OPINION

NUTRITION Adapter le Guide alimentaire aux besoins des aînés

Nous saluons la parution du nouveau Guide alimentaire canadien pour son virage résolument moderne et son approche davantage axée sur la qualité et les comportements alimentaires sains.

Nous sommes cependant préoccupées par certaines recommandations aux aînés et ce faisant, ajoutons notre voix à celle de Louise Lambert-Lagacé qui s’est exprimée récemment dans vos pages.

On le sait, les aînés sont de plus en plus nombreux au Canada et en particulier ceux âgés de 75 ans et plus.

Et comme les besoins nutritionnels évoluent avec l’âge, des adaptations sont nécessaires.

Le nouveau Guide encourage les aînés à « conserver un poids santé », à choisir des « produits laitiers faibles en gras » et à privilégier les « protéines végétales ».

Ce sont des recommandations qui trouvent beaucoup moins leur pertinence au grand âge, quand les préoccupations premières devraient être d’éviter une perte de poids non intentionnelle et de préserver la masse musculaire par un apport suffisant de calories et de protéines, et ce, en dépit bien souvent d’une diminution de l’appétit et de l’activité physique.

Comprenez-nous bien. Privilégier les protéines végétales est excellent pour la santé humaine et celle de notre planète. C’est une recommandation pertinente pour la population canadienne qui consomme trop de viande dans son ensemble, mais au grand âge, ce qui inquiète davantage est la sous-alimentation.

L’étude des populations aînées, dont l’étude longitudinale québécoise sur la nutrition et le vieillissement NuAge, nous a appris que la moitié de la population âgée ne consomme pas une quantité suffisante de protéines, animales et végétales combinées, pour combler ses besoins.

Or, une faible consommation de protéines est associée à une perte de muscle et de force musculaire qui peut conduire à une maladie bien réelle – la sarcopénie – qui réduit la capacité d’une personne à accomplir ses tâches et ses activités quotidiennes et donc, accélère la perte d’autonomie. Dans une société qui souhaite privilégier le « vieillir chez soi », les politiques de santé publique, dont le Guide alimentaire canadien, se doivent d’intégrer cette réalité.

Institutions publiques

Par ailleurs, le Guide alimentaire canadien, en plus de « guider » la population, constitue bien souvent une référence pour l’élaboration des menus de nos institutions publiques.

Pour les hôpitaux et les centres d’hébergement, où la clientèle âgée de 75 ans et plus est dominante, privilégier les produits laitiers faibles en gras et les protéines végétales est une approche rarement appropriée.

Pourquoi, direz-vous ? La raison est fort simple : les besoins en protéines sont plus élevés à l’âge avancé et l’appétit est réduit. Or, les sources de protéines végétales – légumineuses, noix et grains entiers – nécessitent un plus grand volume que les sources animales pour obtenir une même quantité de protéines. Ce qui n’est pas un problème chez les plus jeunes est un défi chez les aînés.

D’excellentes sources de protéines

Par ailleurs, la volaille, les poissons, les œufs, les viandes et les produits laitiers sont non seulement d’excellentes sources de protéines, ils sont également des sources importantes de fer, de vitamine B12, de calcium et de vitamine D, tous des nutriments qui constituent un enjeu chez les aînés.

Aucune preuve scientifique ne justifie d’éliminer la viande (non transformée) et les produits laitiers de son alimentation pour des raisons de santé si on en mange déjà peu ou sans exagération. Ils sont d’ailleurs bien représentés dans le nouveau Guide et devraient être considérés comme une option quotidienne en plus des options végétales pour les personnes âgées. 

Autrement dit, on peut combiner les sources tout en s’assurant d’en inclure à chaque repas, selon ses préférences et ses limites, dont la perception des saveurs et l’état de dentition parfois altéré. Concrètement, un œuf cuit dur avec les pois chiches en salade, un morceau de fromage avec la soupe aux lentilles, un yogourt grec avec des flocons d’avoine sont des exemples. Et un verre de lait est plus nutritif qu’une tasse de thé ou un verre d’eau ! Quand l’appétit fait défaut, faire de l’eau sa « boisson de choix » n’est donc pas nécessairement la chose à faire.

Le Guide est un outil de santé publique pour la population canadienne dans sa globalité et en ce sens, cette nouvelle mouture remplit bien son rôle. Mais il demeure justement un guide qu’il faut adapter selon les réalités de chacun. Il en revient aux diététistes-nutritionnistes, aux autres professionnels de la santé publique et aux administrateurs des institutions qui desservent les aînés de l’utiliser judicieusement et sans dogmatisme.

* Stéphanie Chevalier, professeure agrégée à l’École de nutrition humaine de l’Université McGill ; Nancy Presse, professeure adjointe au département des sciences de la santé communautaire de la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke ; Marie-Jeanne Kergoat, médecin gériatre, chef du département de gériatrie au CIUSSS Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, chef du service de médecine spécialisée à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal et professeure titulaire à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal ; Guylaine Ferland, professeure titulaire au département de nutrition de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal ; José A. Morais, médecin gériatre, chef de la division de gériatrie de la Faculté de médecine de l’Université McGill et codirecteur du Réseau québécois de recherche sur le vieillissement ; et Anne-Julie Tessier, diététiste-nutritionniste et candidate au doctorat en nutrition à l’École de nutrition humaine de l’Université McGill. Les cosignataires sont membres du Réseau québécois de recherche sur le vieillissement (RQRV), organisme subventionné par le Fonds de la recherche du Québec-Santé.

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