EXTRAIT

Des bonobos et des hommes, de Deni Béchard

« Si je me suis intéressé au Congo, c’est que ses forêts pluviales sont essentielles pour contrer les changements climatiques et que le pays lui-même se trouvait alors à la croisée des chemins. En 2003, il émergeait de ce qui avait sans doute été le conflit le plus dévastateur depuis la Deuxième Guerre mondiale ; en raison de sa nouvelle stabilité politique, ses immenses forêts et ses richesses minérales étaient de nouveau vulnérables à une exploitation à grande échelle. Les conservationnistes affluaient et parmi eux un groupe, la Bonobo Conservation Initiative (BCI), gérait un nombre étonnant de zones de conservation malgré sa petite taille et les fonds limités dont il disposait. »

ESSAI DENI BÉCHARD

Le Congo, miroir de notre avenir

Des bonobos et des hommes

Deni Béchard

Écosociété, 445 pages

Après avoir publié les romans Remèdes pour la faim et Vandal Love ou Perdus en Amérique (prix du Commonwealth, 2007), Deni Béchard en avait assez de parler de lui, un peu comme s’il avait réglé le cas de son étrange généalogie à cheval sur les États-Unis et le Québec, lui, fils d’une Américaine et d’un Gaspésien. Voilà ce qui lui permet, dirait-on, de se tourner vers le monde où il a traîné ses pénates, dans une quarantaine de pays.

« Je suis préoccupé par ce qui se passe, les changements climatiques, la destruction de l’environnement, alors je me suis dit que j’allais prêter ma plume à une cause, d’une façon qui peut aider les gens, explique-t-il. Je voyais que le gros de ce qui s’écrit au sujet de l’environnement disait en substance que c’est fini, qu’on est foutus. Si c’est vrai, ce n’est pas la peine d’écrire un autre livre. Sinon, je devais écrire un livre qui offre des solutions aux gens. »

Ce livre, c’est Des bonobos et des hommes, publié chez Écosociété, une maison d’édition qu’il a soigneusement choisie en observant la jeunesse de son lectorat. Deni Béchard veut s’adresser aux jeunes, puisque ce sont eux qui transformeront le monde.

Et pour cet essai passablement touffu, voire échevelé par moments, il a en quelque sorte procédé à un « casting » d’ONG pour choisir BCI, dont il respecte la philosophie et les méthodes. Car il ne s’en cache pas, à force de voyager, il est devenu fort cynique à l’endroit des grandes ONG censées venir en aide aux populations sur la planète – plus particulièrement depuis ses voyages en Afghanistan, qui feront l’objet d’un prochain roman très critique.

« J’ai succombé à l’histoire de BCI, dit-il. Parce qu’avec environ 3 % du budget des grandes ONG, elle a créé trois fois plus d’aires protégées qu’elles. Toutes les ONG du monde ont des problèmes, mais si on met l’accent sur les défauts, c’est ce que j’ai appris comme écrivain, c’est surtout ça que les lecteurs vont retenir. J’ai voulu montrer ses solutions, et pour garder mon objectivité, j’ai essayé d’interviewer autant de gens que possible. J’aurais aimé raconter le point de vue de ceux qui critiquent BCI, mais ils ont tous refusé d’être interviewés. Je pense que c’est parce qu’ils n’ont aucune façon de justifier ce qu’ils font. »

DU CŒUR AU CONGO

Depuis le célèbre Heart of Darkness de Joseph Conrad en 1899, l’histoire du Congo apparaît comme une suite de tragédies le plus souvent atroces. La richesse de ses ressources est à la fois sa bénédiction et sa malédiction, comme le décrit assez bien Béchard. Notre dépendance envers les gadgets technos rapidement obsolètes exerce une pression considérable sur les pays qui recèlent les minéraux pour les fabriquer.

Or, les bonobos, ces grands singes qui sont les plus proches parents de l’être humain (ils partagent près de 99 % de leur ADN avec nous, soit plus que les gorilles et les chimpanzés), ne vivent que dans la forêt pluviale congolaise, elle-même essentielle pour le climat de la planète. Et, selon Béchard, ils ont beaucoup à nous apprendre.

« Les singes et les humains ont les mêmes besoins, les mêmes rapports de pouvoir, les mêmes motivations, mais les humains fabriquent une narration extrêmement jolie pour expliquer ce qu’ils font. Les bonobos sont plus honnêtes, et si nous l’étions aussi, je pense que la vie serait plus simple. »

« En même temps, c’est très inconfortable de se voir comme un animal. » — Deni Béchard

La protection des bonobos et la préservation de leur habitat naturel doivent impérativement passer par la dignité des êtres humains qui les côtoient. C’est là la philosophie de BCI et c’est ce qui a séduit Béchard. Plutôt que de créer de grandes réserves où personne ne va et dont sont expulsées les communautés, BCI travaille en partenariat avec les populations, dans le respect de leurs traditions, en créant des réserves communautaires.

Leur propre survie doit être liée à la survie des bonobos pour créer un développement durable. Et pour cela, il faut des gens de terrain, plus que des administrateurs qui prennent des décisions dans les villes occidentales pour les appliquer dans des endroits dont ils ne connaissent pratiquement pas la culture. Ainsi, dans son livre, Béchard fait le portrait des acteurs de BCI, Sally, Michael, Albert, des gens dévoués et respectueux, plus préoccupés par la cause que par leur CV.

« BCI a appris de ce peuple pour construire un système qui pourrait aider tout le monde, note l’auteur. Les grandes ONG ne pensent pas à long terme, elles veulent des résultats rapides. Les Congolais sont très méfiants et ils ont appris à les voir comme un apport d’argent dont il faut rapidement profiter. Ça fait des décennies qu’ils sont ignorés, et tout à coup, on leur demande de l’aide et des conseils. C’est une autre façon de fonctionner. »

« BCI fait partie de la communauté et on ne peut pas recréer artificiellement cet effet. » — Deni Béchard

Le plus grand défi pour l’avenir du Congo, croit Béchard, sera de gérer l’appétit des pays riches – la Chine en tête, très présente en Afrique –, alors que le Congo souffre d’un manque de gouvernance. Si le passé est garant de l’avenir, on comprend que les menaces sont toujours présentes et nombreuses pour les Congolais. Mais il y a des projets comme BCI.

« Beaucoup de gens brillants travaillent à des solutions, et depuis dix ans, je vois des changements, une nouvelle génération grandit avec cette conscience. Je ne sais pas si on va survivre en tant qu’espèce, mais de façon pragmatique, être pessimiste ne sert à rien, ça ne va pas nous aider à survivre. Être hyper optimiste et ne rien faire, ça ne sert à rien non plus. Notre nature, c’est de gérer par catastrophe. Je pense que c’est notre façon de construire. » Tout le contraire des bonobos, finalement…

Deni Béchard participe à une causerie avec Éric Dupont à la librairie Gallimard (3700, boul. Saint-Laurent), le jeudi 30 octobre, à 17 h 30.

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