AUSTIN, Texas — Peter Hotez s’inquiète de la possibilité que le « mouvement antivaccin » s’impose aux États-Unis. Et il pense que le Texas, où il habite, payera un lourd tribut si rien n’est fait rapidement pour empêcher le scénario de se réaliser.
Ce pédiatre et chercheur du Baylor College of Medecine, à Houston, note que le nombre de dérogations « pour raisons de conscience » accordées à des parents qui ne veulent pas faire immuniser leurs enfants augmente rapidement et complique l’atteinte du seuil de vaccination de 95 % recommandé pour assurer une « immunité de groupe » et empêcher le retour d’épidémies majeures.
Presque 45 000 enfants texans bénéficient aujourd’hui d’une dérogation partielle ou complète, soit 20 fois plus qu’en 2003, et ils ont tendance à être concentrés géographiquement, ce qui augmente les risques de transmission. Dans certaines écoles, plus de 20 % des élèves ne sont pas vaccinés.
En entrevue, M. Hotez s’irrite de constater qu’une étude discréditée parue en 1998 dans la revue anglaise The Lancet suggérant un lien entre l’autisme et le vaccin contre la rougeole, la rubéole et les oreillons continue notamment d’alimenter les peurs.
« À titre de spécialiste des vaccins et de parent d’une enfant adulte autiste, je suis bien placé pour tenter de contrer les folies qu’on entend à ce sujet. »
— Peter Hotez, pédiatre et chercheur
Plusieurs études d’envergure ont été menées pour démontrer de manière concluante l’absence de lien entre vaccination et autisme, rappelle le chercheur, qui s’inquiète de l’impact sur la population de thèses « pseudoscientifiques » et de « théories du complot » circulant en ligne et ailleurs.
Pour éviter de voir les taux de vaccination s’éroder trop « dangereusement », il presse les autorités texanes d’interdire les dérogations pour des raisons non médicales comme l’a fait récemment la Californie.
Les Texans et le libre choix
Cette suggestion est carrément inacceptable pour Jackie Schlegel, une résidante d’Austin qui chapeaute un groupe d’action politique appelé Texans for Vaccine Choice.
Elle l’a créé il y a quelques années après qu’un élu de la Chambre des représentants de l’État eut avancé un projet de loi visant à restreindre l’accès scolaire aux enfants disposant de dérogations non médicales. Deux de ses enfants auraient été touchés.
La proposition a été battue et plusieurs autres projets de loi visant à restreindre le « libre choix » des parents en matière de vaccination ont connu le même sort depuis, se félicite Mme Schlegel, qui fait pression sur les élus rétifs à son programme en évoquant l’attachement des Texans à la liberté individuelle.
Lors d’une rencontre près du Capitole, le siège politique de l’État, elle a d’ailleurs profité du passage d’une sénatrice pour fixer un rendez-vous avec elle.
« Nous sommes en guerre à l’heure actuelle », lance la militante, qui refuse en entrevue de dire si elle est contre toute vaccination.
La page Facebook de l’organisation relaie régulièrement des textes remettant en question la sécurité des vaccins, mais il ne faut pas y voir une manifestation de la position globale de ses membres, relève Mme Schlegel. « Plusieurs sont provaccins », relève-t-elle.
Sarah Davis, une élue républicaine qui a eu maille à partir à plusieurs reprises avec l’organisation de Mme Schlegel après avoir tenté de faire adopter des réformes favorisant la vaccination, pense que les membres de Texans for Vaccine Choice sont « 100 % antivaccination ».
L’évocation de l’attachement des Texans aux libertés individuelles est un stratagème pour faire avancer leur cause, relève la politicienne.
Beaucoup d’élus, dit Mme Davis, ne veulent pas aborder la question des dérogations par crainte d’être pris pour cible.
« Ils [les élus] n’entendent que ce groupe très engagé, très bruyant qui cherche à noyer la voix de la science et de la médecine. »
— Sarah Davis, élue républicaine
Rhonda McMahon, une résidante d’Austin qui a participé à plusieurs reprises aux actions de Texans for Vaccine Choice, est convaincue que ses deux fils auraient eu moins de problèmes de santé s’ils n’avaient pas été vaccinés durant l’enfance.
Elle pense que son fils aîné, aujourd’hui âgé de 16 ans, souffre d’autisme parce qu’il a été soumis à des adjuvants utilisés dans les vaccins, en particulier l’aluminium, qui se sont révélés « toxiques » pour lui. « Ça l’a placé sur une trajectoire qu’il n’était pas destiné à suivre », relève-t-elle.
Le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies américain (CDC), qui contrôle la sécurité des vaccins aux États-Unis, rejette tout lien de ce type, mais Mme McMahon en fait peu de cas dans la mesure où elle se dit convaincue que l’organisation manipule les données pour servir les intérêts des compagnies pharmaceutiques.
Carrie Elsass, une autre militante de Texans for Vaccine Choice qui habite à Georgetown, une paisible et confortable banlieue d’Austin, est aussi convaincue qu’un de ses fils a développé des symptômes d’autisme en bas âge après avoir été vacciné. Elle aussi rejette les conclusions de la CDC à ce sujet et remet en question la probité de l’organisation en évoquant les critiques émanant d’anciens chercheurs.
Cette mère de famille pense que le corps de son enfant était incapable de composer avec les vaccins et les adjuvants qu’ils contenaient. Après avoir fait des recherches, elle a stoppé toute vaccination et revu son alimentation avec l’aide d’un pédiatre ayant une approche plus « holistique ».
« Il n’a pas reçu d’antibiotiques et n’a pas développé d’infections depuis l’âge de 3 ans », a-t-elle indiqué à La Presse.
« Je ne pense pas que j’ai besoin de vaccins. Je pense que je me sentirais moins en forme que maintenant », dit son fils.
Tant Mme McMahon que Mme Elsass accusent les médias d’ignorer les études qui dérogent à la position des grandes organisations sanitaires comme la CDC et l’Organisation mondiale de la santé en matière de vaccination. « Il ne faut pas qu’il y ait de vache sacrée », dit-elle.
Peter Hotez estime que nombre d’études citées par les critiques des vaccins pour étayer leurs positions sont de petite taille et donc peu significatives ou ne sont tout simplement pas pertinentes à la discussion. Elles ne fournissent pas globalement, dit-il, une explication crédible des risques qu’elles prétendent démontrer.
Les peurs des critiques des vaccins contribuent quoi qu’il en soit aux demandes de dérogations au Texas et ailleurs et font diminuer le taux de couverture global, ce qui représente une source d’angoisse, dit M. Hotez, pour les parents de jeunes enfants qui n’ont pas terminé leur vaccination.
« Une mère qui se rend dans un centre commercial avec son bébé doit se demander si elle va l’exposer à un virus dangereux », relève le chercheur, qui presse la classe politique texane d’agir pour corriger la situation.
« Je pense que les choses ne changeront que si nous sommes aux prises avec une épidémie meurtrière », souligne la députée Sarah Davis.