100 idées pour améliorer le Québec Faire rayonner la culture

Les statues d’Esquimaux

Une nouvelle politique culturelle cette semaine. Me suis demandé d’où venaient les demandes qu’on veut tant exaucer ; ce qui les motive.

Un retard qu’on rattrape ? Les artistes qui demandent ? Une crise ? Un vide ? Une prise de conscience ? (J’éviterai de parler d’année électorale parce que je sais que ça prend du temps à produire, mais le hasard de sa sortie est une heureuse coïncidence !)

Il y a des secteurs de notre culture qui, traditionnellement, ont réussi à générer assez de revenus autonomes pour bien vivre. On les connaît. Ils font partie de notre identité culturelle et des mœurs : le rire, la chanson, la télé…

Je salue l’initiative de revoir cette politique culturelle. Si, comme on le souhaite, on réussit à favoriser la création et l’accès à la culture, ce sera magique. Surtout l’accès.

Mais on ne peut pas uniquement se fier à l’État pour définir cette culture dont on rêve tant. La création est aussi une patente humaine personnelle. Toutes les fois que j’ai été bouleversé, c’est parce que j’avais l’impression d’entendre une voix unique et originale. Mais c’est d’abord parce que quelqu’un s’était permis d’y rêver. C’est rare, et c’est là qu’on doit investir. Dans le possible.

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Suis par ailleurs un peu inquiet de l’augmentation des budgets qu’on vient de nous promettre ; j’ai peur que les sous qu’on annonce en grande pompe aillent nourrir l’appareil administratif qui les gère. L’administration est un monstre exponentiel sans fin et sans fond. Souhaitons que l’argent soit donné aux organismes culturels déjà en place. Ce sont les compagnies de théâtre, les festivals (FTA, FNC, RIDM, Art MURal, Art Souterrain, Fifa… et autres producteurs de contenus) qui ont déjà une structure fonctionnelle qu’il faut aider. Ils étouffent. Les ressources humaines sont à bout de souffle. On se gruge une patte pour survivre. Faut en tenir compte. Tout ça, je le répète souvent, est tenu à bout de bras avec du scotch tape et de la broche.

Favorisons aussi l’émergence de nouvelles idées sans devoir remplir les éternels formulaires pour faire plaisir aux critères de l’État.

Je connais une dizaine d’artistes reconnus qui font écrire, par des gens (diplômés) plus qualifiés qu’eux pour ce genre de choses, leurs demandes de bourses et de subventions. Parce que le système du soutien à la culture aime les gens qui font des demandes « propres » et policées. Faut que ça « fitte » dans les critères.

Je suis convaincu qu’on se prive de voix rares et originales. Parce que les idées n’entrent pas toutes dans la case qu’on souhaite. J’ai fait partie de suffisamment de jurys pour le constater.

C’est le revers de la médaille : quand une société n’arrive pas à faire vivre ses artistes, à cause de la démographie (entre autres choses), ce sont ceux qui « comprennent » les règles administratives qui « réussissent » le mieux à vivre du système. Ça donne parfois des « fonctionnaires de l’art », mais ça a surtout le défaut de faire de l’art officiel. Avec ses travers : certains s’improvisent gardiens du temple, avec les dérives qui viennent avec cet état.

Parfois aussi, avec l’argent « donné », on fait des soirées avec des miroirs. Les miroirs, c’est pour faire plus de monde ET se trouver beaux. En croyant que les autres le penseront aussi. Avec l’argent du Ministère, toujours. Notre cinéma est rendu là et plusieurs s’en contentent. Une confusion de sens. Vêtus de paillettes, et dans l’illusion du champagne. Croyant à tort avoir raison, « avec personne » qui écoute. Alors qu’il y a une nouvelle génération qui fait des films avec trois fois rien. Faut les diffuser, et créer le public pour eux.

Cela sans compter le mélange des genres entre l’art et le divertissement. L’un comme l’autre font aussi notre culture. Et je rêve parfois qu’on valide les artistes comme on accepte les joueurs de hockey. Comme un rôle nécessaire. L’art est nécessaire. Même déficitaire. Il aide à vivre.

J’ignore si la nouvelle politique culturelle va forger notre identité. Je le répète encore : quand je voyage, ce n’est pas le système de santé ni l’équilibre budgétaire du pays qu’on visite qui m’intéresse. Mais sa culture.

Je veux comprendre et sentir l’identité des gens. À défaut de moyen ou de relations personnelles, c’est la plupart du temps à travers l’art et ses choix qu’on se dévoile.

Je veux aussi souligner l’importance du mécénat. En marge de la politique. On n’en parle jamais assez. Des millions de dollars privés sont donnés, chaque année, à des centaines d’organismes qui œuvrent en culture. Le système doit en tenir compte, favoriser et encourager cette pratique. On doit impérativement impliquer le privé et le monde des affaires dans l’idée de culture.

Y’a une génération qui ne regarde plus ou peu la télé. Elle regarde quand même un écran et elle lit autant, sinon plus, que bien d’autres qui l’ont précédée. Leurs sensibilités se forgent autrement.

Je sais fort bien que dans un marché libre (sans subvention, on s’entend), le paysage serait différent. Plusieurs auraient abandonné. Ce « monde libre » est impossible ici. Alors on a besoin du gouvernement.

Je rêve que cette nouvelle politique culturelle favorise et fasse une place à tous les créateurs, et pas seulement aux élites systémiques.

Je rêve ainsi qu’on puisse s’éloigner du syndrome de l’Esquimau (je sais qu’il faudrait dire Inuit…). Pendant des décennies, ils ont été privés d’existence (les Inuits), et pendant des décennies ce sont leurs sculptures qu’on a offertes en cadeaux officiels aux dignitaires d’ailleurs et à la visite. La belle hypocrisie.

Un politicien (retraité) me disait en décembre dernier, avec fierté, en parlant de la visite étrangère : « Tout le monde était vraiment content quand on leur donnait de l’art d’Esquimaux, pis en plus on faisait vivre des communautés entières du Nunavik et du Nunavut en leur achetant leurs statues. »

C’est à ce décalage qu’il faut penser. Penser aux voix d’ici.

Et au statut d’artiste.

Les artistes ne sont pas tous des assistés sociaux de luxe, n’en déplaise à certains commentateurs moraux.

Et même si dans les chiffres, la culture ne « balance pas », elle ne sera jamais autonome et profitable économiquement chez nous. Plus que jamais, et parce qu’on est, sera, dans un naufrage d’idées populistes pour quelques années encore, elle doit être soutenue et célébrée. Bravo, mais donnons l’argent aux créateurs, et par-dessus tout : formons des gens (des enfants) et faisons en sorte que les générations qui suivent trouvent l’art essentiel.

Notre culture n’a pas le privilège de la liberté. À travers les vœux pieux et les belles volontés, faut engager les gens à y croire. Et parfois, faut prendre des risques pour se nommer.

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