Université de Montréal

50 ans de psychiatrie

À l’occasion de ses 50 ans, le départe-ment de psychiatrie de l’Université de Montréal revient sur son histoire et sur celle de la psychiatrie dans un recueil publié dans la revue Santé mentale au Québec. Petit retour en arrière avec le directeur du département, le Dr Emmanuel Stip.

Dans les années 50, la psychiatrie n’existait pas comme spécialité au Québec. Comment les gens aux prises avec des problèmes de santé mentale étaient-ils traités ?

Au Québec comme en Europe, les gens avec des désordres mentaux – que ce soit des désordres neurologiques ou les grandes folies – étaient traités soit par des neurologues, soit par des aliénistes. Avant les années 50, on avait très peu de médications pharmacologiques. Pour les grands psychotiques, il y avait plein de techniques : des douches froides, des bains saunas avec des camisoles, des contentions dans des espaces plus ou moins grands… On donnait parfois un peu de bromure, des sels.

Et qu’advenait-il des cas moins lourds, comme les troubles anxieux ou les dépressions ?

Les gens pouvaient voir leur médecin de famille, qui essayait de les aider, mais c’était rudimentaire. Il y avait quand même tout le courant freudien, c’est-à-dire les aides psychothérapeu-tiques avec la psychanalyse et le début des psychothérapies. Ils étaient aidés de façon très humaine, mais avaient peu accès à des médicaments biologiques.

En quoi la vision de la maladie mentale a-t-elle évolué par la suite ?

Comme ça avait été le cas pour la syphilis avec la découverte des antibiotiques, on s’est dit que si l’on trouvait une cause, un germe par exemple, on pourrait soigner, traiter la maladie mentale. On a donc cherché des tas de médicaments. C’est par hasard que les premiers médicaments de psychiatrie ont été découverts. Les antipsychotiques – qu’on donne pour la schizophrénie et les délires – ont été découverts par des anesthésistes et des chirurgiens, qui se sont aperçus que ça n’endormait pas le patient, mais que ça le calmait. Pour les antidépresseurs, c’est pareil : en donnant de l’isoniazide (un antibiotique utilisé pour le traitement de la tuberculose) aux patients, on s’est aperçu que les tuberculeux tristes et déprimés s’amélioraient tous, se mettaient à rire.

À l’époque de la création du département de psychiatrie, en 1964, la psychopharmacologie suscitait de grands espoirs. A-t-elle été à la hauteur de ces espoirs ?

Je dirais que oui. Les conditions avant les médicaments psychiatriques étaient épouvantables. Des salles communes où tout le monde criait, s’agitait… Les neuroleptiques – des antipsychotiques – ont transformé le paysage de la schizophrénie et des délires. On a diminué les symptômes et permis aux gens d’avoir une vie sans être enfermés. Ça, c’était immense. Les antidépresseurs ont aussi permis aux gens, au bout de deux ou trois semaines, de sortir d’une humeur mélancolique alors qu’auparavant, ils pouvaient rester des années mélancoliques et se suicider. Il y a eu d’autres familles : les normalisateurs de l’humeur (avec le lithium) et les anxiolytiques pour traiter les troubles anxieux. Ce qui se passe, 50 ans plus tard, c’est qu’on est toujours avec les mêmes familles, pratiquement les mêmes mécanismes. Il y a comme un plafonnement de la pharmacologie.

Pourquoi ? Est-ce lié à un manque de ressources ou d’intérêt ?

Ce qu’on sait, c’est qu’il y a une explosion des connaissances et de l’évolution en neuroscience : on approfondit un peu plus les choses, on ne se limite plus aux neurones et à ce qui entoure le neurone. On s’intéresse aussi au phénomène inflammatoire dans le cerveau, aux infections… Et il y a toute l’évolution en neurodévelop-pement, comment les cellules gravitent pour se placer au bon endroit, comment elles se font des liaisons entre elles. Toutes ces découvertes n’aboutissent pas, pour l’instant, à un nouveau médicament ou une nouvelle façon de traiter, mais il y a beaucoup de recherches.

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