La politique culturelle du gouvernement Trudeau – ou plutôt l’absence de « taxe Netflix » – est mal accueillie au Québec, malgré une entente en vertu de laquelle Netflix investira 500 millions en cinq ans au Canada. C’est que cette entente Ottawa-Netflix ne comporte pas de quotas de production au Québec ou en français. Une « abdication » d’Ottawa selon le gouvernement Couillard. Du « favoritisme » à l’endroit de Netflix selon Québecor. « On va abdiquer encore une fois devant Silicon Valley », a dit Maxime Rémillard, le patron du Groupe V Média.
« Je suis plutôt en colère, surtout qu’on ait abdiqué sur la question de la langue, qu’on ne soit pas assuré qu’il y ait une portion bien déterminée de contenu original francophone alors qu’on exige la même chose d’autres plateformes canadiennes. Et on ne peut pas se fier à la main invisible du marché pour s’assurer que le fait français va se retrouver dans les plateformes numériques. Je suis sans mot », a dit Luc Fortin, ministre de la Culture et des Communications du Québec, hier en point de presse.
Sur le plan fiscal, Québec envisage d’imposer la TVQ à Netflix, alors qu’Ottawa a annoncé que Netflix continuerait de ne pas percevoir la TPS sur ses abonnements au pays.
« Je ne vois pas dans cette politique de vision visant à protéger une industrie culturelle d’ici, a dit Sophie Prégent, présidente de l’Union des artistes. Une redevance [comme la “taxe Netflix”] protège un milieu culturel, mais pas un investissement sur lequel on n’a pas de contrôle.
« On ne sait pas combien sera investi en français. Ça ressemble plus aux films américains qui viennent se tourner ici l’été. C’est super pour les artistes francophones bilingues, mais ça ne fait pas de ce produit un produit culturel local francophone. »
— Sophie Prégent
Tous les artistes québécois ne sont toutefois pas en désaccord. De passage à Montréal hier pour promouvoir son prochain film Blade Runner 2049, le réalisateur québécois Denis Villeneuve se réjouissait de l’annonce de Netflix.
« Je n’ai pas eu le temps de digérer la nouvelle, mais l’idée qu’une compagnie comme Netflix se propose de donner 500 millions à de la production locale sur cinq ans, ça m’apparaît une excellente nouvelle, a dit le réalisateur d’Arrival et de Sicario. Si on met une taxe, au bout du compte, ce sont quand même les contribuables canadiens qui paient la taxe, tandis que là, c’est de l’argent de l’extérieur qui vient pour contribuer à notre culture. Je trouve une telle nouvelle étonnante, déstabilisante et réjouissante. »
Un jugement partagé
Sans appuyer l’entente Netflix-Ottawa, l’Association québécoise de la production médiatique, qui regroupe les producteurs québécois, pose un jugement partagé sur la nouvelle politique culturelle fédérale. « Nous sommes contre le fait qu’Ottawa ait négocié une monnaie d’échange en contrepartie d’une exemption de TPS, mais on ne connaît pas le contenu exact de l’entente entre Ottawa et Netflix, a dit sa PDG Hélène Messier. Je trouve dommage qu’on revienne à cette mesure-là [la “taxe Netflix”], car la politique d’Ottawa contient des mesures positives pour nous, notamment la compensation du Fonds des médias du Canada, le développement de mesures pour développer la prise de risques, la réduction des contraintes pour le crédit d’impôt et les mesures [125 millions sur cinq ans] pour l’exportation. »
L’entente Netflix-Ottawa a été mieux accueillie au Canada anglais. « [Elle] a le potentiel d’être une mesure positive pour le Canada, si elle crée des occasions pour davantage de productions indépendantes d’histoires canadiennes », a dit Reynolds Mastin, président de la Canadian Media Producers Association, principale association de producteurs au pays.
Du « favoritisme »
De son côté, Québecor parle de « favoritisme à l’égard de Netflix ».
« On ne peut que s’indigner devant le désaveu de la ministre à l’égard des entreprises d’ici, qui investissent pour soutenir le développement de notre culture […]. La ministre avalise un système à deux vitesses », a indiqué Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor, dans un communiqué.
Le Groupe V Média est aussi fortement en désaccord avec la décision d’Ottawa. « On nous demande encore plus de conditions dans le renouvellement de licences, et on donne une free ride à Netflix, dit Maxime Rémillard, président et chef de la direction du groupe. On va abdiquer encore une fois devant Silicon Valley. On s’attend à avoir moins d’obligations pour faire face à la concurrence inéquitable et déloyale des services américains. »
Évoquant son engagement de 500 millions sur cinq ans – en plus de 25 millions en dépenses de développement pour le Québec –, Netflix a dit « avoir hâte de poursuivre » ses productions au Canada. Netflix a coproduit quatre séries télé au pays, dont Anne (basée sur Anne... la maison aux pignons verts) avec CBC. « Dans le monde entier, nombreux sont ceux qui tombent sous le charme des œuvres originales de Netflix produites au Canada. L’annonce d’aujourd’hui confirme qu’il y en aura encore plus, puisque nous lançons Netflix Canada, notre présence permanente au Canada en matière de production », a indiqué Ted Sarandos, responsable en chef du contenu de Netflix, par voie de communiqué.
— Avec Maxime Bergeron, La Presse, et La Presse canadienne