Les femmes et le sport

Mettre fin aux critiques

« Tu as l’air d’un homme. » « Ce n’est pas très féminin, tous ces muscles. » « As-tu pris des stéroïdes ? » Plusieurs athlètes de CrossFit disent recevoir régulièrement de nombreuses critiques sur leur apparence physique.

Alors que commencent demain les Opens de CrossFit, soit la première étape de qualification en vue des Jeux mondiaux qui auront lieu à l’été, quatre athlètes québécoises ont accepté de s’exposer à l’objectif de La Presse pour dénoncer la situation. Elles ont aussi voulu raconter leur passé, afin de montrer que derrière leurs muscles se cachent parfois des récits troublants, qui devraient inciter les critiques à plus de retenue.

« Quand je marche dans un lieu public, je me fais montrer du doigt, je me fais regarder, et j’ai même des gens qui me disent en pleine face qu’ils ne veulent pas devenir musclés comme moi. »

— Michèle Letendre, qui a participé à six reprises aux Jeux mondiaux de CrossFit

« Je reçois souvent ce genre de commentaires sur mes réseaux sociaux, du genre : “Ouach, je ne voudrais jamais ressembler à ça.” Ou alors : “Elle ressemble à un homme” », ajoute Camille Leblanc-Bazinet, championne mondiale de CrossFit en 2014.

« Je recherche plutôt une vraie femme »

Au début du mois de février, l’athlète canadienne de CrossFit Emily Abbott a publié sur les réseaux sociaux le commentaire d’un jeune homme, côtoyé par l’entremise d’un site de rencontre, qui disait refuser de la voir parce qu’elle n’était « pas assez féminine ».

« Malheureusement, je ne suis pas vraiment attiré par les femmes qui ressemblent à des hommes. Tu es très en forme et musclée. Tu me ressembles presque. Je recherche plutôt une vraie femme. Avec des courbes, des formes, une poitrine, féminine. Pas une femme qui ressemble à un homme, désolé », a écrit l’internaute, qui ajoutait préférer les femmes « fortes, féminines et belles, fières d’être une femme et qui ne veulent pas ressembler à un homme ».

À peine quelques heures après sa publication, le commentaire a soulevé des milliers de réactions sur Instagram et sur Facebook. Michèle Letendre affirme qu’Emily Abbott est justement « forte, féminine, belle et fière ». « Pourtant, on l’accuse de vouloir ressembler à un homme », note l’athlète, qui déplore le fait que les femmes soient encore soumises à des « standards de beauté » en tout genre.

« Les femmes athlétiques sont critiquées à plusieurs niveaux, et c’est majoritairement par rapport au corps. On leur dit qu’elles ne sont pas censées être “comme ça”. Mais toutes ces discussions empêchent de parler de l’essentiel : la performance sportive », constate-t-elle. Letendre, qui a pris sa retraite du CrossFit cette année pour se consacrer à l’haltérophilie, ajoute que les athlètes féminines ne sont pas traitées de la même façon que les hommes. « Pour avoir des commandites, elles ne doivent souvent pas juste être bonnes. Elles doivent aussi être belles. J’ai eu la chance dans ma carrière d’avoir de super commanditaires qui ne m’ont pas imposé ça. Mais pour la majorité des athlètes, ce double standard est là », dit-elle.

Montrer pour expliquer

Malgré des histoires personnelles très variées, les athlètes québécoises de CrossFit s’entendent pour dire qu’il est temps de mettre fin aux préjugés corporels, notamment ceux envers les femmes musclées. « Nos corps sont simplement nos outils pour atteindre nos buts. Ils sont le résultat de nos efforts », affirme Michèle Letendre. En montrant ses muscles à la caméra, la jeune femme dit vouloir « illustrer à quoi il [lui] sert vraiment, ce corps si controversé ».

« Je suis fière d’être une femme et d’avoir ce corps. Grâce à lui, je fais des choses que je ne croyais pas pouvoir faire. Je passe un message de force, de finesse, de détermination et de féminité. Selon moi, ce sont ces valeurs que mon corps transmet. À vous de le voir pour ce qu’il est vraiment. »

— Michèle Letendre 

Se garder une petite gêne

Si elles reconnaissent qu’il est normal que leur apparence ne fasse pas l’unanimité, les athlètes invitent les gens à plus de retenue dans leurs commentaires. « Dire à quelqu’un qu’il est laid, ça ne se fait pas. Pas plus que de dire à une fille que ses muscles ne sont pas beaux », souligne Michèle Letendre. Car les critiques peuvent blesser, note Camille Leblanc-Bazinet.

L’athlète originaire de Richelieu et qui habite aujourd’hui aux États-Unis se souvient d’avoir toujours eu « de bonnes épaules et de bonnes jambes, même au secondaire ». « Ça me rend triste de regarder en arrière et de me rendre compte à quel point ça m’affectait. J’aimerais pouvoir dire à la Camille de 15 ans à quel point elle était forte et belle, et à quel point son indépendance et son courage provoquaient de l’insécurité chez les autres, qui critiquaient sa musculature, dit-elle. Les gens sont inconfortables avec la différence. Pourtant, ce sont nos différences qui font la beauté du monde. »

D’ailleurs, personne ne connaît les histoires qui peuvent se cacher derrière les corps musclés des athlètes. L’athlète paralympique et adepte de CrossFit Cindy Ouellet raconte par exemple avoir été victime d’un cancer dans sa jeunesse. Le sport lui a permis de se sortir de la dépression qui la guettait quand elle a appris qu’elle ne marcherait plus jamais. Pour Sonia Hurtubise, ex-cycliste d’élite qui a terminé 26e aux championnats régionaux de l’est du Canada l’an dernier, le CrossFit lui a permis de surmonter un deuil. (voir autres onglets).

En publiant les critiques de l’internaute sur les réseaux sociaux, Emily Abbott a d’ailleurs invité les gens à faire preuve de plus de gentillesse dans leurs commentaires. « Car tout le monde traverse des épreuves difficiles dans la vie », a-t-elle écrit. 

Michèle Letendre souhaite qu’un vrai débat sur les standards imposés aux corps des femmes se fasse. « Parce que ce n’est pas juste les femmes de CrossFit qui subissent ces commentaires. Toute femme qui est à l’extérieur des normes peut un jour ou l’autre être visée. Il faut que ça cesse », dit-elle.

Les photos de ce dossier ont été prises avec la collaboration de MC Ferron.

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