RÉPLIQUE

Laissez les sorcières, McCarthy et la liberté d’expression en paix !

En réponse au texte de Nadia El-Mabrouk, « Fée ou sorcière ? », publié le 13 février dernier.

A-t-on vraiment censuré Nadia El-Mabrouk ? A-t-on réellement violé son droit à la liberté d’expression ?

Selon la protagoniste, oui. Elle prétend, dans une lettre parue le 13 février dernier, que l’Alliance des professeures et professeurs de Montréal est coupable d’une « censure digne de la chasse aux sorcières de l’époque du maccarthysme ». Or, cet argumentaire relève d’un mauvais usage du droit à la liberté d’expression.

Tout a commencé quand l’Alliance a désinvité de son colloque la professeure Nadia El-Mabrouk. Depuis, cette dernière ne cesse de clamer que « la censure est la norme » au Québec. Plusieurs chroniqueurs et chroniqueuses ont renchéri sur le même ton.

Ironiquement, plus l’on dédie d’encre et d’antennes à ce propos, plus l’argument s’effondre : comment prétendre que la censure est la norme lorsque tous les grands médias vous tendent le micro ?

Outre son manque de crédibilité, l’argument de la « censure » détourne le débat de sa réelle substance. Il nous empêche d’aborder l’enjeu central : les organismes de gauche sont-ils trop fermés à la critique ?

La question est importante. La gauche doit évidemment demeurer ouverte aux débats d’idées et éviter le repli sur soi. Cela vaut d’ailleurs tout autant pour les groupes de droite, dont on parle trop peu. Peut-être est-ce parce qu’ils n’invitent que rarement des personnes de gauche à leurs événements, esquivant ainsi les scandales de « désinvitation » ? Quand a-t-on entendu dire que l’Institut économique de Montréal avait désinvité l’humoriste marxiste Fred Dubé ? Or, ces discussions sur l’importance d’un débat sain resteront dans l’ombre tant que durera notre obsession de la « censure » et de la « liberté d’expression ».

Aucune garantie

La liberté d’expression n’a rien à faire dans ce débat. D’abord, ce droit ne nous garantit pas de nouvelles tribunes privilégiées ; il protège celles que nous possédons déjà. J’ai le droit de manifester ; ainsi, mon gouvernement ne peut pas disperser une manifestation pacifique à coups de matraque. J’ai le droit de m’exprimer sur Facebook ; ainsi, mon employeur agacé par mes propos ne peut pas pour autant me mettre à la porte. Voilà la portée de mon droit à la liberté d’expression.

Brandir la liberté d’expression pour s’accorder une tribune privilégiée relève du non-sens.

Si La Presse avait refusé de publier cette lettre d’opinion, aurais-je pu crier à la censure ? Bien sûr que non, puisque La Presse a le droit de choisir ce qu’elle publie. Il en va de même pour l’Alliance, qui a le droit de choisir à qui elle offre une tribune en fonction de ses propres valeurs – comme tout organisme d’ailleurs. En effet, elle n’a aucune obligation juridique d’inviter les partisans et partisanes de chaque courant de pensée qui existe en éducation.

En d’autres mots, la professeure El-Mabrouk ne possède pas de droit à s’exprimer au colloque de l’Alliance. Sa liberté d’expression n’a donc pas été enfreinte. Qui plus est, forcer l’Alliance à réinviter la professeure El-Mabrouk enfreindrait la liberté de l’organisme !

La liberté d’expression vise avant tout à éviter que seule l’opinion dominante soit entendue. La professeure El-Mabrouk, selon ses propres prétentions, exprime l’opinion « soutenue, sondage après sondage, par une majorité de Québécois ». Nous sommes loin de toutes ces personnes incarcérées, torturées ou même assassinées pour s’être exprimées contre des gouvernements dictatoriaux.

Sur notre planète, trop de personnes souffrent au nom de la liberté d’expression pour que nous employions cet argument à la légère. Parlons de débats sains, parlons d’idées mais, de grâce, laissons les sorcières, McCarthy et la liberté d’expression en paix !

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