Centres jeunesse

De nouveaux pouvoirs pour contrer les fugues

Québec — Québec se donne les moyens légaux d’interdire à toute adolescente vulnérable de sortir d’un centre jeunesse si elle risque de fuguer et de tomber sous le joug de proxénètes, a appris La Presse.

Après des mois de réflexion, le gouvernement Couillard revoit les mesures d’encadrement dans les centres jeunesse pour prévenir les fugues et l’exploitation sexuelle des jeunes. La ministre déléguée à la Protection de la jeunesse, Lucie Charlebois, déposera aujourd’hui des amendements au projet de loi 99, déposé il y a un an et gisant dans les limbes de l’Assemblée nationale depuis la fin des consultations, l’automne dernier.

Ce projet de loi fait suite au rapport d’André Lebon, le vérificateur nommé par Québec pour faire la lumière sur les « fugues reliées à l’exploitation sexuelle » et le fonctionnement du centre jeunesse de Laval, « l’épicentre », au dire du gouvernement, de ce phénomène qui faisait les manchettes au début de 2016.

André Lebon avait conclu que le centre jeunesse de Laval n’est pas une « passoire ». « Les fugues sont en hausse de façon générale » au Québec, sans être un « fléau », concluait-il. « La vraie préoccupation doit se porter sur un petit nombre de jeunes qui se mettent en danger lors de ces fugues. »

Il recommandait par exemple de mettre en place une « transition entre le recours à l’encadrement intensif », qui consiste à placer un jeune dans une unité fermée sans possibilité de sortie, « et le retour aux unités de vie ouvertes ». Ce serait une option située quelque part entre les portes verrouillées et la libre circulation. Selon lui, on doit tenir compte « des facteurs de risques pour les jeunes dont la fugue est soit chronique, soit une façon de se mettre en danger ».

Lucie Charlebois répondra finalement à cette recommandation.

Interdit d’empêcher les sorties

En vertu de la loi actuelle, il est impossible de maintenir un jeune dans un centre jeunesse lorsqu’il est en unité de vie ouverte, où la porte est déverrouillée, même s’il présente un risque de fugue, explique une source bien au fait du dossier. Les intervenants peuvent utiliser différents moyens pour le dissuader de sortir, mais ils ne peuvent l’en empêcher.

Au printemps 2016, des intervenants d’un centre jeunesse avaient d’ailleurs témoigné à La Presse de leur impuissance face aux fugueurs en série. Ils sont liés par la loi, qui stipule qu’une porte de chaque unité de vie doit demeurer déverrouillée.

« [Pour contrer les fugues] ça prend un endroit d’où ils ne peuvent pas partir. Pas de l’encadrement intensif, juste des portes barrées. Notre mandat, c’est de les protéger, mais on ne peut pas les arrêter pour les protéger. »

— Une intervenante du centre Cité des Prairies, lors d’une entrevue au printemps 2016

Un amendement au projet de loi 99 modifiant la Loi sur la protection de la jeunesse viendra changer la donne. Lucie Charlebois entend permettre d’empêcher un jeune de quitter le centre, même s’il est en unité de vie ouverte, « lorsqu’il présente un risque de fugue pendant laquelle il se retrouverait en situation de danger ». Québec veut cibler les cas où une adolescente irait rejoindre un réseau de prostitution, par exemple.

Il y aurait des balises pour encadrer le recours à une telle mesure : le risque devrait être bien documenté et une réévaluation de l’interdiction de sortie devrait être faite régulièrement. Ce ne pourrait être utilisé comme mesure disciplinaire.

Une « période de transition »

Un autre amendement instaurera une « période de transition » entre l’encadrement intensif et l’unité de vie ouverte. Un jeune en unité fermée, avec portes verrouillées, pourrait progressivement faire des activités en milieu ouvert en prévision de son intégration. Cette période serait balisée dans le temps.

Rappelons que le recours à l’encadrement intensif est considéré comme une mesure exceptionnelle. Il doit être de courte durée. Il faut respecter des critères stricts pour prolonger un séjour au-delà de 30 jours. Selon le rapport Lebon, la durée moyenne de séjour en encadrement intensif est de 40 jours et, dans 49 % des cas, elle est inférieure à 30 jours.

En 2007, des changements à la Loi sur la protection de la jeunesse avaient restreint le recours à l’encadrement intensif, auparavant surutilisé.

Une révision des règles d’encadrement est une opération délicate. Le gouvernement se doit de garder un équilibre entre les droits du jeune et le mandat de protection. Le premier ministre Philippe Couillard rappelait d’ailleurs l’an dernier que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse s’est déjà prononcée contre le verrouillage systématique des portes dans les centres jeunesse.

Les chances sont minces que le projet de loi 99 soit adopté avant la fin de la session parlementaire, le 16 juin. Il est plus probable que les mesures soient mises en vigueur à l’automne seulement.

La Presse fait bouger les choses

Février 2016

Une vague de fugues au centre jeunesse de Laval, révélée notamment dans La Presse, amène le gouvernement du Québec à dépêcher un vérificateur indépendant sur le terrain. Le débat sur les portes verrouillées est relancé.

Mars 2016

Le vérificateur nommé par Québec, André Lebon, blâme les compressions budgétaires, qui ont, selon lui, empiré le problème des fugues dans les centres jeunesse.

Avril 2016

La Presse publie une vaste enquête révélant l’ampleur du phénomène des fugues en série.

Avril 2016

La ministre déléguée à la Protection de la jeunesse, Lucie Charlebois, annonce que le gouvernement inclura dans son plan d’action des mesures d’encadrement dans les centres jeunesse pour contrer les fugues à répétition.

Juin 2016

André Lebon réclame dans La Presse des états généraux sur la réadaptation des jeunes en difficulté, estimant que les centres jeunesse vivent une crise.

Juin 2016

Le gouvernement du Québec dépose un premier projet de loi, qui ne sera jamais adopté.

9 Juin 2017

La ministre Charlebois doit déposer des amendements à ce projet de loi, pour « mieux répondre aux recommandations du rapport Lebon ».

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