Acheteurs dans les hôpitaux

La moitié des employés partent chaque année

Le taux de rotation du personnel qui procède aux achats de pansements, de médicaments et d’autres produits dans les établissements de santé québécois atteint près de 50 %. Une donnée « troublante », selon Martin Beaulieu, professionnel de recherche au Groupe de recherche CHAÎNE HEC Montréal et coauteur d’une étude sur le sujet. Surtout si l’on considère que, dans le réseau de la santé en général, le taux de rotation du personnel atteint plutôt 15 %.

Dans son étude, M. Beaulieu a voulu évaluer les effets de la fusion des établissements de santé réalisée par l’ancien ministre libéral de la Santé, Gaétan Barrette, sur la logistique d’achat dans les hôpitaux.

Entrée en vigueur en 2015, la loi 10 a fait passer le nombre d’établissements de santé de 182 à 34 dans la province. Les équipes d’approvisionnement ont été centralisées et les achats, regroupés dans la majorité des établissements, note M. Beaulieu.

Le chercheur a mesuré la productivité des services d’approvisionnement et le taux de mise à contrat, soit la proportion de contrats qui ont été accordés selon un processus en bonne et due forme, à la suite de la réforme. Selon ces deux critères, le constat de M. Beaulieu est clair : « Pour les activités d’achat, la réforme, c’est clairement positif », dit-il.

Roulement de personnel très élevé

Mais quand vient le temps de parler de rétention du personnel, les données sont moins reluisantes. Le taux de rotation du personnel atteint une moyenne de 46 % dans les 10 services d’approvisionnement étudiés par M. Beaulieu. « Sur une année, on va remplacer presque une personne sur deux de notre service des achats », résume-t-il.

Dans l’un des 10 établissements étudiés, le taux de rotation du personnel atteint même 122 %.

« Le cadre qui est toujours en recrutement, il n’est pas en train de réfléchir à comment améliorer les performances. Il est toujours en formation… »

— Martin Beaulieu

Pourquoi ce taux de rotation est-il aussi haut ? L’étude ne s’y attarde pas. « Mais ce que j’entends beaucoup, c’est que les conditions salariales sont clairement plus basses dans le secteur de la santé comparé à d’autres organismes publics », dit M. Beaulieu.

Un avis partagé par la vice-présidente de la Fédération de la santé et des services sociaux (FSSS-CSN), Josée Marcotte. Celle-ci ajoute qu’aucune formation précise n’est requise pour occuper le poste d’acheteur. Les candidats pour ces postes, qui sont souvent détenteurs d’un diplôme en technique administrative, peuvent être plutôt tentés de travailler comme techniciens en administration. Des postes qui sont mieux rémunérés dans les hôpitaux, mais aussi dans d’autres entreprises, souligne Mme Marcotte.

Économies possibles de 85 millions

Par ailleurs, une deuxième étude menée par M. Beaulieu et son collègue, le professeur en gestion des opérations et de la logistique à HEC Montréal Jacques Roy, révèle que le réseau de la santé pourrait économiser jusqu’à 85 millions par année en améliorant la performance de ses services d’approvisionnement. « Mais les pratiques de gestion devraient être améliorées, ce qui n’est pas simple », souligne M. Roy.

Les hôpitaux pourraient, entre autres, standardiser leurs produits, par exemple en diminuant le nombre de sortes de gants offerts. « C’est un combat continu qui demande une démarche systématique », dit M. Roy, qui note que chaque professionnel peut avoir des préférences personnelles à ce sujet.

Plus de pression devrait également être mise sur les fournisseurs. Car alors que, dans le secteur alimentaire, le niveau de service attendu des fournisseurs est de 98 %, dans le secteur de la santé, le niveau attendu n’est que de 92 %. Un problème qui touche l’Amérique du Nord en entier, note M. Roy.

Les établissements de santé doivent aussi améliorer leur gestion des stocks afin de prévenir en temps opportun leurs fournisseurs quand les stocks baissent et d’ainsi éviter les commandes à la dernière minute. « Oui, il y a des millions d’économies à faire, mais on ne pourra jamais aller les chercher si les établissements continuent de travailler de la même façon », dit M. Beaulieu.

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