RÉFLEXION

Du progrès social et de la légalité

La Révolution française était tout ce qu’il y a de plus illégal.

C’est pourtant ce qui a donné la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle-même en partie inspirée du Bill of Rights utilisé dans la non moins illégale Révolution américaine. Qui oserait dire aujourd’hui, à part de ridicules « légitimistes », que les révolutionnaires et surtout, les auteurs de ces déclarations avaient tort ?

L’esclavage était tout ce qu’il y avait de plus légal pendant des siècles. Les personnes qui abritaient et protégeaient les esclaves en fuite commettaient un geste illégal susceptible d’être condamné par la loi. Les esclaves qui se rebellaient étaient, s’ils étaient pris, condamnés à des supplices quand ce n’était pas la mort.

Qui oserait prétendre de nos jours, à part de monstrueux racistes, que les esclaves et ceux qui protégeaient leur fuite avaient tort ?

La grève et même les syndicats étaient tout ce qu’il y avait d’illégal au milieu du XIXe siècle. On arrêtait les syndicalistes pour fomentation de trouble, on les emprisonnait, on fusillait même les grévistes, tout cela sous la protection bienveillante de la loi. Qui oserait prétendre à notre époque, à part des sans-cœur, des égoïstes richissimes et des pervers narcissiques, que le droit de se syndiquer ne devrait pas exister ?

Le vote des femmes était tout ce qu’il y avait d’interdit. Les suffragettes ont dû contester l’ordre établi, casser des vitrines, se faire arrêter et être méprisées de tout ce qui se trouvait de bien-pensance dans la société. Qui oserait en notre temps affirmer, à moins d’être un imbécile machiste, que les femmes ne devraient pas avoir le droit de vote ?

La ségrégation raciale était tout ce qu’il y avait de légal dans de nombreux États des États-Unis et de même au Canada. La Canadienne Viola Desmond fut jetée en prison sous le prétexte vicieux d’avoir refusé de payer la taxe sur un billet de cinéma pour les Blancs alors qu’elle aurait dû s’asseoir dans la section réservée aux Noirs. L’Américaine Rosa Parks fut accusée de geste illégal pour s’être assise à l’avant du bus alors qu’on mettait les Noirs à l’arrière. Qui oserait maintenant déclarer, à part des racistes ignorants, que mesdames Desmond et Parks avaient tort ?

Le droit à l’avortement n’existait pas au Canada. Il était tout ce qu’il y a d’illégal. Il a fallu des précurseurs comme Henry Morgentaler et des audacieuses comme Chantal Daigle pour que les femmes puissent enfin disposer de leur corps librement.

Qui oserait nous faire croire à présent, à part de pauvres illuminés, que le choix d’une grossesse ne revient pas à la femme ?

L’homosexualité était tout ce qu’il y avait d’illégal au Canada jusqu’en 1969. Elle était même passible du fouet et de la prison. De même illégale aux États-Unis, sa répression a donné lieu aux célèbres émeutes de Stonewall (parfaitement illégales), qui ont été le coup d’envoi des mouvements de libération de ce qu’on appelle aujourd’hui les personnes LGBTQ, et que l’on commémore à la marche de la Fierté (aussi appelée Gay Pride). Qui, à l’heure qu’il est, à part de pauvres arriérés ignorants, oserait prétendre que l’homosexualité, documentée à toutes les époques, dans toutes les civilisations et chez toutes les espèces animales, n’est pas normale et que les personnes de même sexe n’ont pas le droit de s’aimer ?

On constate au vu de ce petit parcours historique que le progrès social a souvent, très souvent, besoin de gestes considérés comme illégaux par des bourgeois effarés.

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