par le régime de Sir John Macdonald, dont elle déplore la célébration l’année prochaine.

UN REMÈDE

Le thé du Labrador. « C’est notre Tylenol à nous, dit-elle. Il n’y a pas une grippe ou un mal de tête que ce thé enchanté ne peut guérir. »

UN FILM

Cinéma Paradiso, qui la fait pleurer à tout coup à cause de Philippe Noiret et de son affection pour le petit Toto.

UNE IDÉE POLITIQUE

La quête identitaire. Maïtée ne comprend pas ceux qui se disent citoyens du monde. Dans son esprit, elle est Crie avant tout.

UN ART

La poésie. Celle qu’elle lit (Patrice Desbiens, Octavio Paz, Rodney Saint-Éloi) et celle qu’elle écrit.

UN SPORT

Le rugby, qu’elle a pratiqué du temps qu’elle étudiait au collège Bishop.

UN ÉDIFICE

Un meteshan, hutte à sudation, scène d’un rituel spirituel où l’occupant retourne symboliquement dans le ventre de sa mère.

UN ARBRE

L’épinette qui se tient haute et droite dans la forêt et qui, après la sécheresse ou l’incendie, revit et repousse.

UNE CHANSON

Nataq, de Richard Desjardins.

MAÏTÉE LABRECQUE-SAGANASH

Femme de paroles

Le lundi soir est un soir sacré pour Maïtée Labrecque-Saganash. C’est le soir où la militante, membre du mouvement citoyen Faut qu’on se parle et cadette des enfants du député Romeo Saganash, fait trois heures de perlage traditionnel. Pas chez elle. Sous les néons de Montréal Autochtone, centre d’amitié autochtone.

Le mardi soir est un soir sacré aussi, réservé à ses cours de cri. Le reste de la semaine, l’étudiante en science politique à l’UQAM est prête à jaser de démocratie, de santé, de pauvreté, d’éducation ou d’indépendance à quiconque l’invite dans son salon ou sa cuisine. « Après tout, me dit-elle dans un vieux joual de chaise berçante en babiche, la parole, c’est ben rien tout ce qui nous reste. »

Une heure plus tôt, nous nous sommes rejointes rue Ontario devant un café tellement branché qu’il n’y avait pas une place, mais où il régnait un silence de mort informatique, rendant impossible toute conversation un tant soit peu intime. Par chance, un café pas branché mais nettement plus pratique nous attendait de l’autre côté de la rue.

Nous y avons pris place devant deux latte. Maïtée portait aux oreilles d’immenses boucles perlées se mêlant à ses longs cheveux aussi noirs que ses grands yeux. Malgré ses 21 ans et sa réserve de jeune fille, Maïtée dégage un mélange d’aplomb, de candeur et de sérénité patiente proche de la sagesse. Elle sourit souvent, un sourire qui se pare d’affection dès qu’il est question des Premières Nations, son peuple, comme elle le dit si bien.

En même temps, si Maïtée est Crie par son père, elle est Québécoise par sa mère Élaine Labrecque, une souverainiste (avec un peu de sang atikamekw paternel) qui a transmis à sa fille le goût de l’indépendance, mais aussi un amour de l’histoire du Québec, de sa culture et de son territoire, amour qui, par moments, déchire la moitié autochtone de Maïtée.

« Je me casse souvent la tête pour faire exister à la fois la souveraineté du Québec et celle des Premières Nations. Ça donne, au final, le Québec des douze, avec dix nations autochtones, les Inuits et les Québécois. »

— Maïtée Labrecque-Saganash

Aux dernières élections fédérales, Maïtée n’a pas voté pour Justin Trudeau. « Non, jamais de la vie ! s’écrie- t-elle. Je ne suis plus capable de supporter sa réconciliation-spectacle ni ses égoportraits à longueur de jour. En plus, les fonds qu’il promet d’injecter dans les communautés autochtones sont ridicules. Ça revient à une maison par communauté. Je ne vois pas comment il peut être pour la réconciliation et être pro-pipeline. C’est un non-sens. Tout ça, c’est des beaux discours et des paroles en l’air. »

Maïtée n’a pas voté pour Justin Trudeau, mais elle n’a pas voté pour le NPD de son père non plus. Elle a voté pour le Bloc québécois. Je lui demande comment son père a réagi. « Mon père et moi, on se respecte beaucoup et on s’appuie mutuellement, peu importe le camp qu’on choisit. C’est notre façon à nous d’œuvrer pour la décolonisation », blague-t-elle.

Née en 1995, l’année du second référendum, Maïtée a grandi avec sa sœur Stéphanie et son frère Félix à Québec dans une maison, et non pas dans un tipi perdu dans la forêt boréale. Tous les étés, cependant, la famille retournait dans le bois à la Baie-James où sa mère tenait une pourvoirie.

Maïtée adorait ce retour aux sources au pays de la mouche noire et de l’antimoustique Watkins. Reste qu’une fois l’été fini, elle retournait à sa vie de Blanche privilégiée, à mille lieues de l’indigence et de la pauvreté des réserves. Je lui demande si c’était difficile à gérer intérieurement. « Oui, répond-elle sans louvoyer. J’ai eu du mal à trouver mon identité. Je me sentais coupable et outsider quand je revenais dans ma communauté. »

Dans un autre média, Maïtée a raconté avoir été victime d’intimidation et de moqueries à la ville à cause de son teint foncé et de ses cheveux trop noirs. Mais avec moi, elle passe ce moment de sa vie sous silence, préférant raconter comment elle s’est réconciliée avec elle-même.

« C’est ma culture qui m’a aidée à me trouver. C’est comme une grande porte qui s’est ouverte pour moi quand j’ai renoué avec la culture autochtone. »

— Maïtée Labrecque-Saganash

Autant Maïtée vénère la culture des Premières Nations, autant certaines formes d’appropriation culturelle la blessent : « Une coiffe autochtone, pour moi, c’est un objet sacré. Je n’oserais jamais en porter une parce que j’estime que je ne l’ai pas mérité. Et c’est évident que je n’aime pas ça, voir les mannequins de Victoria’s Secret défiler en petite culotte avec des coiffes. C’est encore une fois une sexualisation de la femme autochtone à laquelle je m’oppose. »

Maïtée a voté pour le Parti québécois aux dernières élections provinciales. Elle a déjà eu une carte de membre du parti, mais elle ne l’a pas renouvelée. Elle n’a pas vraiment participé aux manifs du printemps érable, puisqu’elle était en cinquième secondaire, mais dans son cœur, elle appuyait les revendications des carrés rouges. Arrivée au cégep, elle s’est mise à militer, et c’est en militant qu’elle a rencontré Gabriel Nadeau-Dubois.

Il y a environ un an, ce dernier lui a proposé de se joindre à un mouvement citoyen qui en était à ses balbutiements. Le timing n’aurait pu être meilleur. Maïtée sortait d’une profonde dépression qui avait nécessité une hospitalisation. Encore fragile, elle luttait contre un sentiment de cynisme et d’indifférence qu’elle sentait monter en elle. L’invitation de Nadeau-Dubois est arrivée à point nommé.

« J’ai embarqué assez rapidement et avec enthousiasme, raconte Maïtée. Et ça m’a fait le plus grand bien. J’ai adoré cette période de cogitation où tous ensemble nous avons travaillé à monter un projet inclusif et très techno avec iPad et plateforme web. On ne voulait pas que ça soit tout croche, mais bien fait. Je suis très fière d’avoir participé à la naissance de ce projet. »

Maïtée est encore indépendantiste, mais elle refuse d’envisager la tournée Faut qu’on se parle comme un stratagème pour évangéliser les non-convertis.

« Moi, je ne vais pas à la rencontre des gens pour les convaincre de quoi que ce soit. S’ils veulent parler d’indépendance, c’est leur choix et ça me fera plaisir. Autrement, il y a neuf autres thèmes tout aussi intéressants. Et puis on est là pour écouter les gens. Et ceux-ci diront bien ce qu’ils voudront. »

Quant à l’idée répandue voulant que cette vaste consultation citoyenne mène à la création d’un parti politique, Maïtée n’y souscrit pas. « D’abord, la politique partisane ne m’intéresse pas. En tous les cas, pas en ce moment où ma priorité, ce sont mes études. Je vais commencer par avoir un diplôme. Après, on verra bien. »

Au moment de notre rencontre, Maïtée avait participé à une première assemblée de cuisine dans Hochelaga chez un microbrasseur et se préparait pour une deuxième à Saint-Jude.

« Dans le fond, ces assemblées de cuisine, ça nous ramène au perron d’église où les gens se jasaient après la messe. Y en a qui croient qu’on n’a pas besoin de se parler. Moi, je crois au contraire que les gens ne se parlent pas assez. Ils s’insultent, mais ils ne se parlent pas vraiment. On dira ce qu’on voudra, mais jaser, c’est pas anodin. La parole, c’est ben rien tout ce qui nous reste. »

Arrivée depuis peu à Montréal, Maïtée a semé dans son nouvel appartement, ici et là, des objets sacrés, des foins d’odeur et des tiges de sauge qu’elle fait brûler, histoire de ne pas se couper de ses racines autochtones. Mais lorsque le téléphone sonne et la rappelle à la réalité de la ville, de la politique et des débats d’idées, elle n’hésite pas à quitter son île pour partir à la rencontre des autres et de leur parole.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.