Chronique : Soins de fin de vie

La loi et les consciences

La loi ne régit pas tout. Elle ne régit pas les consciences ni les émotions.

L’euthanasie a beau avoir été légalisée pour les malades en fin de vie, nombre de médecins refusent de poser l’acte qui tuera le patient. On ne peut certainement pas les en blâmer.

Ces derniers pratiqueront volontiers l’euthanasie passive, qui consiste à interrompre les traitements qui ne servent qu’à prolonger artificiellement la vie et qui relèvent de l’acharnement thérapeutique. Mais l’euthanasie active que prévoit la loi n’est pas du tout la même chose car il s’agit de provoquer directement la mort.

Le National Post a publié récemment des données significatives sur la résistance passive des médecins.

Huit mois après l’entrée en vigueur de la loi fédérale légalisant l’euthanasie, l’Ontario fait déjà face à une pénurie de médecins volontaires.

En février, seulement 137 médecins étaient inscrits sur la liste de référence établie par le ministère de la Santé. Et de ce nombre, 30 seraient prêts à fournir une seconde expertise, mais refuseraient d’administrer ou de prescrire le cocktail mortel.

La province a même perdu des volontaires en cours de route : 24 médecins se sont retirés de la liste et 30 ont temporairement suspendu leur participation.

Au Québec, toujours selon l’enquête du National Post, il s’est produit 262 actes d’euthanasie. De ce nombre, 21 ont été jugés non conformes aux règlements.

Dans 18 cas, les médecins n’étaient pas assez « indépendants » du patient. Dans les trois autres cas, le patient n’était pas en fin de vie ou ne souffrait pas d’une maladie incurable. Le Collège des médecins est à étudier ces dossiers.

Pour le Dr Jeff Blackmer, vice-président de l’Association médicale canadienne, il y a des médecins pour qui l’euthanasie est un acte moral et gratifiant parce qu’elle allège la souffrance, mais la plupart s’en détournent pour des raisons morales ou parce que c’est trop difficile émotionnellement. Il y a des médecins qui sont anéantis après avoir pratiqué une seule euthanasie, et ne veulent pas recommencer l’expérience.

Dans nombre de cas, ils craignent de faire les frais d’une loi ambiguë, notamment en ce qui concerne l’exigence d’une mort « raisonnablement prévisible » – une possibilité difficile à jauger. Or, un médecin qui aurait mal évalué les chances de survie de son patient pourrait, à la limite, être accusé de meurtre. On comprend la réticence des médecins à se fourvoyer dans pareil guêpier.

Et puis, il y a la conscience, les humains n’ayant pas été programmés pour tuer leur prochain.

Alors que faire ? Obliger les médecins à pratiquer l’euthanasie contre leur gré ? Impossible sous l’angle de l’éthique et de la décence la plus élémentaire. Recruter des étudiants en médecine parmi les militants du droit à la mort en les dispensant de prêter le serment d’Hippocrate ? Aller chercher des volontaires en Belgique et aux Pays-Bas, les deux seuls pays qui sont allés plus loin que le Québec en matière d’euthanasie ?

Ou alors, autre solution, on fait tout pour que l’euthanasie ne devienne pas un recours banal et que le moins de malades possible veuillent s’en prévaloir.

Moins il y aura de demandes, moins il y aura de médecins requis, et ceux qui sont à l’aise avec l’idée de tuer un patient par compassion pourront suffire à la tâche.

La solution est à portée de la main, compte tenu de l’expertise accumulée par les spécialistes des soins palliatifs. Si le gouvernement était fidèle à sa promesse d’injecter plus de ressources dans les maisons de soins palliatifs, tous les Québécois, pas seulement une minorité privilégiée, auraient accès à une mort (relativement) douce.

Hélas, en légalisant l’euthanasie sans renforcer les soins palliatifs, le gouvernement pousse les gens à croire que la seule voie possible, pour éviter les pires agonies, est d’être mis à mort par injection létale.

On parle maintenant, à la faveur du cas de M. Cadotte, qui aurait tué sa femme atteinte de la maladie d’Alzheimer, d’inclure dans la loi la possibilité de consentir à sa propre mort par des directives anticipées. À ce sujet, voici un extrait éclairant d’un communiqué du Collectif des médecins contre l’euthanasie.

« La plupart des personnes souffrant de démence perdent rapidement conscience de leur condition. La vaste majorité est heureuse dans un environnement sécuritaire et accueillant, que ce soit en famille ou en résidence spécialisée. Mais quelles ressources offre-t-on aux Québécois souffrant de démence et à leurs proches ?

« Le lobby en faveur de l’euthanasie par directive anticipée est conduit par des personnes en santé qui pensent qu’ils aimeraient mieux être morts que de vivre avec une réduction de leurs facultés mentales et physiques. Mais les personnes changent d’avis lorsqu’elles sont dans ces circonstances. Plusieurs études ont démontré que ces patients considèrent leur qualité de vie plus élevée qu’on ne l’imagine (de l’extérieur). »

L’observation empirique s’ajoute aux études dont parle le Collectif. Là où la mort est offerte depuis des années, comme en Oregon, très peu de grands handicapés se sont prévalus de la loi sur le suicide assisté.

L’instinct de vie est plus fort que tout, et bien des malades s’accommodent de ce qui les aurait révoltés à l’époque où ils étaient bien portants.

Leurs proches ne le savent que trop, eux qui vivent douloureusement le deuil prématuré de l’être aimé : la personne atteinte de la maladie d’Alzheimer n’est pas la même que celle qu’elle était auparavant. Ses directives anticipées n’ont donc aucun poids moral, car elle-même était incapable de connaître à l’avance l’état d’esprit qui sera le sien une fois qu’elle sera affectée par la démence.

L’alzheimer est terrible, mais peut être une condition vivable à la fois pour les victimes et leurs familles… à condition, bien sûr, que tout le fardeau ne retombe pas sur les épaules des aidants naturels, et que le malade puisse être éventuellement placé dans une institution qui offre des soins de qualité.

Telle est l’obligation qui incombe à une société civilisée.

RECTIFICATIF

Vers la fin de ma chronique « Le papier et la vraie vie », publiée le 18 février, il aurait fallu lire la phrase suivante : « … et que la majorité des demandes provenaient des Témoins de Jéhovah, une secte qui se réclame du christianisme ! »

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