L’idiot

Le théâtre et son double romanesque

Ne cherchez pas de samovar en allant voir l’adaptation du roman L’idiot de Dostoïevski sur la scène du Théâtre du Nouveau Monde. Ce n’est pas la tasse de thé du tandem formé par Catherine Vidal et Étienne Lepage, les artisans de cette création, l’une des plus attendues de la saison de la compagnie dirigée par Lorraine Pintal.

La bonne âme russe et la vieille noblesse de l’empire, l’époque (milieu du XIXe siècle) : tout cela a été enlevé de la mise en scène et du texte, bien que la proposition demeure respectueuse de l’œuvre romanesque écrite par l’auteur de Crime et châtiment.

« Dès le début, on se disait qu’on proposerait notre propre version de L’idiot ; que, de toute façon, le livre existe et qu’on n’ébranlerait pas son auteur avec notre proposition, alors aussi bien y aller avec notre lecture », explique la metteure en scène Catherine Vidal, rencontrée avec l’auteur Étienne Lepage au TNM, le jour où la production installait le décor.

Les créateurs se sont rendu compte de « la complexité et la beauté du roman » qui sonde l’âme humaine dans toute sa profondeur. 

« On a mis de côté la religion orthodoxe, la culpabilité, la rédemption et le pathos. On a tiré le fil universel dans l’œuvre, au lieu de faire la critique d’une société [russe] qui est loin de nous et qu’on ne connaît pas. »

— Étienne Lepage

Le dramaturge n’a jamais eu autant de temps pour écrire un texte (plus de deux ans). Il est parti de la traduction moderne d’André Markowicz pour extraire la substantifique moelle de ce roman qui fait plus de 1000 pages !

L’écriture de Dostoïevski, rythmée et très orale, transcrit l’exacerbation des sentiments, l’excès des personnages russes. « J’ai été happée par le flux de mots et la puissante incarnation des personnages. Mychkine, d’ailleurs, reste un personnage inoubliable », explique Catherine Vidal, dont le conjoint, Renaud Lacelle-Bourdon, interprétera le bon prince.

Étienne Lepage souligne que des parties du roman sont déjà très théâtrales, « avec des personnages grandiloquents au caractère sanguin qui dialoguent abondamment entre eux. C’est rythmé et très musical, proche de mon écriture », dit-il.

« On a longtemps réfléchi pour trouver le bon niveau de langue. On ne voulait pas être à Saint-Pétersbourg dans des salons de l’empire russe ni à Montréal en 2018, ajoute Catherine Vidal. On le fait en québécois sans aplatir le texte et lui enlever tout son côté grandiose et épique. On est dans un espace public, qui est un théâtre, et les personnages sont sur scène et conscients d’être écoutés et vus par des spectateurs. »

Bonté divine 

Le prince Mychkine est un être fondamentalement bon. Tellement que sa bonté confine à la naïveté et à l’idiotie, au regard des autres. De retour en Russie, après avoir séjourné dans un sanatorium pour soigner son épilepsie (maladie dont était également atteint Dostoïevski), Mychkine tente de renouer avec les cercles fermés de la haute société russe. Mais sa présence provoquera plusieurs drames et tensions.

Le programme du TNM résume ainsi l’argument : « Lors de la soirée d’anniversaire de Nastassia (Evelyne Brochu), le prince Mychkine voit un jeune bourgeois, Rogojine (Francis Ducharme), arriver ivre et offrir une forte somme d’argent à la jeune femme pour qu’elle le suive. Le prince perçoit le désespoir de Nastassia, en tombe follement amoureux et lui propose de l’épouser. Après avoir accepté son offre, elle s’enfuit pourtant avec Rogojine. Constatant leur rivalité, Rogojine tente de tuer le prince mais ce dernier est paradoxalement sauvé par une crise d’épilepsie qui le fait s’écrouler juste avant le meurtre… »

Nastassia refuse d’épouser Mychkine « parce qu’elle ne peut s’endurer elle-même, estime la metteure en scène. Elle se voit dans le regard amoureux du prince. Et ce reflet la tue ».

Comme beaucoup d’héroïnes tragiques, Nastassia est un monstre d’orgueil. On dit de l’orgueil qu’il est le plus ridicule et le plus sot des vices. Dans L’idiot, pratiquement tous les personnages (sauf Mychkine) ont un fort sentiment de leur propre valeur ; inversement proportionnel à l’estime qu’ils portent à autrui.

Finalement, le plus idiot des personnages n’est pas celui qu’on croit. « En refusant de se défendre ou de se protéger face à la méchanceté des hommes, il y a quelque chose de la posture christique chez Mychkine, dit Étienne Lepage. Il faut croire à la bonté du genre humain pour vivre ensemble dans une société. En cela, la posture de Dostoïevski est très morale. »

Et Lepage de conclure que le récit ne sera pas difficile à transposer sur scène en 2018 « parce que les mécanismes humains ne changent pas ».

Au Théâtre du Nouveau Monde du 20 mars au 14 avril

Qui sont-ils ?

Renaud Lacelle-Bourdon (Léon Mychkine)

« Le prince Mychkine est un personnage qui arrive à point nommé en 2018, parce qu’il est fraternel. Il n’est pas juste dans l’égoïsme ou l’individualisme. Il ne voit pas l’autre comme un ennemi potentiel. Il se préoccupe des autres. Ça demande un effort, l’empathie. C’est un muscle qu’il faut développer. »

Evelyne Brochu (Nastassia Philippovna)

« Dès que je l’ai approchée, j’ai su qu’elle serait parfaite pour le rôle, explique Catherine Vidal. J’ai tout de suite vu son engagement. Elle est très belle, charismatique et on sent une vulnérabilité en elle. »

Francis Ducharme (Parfione Rogojine)

« C’est un objet artistique en soi, inspiré du livre. C’est comme le roman pressé à froid », illustre l’acteur Francis Ducharme dans la revue du TNM, L’emporte-pièces.

Catherine Vidal (mise en scène)

« Chaque personnage est un cadeau pour les acteurs. On pourrait écrire une pièce pour chacun d’entre eux. »

Étienne Lepage (texte, d’après le roman de Dostoïevski)

« C’est presque une comédie, L’idiot, mais au milieu des personnages hilarants, il y a un triangle tragique [Mychkine, Rogojine et Nastassia] qui ne fait pas rire du tout. »

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