Opinion Éducation

La métaphore du crayon

En réaction au texte « Enseignants… et ambassadeurs d’une marque de commerce », publié lundi dernier

Vous connaissez la métaphore du crayon ? Non ? Voyez comment elle se transpose à merveille au monde de l’éducation.

D’une part, il y a ces aiguisés, ces précurseurs, des enseignants qui sont des leaders pédagogiques. Ils écrivent le futur de l’enseignement, de la pédagogie. Ils expérimentent puis documentent leurs démarches. Par la suite, il y a ceux qui soutiennent ces leaders. Ils sont affûtés et ils sont prêts à aller de l’avant, mais ils éprouvent le besoin de voir ce que les autres ont fait avant eux. Ce sont souvent nos leaders pédagogiques silencieux. Ils sont novateurs, sans nécessairement avoir l’esprit aventurier qui anime nos précurseurs. La majorité des enseignants forment le gros du crayon, ce long morceau de bois souvent jaune. Ils veulent bien intégrer les technologies ou encore adopter de nouvelles approches, mais ils ont besoin de mentors ou d’un petit coup de main. D’où l’importance des conseillers pédagogiques !

Enfin, il y a ceux qui forment l’anneau de métal vers la fin du crayon. Eh oui, ce sont nos traditionalistes, ceux qui ne veulent pas changer leurs pratiques, ceux qui s’agrippent à l’image qu’ils se sont toujours faite de l’école. Non, ils ne posent pas de problème, et ils amènent un certain équilibre dans le quotidien de la profession. Ironiquement, on les laisse toujours tranquilles, ceux-là, contrairement aux précurseurs. Au bout de cet anneau de métal, il y a l’efface qui représente ceux qui s’appuient sur nos traditionalistes pour effacer ce que nos affûtés et nos leaders font ou écrivent.

Peut-être l’aurez-vous compris ? Nos leaders, ceux qui expérimentent et documentent pour faciliter le travail de la majorité de nos enseignants, sont confrontés à ceux qui effacent quotidiennement leur travail. Quand ce n’est pas parce qu’ils tentent de traduire en français Seesaw pour que l’outil soit utilisable par les Québécois ou les Français, ce sont ceux qui donnent des formations sur des outils technos ou sur de nouvelles approches qu’ils ont expérimentées. Ce sont aussi des écoles « certifiées » Apple ou Google, par exemple !

Pendant qu’on s’inquiète de cette situation de conflit d’intérêts potentiel jusque dans les médias, que faisons-nous en vrai ?

1- On ignore l’autonomie professionnelle de l’enseignant quant au choix de ses outils didactiques (lire l’article 19 de la Loi sur l’instruction publique à cet égard) ;

2- On tient pour acquis que ce dernier est obnubilé par l’outil au point de le considérer comme étant une fin plutôt qu’un moyen et qu’il en perd toute faculté de jugement professionnel ;

3- On éteint ceux qui sont motivés, mobilisés ; ceux-là mêmes qui œuvrent non seulement à faire passer leur pratique vers le XXIe siècle, mais celle de leurs collègues également.

Autrement dit, au Québec, on critique sévèrement ceux qui innovent et qui, en plus, pensent à faciliter la démarche de leurs collègues, tout en tolérant ceux qui leur mettent des bâtons dans les roues ! 

Eh oui, ceux-là agissent en toute impunité, les autres se retrouvent dans les médias et doivent justifier publiquement leur démarche novatrice ! Et pourquoi ne serait-ce pas l’inverse ? Pourquoi l’enseignant qui nuit aux efforts d’innovation de ses collègues ne ferait-il pas l’objet de reportage ? Pourquoi l’enseignant qui recycle les mêmes outils pédagogiques, année après année, sans égard aux besoins de ses élèves, n’aboutirait-il pas à la une d’un quotidien ? Mystère !

Non seulement on ne reconnaît pas leur travail, mais en plus, on les cloue au pilori. Imaginez, ces enseignants sont déjà ciblés dans leurs milieux professionnels respectifs, mais en plus, ils sont condamnés sur la place publique ! Pourtant, c’est sur eux que repose le développement professionnel de plusieurs de leurs collègues ! Pas facile d’innover en éducation québécoise…

Je pense humblement qu’au lieu d’infantiliser ces professionnels de l’éducation, en présumant qu’ils ont perdu leur capacité de juger de la pertinence des outils didactiques à utiliser pour leurs élèves, on devrait plutôt les soutenir, les reconnaître et même, les remercier !

Cela dit, merci à vous, professionnels de l’ombre qu’on blâme trop souvent et qui font le nécessaire pour préparer nos élèves à utiliser des outils issus du XXIe siècle. Les élèves et leurs parents vous remercient et vos collègues aussi. On a seulement une drôle de façon de vous apprécier, car, vous qui vous remettez en question continuellement, vous nous forcez à faire de même. Nous ne sommes pas tous prêts à le faire…

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