Extrait

EXTRAIT DE LA VIE AMOUREUSE DE NATHANIEL P.

« Parfois, il se demandait s’il n’était pas un peu misogyne. Au cours des années, différentes femmes lui avaient reproché d’admirer presque toujours des écrivains morts, blancs et de sexe masculin. Elles s’en plaignaient avec une jubilation accusatrice, mais Nate n’y attachait guère d’importance. Pendant la plus grande partie de l’Histoire, des barrières systémiques avaient empêché les femmes de faire des études et de saisir leur chance. Elles n’avaient pas beaucoup écrit. »

Roman psychologique Adelle Waldman

Sexe à Brooklyn

La vie amoureuse de Nathaniel P.

Adelle Waldman

L’Olivier, 330 pages

Amateurs (et amatrices) de romans psychologiques, réjouissez-vous. La vie amoureuse de Nathaniel P., premier roman de la journaliste new-yorkaise Adelle Waldman, explore les relations amoureuses des jeunes trentenaires de Brooklyn à travers les yeux d’un homme.

Nate, 30 ans, a fortement déstabilisé la critique américaine. Antipathique, certes, ce narrateur ne semble en effet guère aimer les femmes, qu’il collectionne pourtant sans effort. Cependant, la plume d’Adelle Waldman évite la caricature, mais donne chair à un homme qui est loin d’être idéal (et idéalisé). La Presse s’est entretenue avec cette trentenaire qui cite, parmi ses influences, Jonathan Franzen et Stendhal.

Vous avez écrit ce premier roman du point de vue d’un narrateur masculin, Nate, 30 ans. Pourquoi ?

Il y a eu plusieurs raisons, j’imagine. L’une d’entre elles, c’est que j’ai lu beaucoup de livres avec un narrateur masculin, beau, intelligent, qui a des aventures à New York, écrits par un homme. Mais j’avais l’impression que les personnages étaient peut-être bien décrits, mais que l’auteur était trop empathique. Cela ne reflétait pas vraiment mon expérience ou celle que mes amies pouvaient avoir eue. Avec ce roman, je voulais être juste.

Dans votre roman, on peut trouver en effet une certaine justesse dans le personnage de Nate et ses réflexions. Mais comment avez-vous pu vous assurer de trouver le bon ton ?

C’est vrai que j’ai eu un bon retour pour ce qui est de la justesse du personnage. C’était important, parce qu’un livre comme celui-ci dépend de la voix de son narrateur. Sans cela, il s’écroule complètement. Mes frères, mon mari et des auteurs ont lu les épreuves, et cela m’a fait chaud au cœur parce que beaucoup m’ont dit qu’ils se voyaient en Nate. Dans ce genre de roman, psychologique, où il est question de relations, avoir Nate m’a permis de rester objective. Ce n’est pas une version de moi-même, on ne se ressemble pas. Mon but était d’être juste avec lui, de pouvoir expliquer ses raisons derrière son comportement.

Certaines réflexions font pourtant peur – qu’on soit en couple ou non, on pense à nos relations du passé et on se dit : si les hommes pensent comme ça, ça fait peur !

Je sais, j’ai moi aussi eu peur quand je voyais ce que j’écrivais, que Nate pense aux femmes et qu’il les note sur leur physique, parce que c’est comme ça qu’il les voit et que l’avis de ses amis et très important pour lui. Parfois j’écrivais, et j’étais ensuite fâchée contre mon mari, qui est pourtant l’homme le plus gentil du monde ! J’ai trouvé ça dur à lire, mais bizarrement, en écrivant, je gardais une distance très neutre.

Nate, aussi insupportable soit-il dans ses relations amoureuses, semble bien s’en tirer à la fin de votre roman. Pourquoi ?

C’était important pour moi d’avoir quelque chose de réaliste. Je savais que je ne pourrais pas écrire que toutes les ex de Nate le kidnappent et lui font comprendre qu’il est un salaud ! J’ai repensé aux hommes que j’ai fréquentés et je me suis dit : il y a assez peu de choses qui se passent à la fin. Mais Nate paie quand même le prix fort. Pour lui, c’est de ne pas développer d’empathie. Il ne grandit pas. C’est subtil, mais c’est ce qui va lui arriver.

Sous votre plume, on sent que Nate est attiré par une femme parce qu’elle est belle, plutôt qu’intelligente.

Je suis souvent choquée de lire, même dans des livres que j’aime beaucoup et qui sont écrits par des hommes, que leurs personnages masculins ne parlent pas de trouver une personne qui est intelligente. Ils parlent plutôt beaucoup de leur physique. Alors que les femmes décrivent l’importance de trouver quelqu’un avec qui elles partagent quelque chose d’intellectuel.

Votre roman est clairement situé dans le milieu intello de Brooklyn. Ce cadre était-il important dans votre démarche ?

Je n’aurais pas pu situer mon roman dans le passé ou dans une ville que je ne connais pas. Au début, je me disais « j’écris déjà du point de vue d’un homme, je vais m’épargner les problèmes ». Mais en écrivant, j’ai commencé en pensant écrire sur les questions de genre et d’amour. Je ne pensais pas écrire sur Brooklyn ni sur le monde littéraire. Mais je me suis rendu compte que je ne pouvais pas ignorer le décor.

Vu d’ici, on a l’impression que Brooklyn remplace Manhattan comme décor pour la télévision ou le cinéma…

Dans les dernières années, c’est vrai que c’est particulièrement le cas. Manhattan est devenu trop cher donc, dans les années 90, les gens ont commencé à s’y installer alors que c’était encore un peu dangereux. Mais maintenant, c’est devenu très populaire. Pour vous donner un exemple, je rencontre une amie ce soir et on se voit à Manhattan, tout simplement parce qu’on veut être sûres d’être tranquilles. À Brooklyn, on ne peut jamais sortir sans rencontrer quelqu’un du monde de l’édition.

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