Santé mentale des jeunes

LE GUICHET CUL-DE-SAC

Le guichet d’accès en santé mentale est un « cul-de-sac », dénoncent des familles en quête de services pour leur enfant. Faute de recevoir l’aide appropriée, Laurie, 14 ans, a vécu huit ans avec le mauvais diagnostic ; Delphine, 9 ans, a atterri aux urgences en ambulance sous contention. Une réforme du guichet s’impose, croit pour sa part l’Association des médecins psychiatres du Québec. 

Une enquête de Caroline Touzin et de Katia Gagnon

Enquête Santé mentale

Des histoires « terribles » et « inacceptables »

Inquiète que son fils de 9 ans se blesse ou, pis encore, se tue, Edith Lemery Frenette débarque aux urgences du CHU Sainte-Justine avec son garçon un soir de mars 2018.

Félix vient de démolir sa chambre pendant plus de deux heures en criant que la vie ne sert à rien et qu’il veut mourir.

Ce n’est pas sa première crise. À 4 ans, il s’est déjà planté une fourchette dans la tête pour exprimer sa souffrance de vivre.

Mais plus il grandit – et devient fort –, plus ses parents ont peur des blessures qu’il peut s’infliger.

« Félix a toujours été un enfant difficile », résume son père Maxime Bellemare.

Au CHU Sainte-Justine ce soir-là, une infirmière explique à la mère et à son enfant qu’il n’y a pas d’équipe d’urgence psychiatrique après 16 h.

La Presse a pu confirmer cette information auprès de la porte-parole de l’établissement pédiatrique, Florence Meney. L’équipe composée d’un psychiatre et d’un professionnel spécialisé est en poste du lundi au vendredi, de 8 h à 16 h. Toutefois, le soir et la fin de semaine, un psychiatre est de garde, précise Mme Meney, sans être en mesure de commenter le cas de Félix.

« On m’a dit que j’aurais dû venir le jour. Comme si j’avais un contrôle sur les crises de mon fils. »

— Edith Lemery Frenette, mère de Félix

Aux urgences, l’infirmière vérifie si Félix a un plan pour se suicider. Il répond qu’il n’en a pas. « Je ne pense pas qu’il a compris ce que l’infirmière voulait dire », raconte la maman. Il ne verra pas le psychiatre de garde.

Déjà, Félix s’était calmé durant le trajet d’une heure en voiture – la famille vit dans les Laurentides – pour se rendre à l’hôpital.

L’infirmière suggère à la famille d’attendre jusqu’au lendemain matin dans une salle dans l’espoir de voir un psychiatre – rien de garanti, toutefois. Si elle veut partir, on lui recommande de communiquer avec son CLSC. Épuisés, la maman et le garçon choisissent la seconde option.

Dès le lendemain, Mme Lemery Frenette contacte le guichet d’accès en santé mentale de sa région – située dans le CISSS des Laurentides. Dans les jours suivants, le médecin de famille du garçon fait aussi une demande pour que l’enfant soit évalué en pédopsychiatrie par le truchement du même guichet.

Un an plus tard, le garçon attend toujours.

« On a reçu de l’aide du CLSC quand Félix était petit pour l’apprentissage de la propreté parce qu’il souillait sa culotte alors que les autres enfants étaient propres. Mais là, il dit qu’il veut mourir – à 10 ans –, puis on n’a pas d’aide. C’est à n’y rien comprendre », dénonce la maman qui raconte qu’elle est elle-même en train d’y perdre sa santé, rongée par l’inquiétude.

Le cas de Félix n’est pas exceptionnel. Dans cette enquête, La Presse vous raconte aussi l’histoire de Laurie, qui a vécu huit ans avec le mauvais diagnostic – et la mauvaise médication – en attendant de consulter un pédopsychiatre (lire son histoire dans le 4e onglet du dossier).

Et aussi l’histoire de Delphine, 9 ans, que la directrice d’école a envoyée en ambulance, sous contention – avec l’accord des parents –, dans l’espoir qu’elle reçoive enfin les soins dont elle a besoin après trois ans d’attente (lire son histoire dans le 5e onglet du dossier).

La Presse a demandé à Félix et aux deux autres enfants dont on raconte l’histoire dans cette enquête de dessiner leur autoportrait. Le garçon de 10 ans aux cheveux longs et au sourire craquant s’est spontanément représenté en Hulk, le personnage de fiction de Marvel qui a de la difficulté à contrôler ses transformations lors de ses accès de colère.

« Ces histoires que vous me décrivez sont terribles ; inacceptables », lance le psychiatre Olivier Farmer. Tous ces « chemins de croix » – l’expression est du psychiatre – démontrent un « dysfonctionnement systémique », déplore le médecin, membre d’un comité formé par l’Association des médecins psychiatres du Québec (AMPQ) qui plaide pour une réforme des guichets d’accès en santé mentale (adulte et jeunesse).

Le constat du comité fait écho aux critiques des familles : « L’application inégale sur l’ensemble de la province des normes sur la structure et les fonctions des guichets d’accès entrave l’accès aux services. »

Dans certaines régions, les guichets ont rempli leurs objectifs de préserver les ressources en psychiatrie pour les cas les plus lourds et complexes, et de considérablement réduire les délais d’attente ; mais dans d’autres, les guichets « n’arrivent tout simplement pas à remplir leur rôle », faute de personnel suffisant, souligne le Dr Farmer.

Des guichets n’ont même pas de psychiatre répondant pour offrir un soutien aux médecins de famille qui envoient des patients. Leur fonctionnement se limite à une préévaluation des cas par une infirmière et la constitution de listes d’attente, déplore le psychiatre dont le comité vient de déposer ses recommandations au ministère de la Santé et des Services sociaux.

Et si c’était un cancer ?

Si leur enfant avait un cancer, attendraient-ils aussi longtemps ? demandent les familles interviewées dans le cadre de cette enquête.

« L’analogie entre le cancer et les maladies mentales est adéquate. Dans les deux cas, il y a urgence d’agir. Si on n’agit pas, ça va empirer et ça entraîne des conséquences terribles ou la mort », affirme le Dr Farmer.

« Pour les cancers, il y a des protocoles de traitement qui doivent se faire à l’intérieur d’une fenêtre de temps limitée. Je ne comprends pas pourquoi ce n’est pas comme ça en santé mentale. »

— Le Dr Olivier Farmer, psychiatre

Revenons à l’histoire de Félix. Après la crise qui a mené le garçon de 9 ans aux urgences, un psychologue scolaire accepte de l’évaluer et conclut à un « haut potentiel intellectuel » (douance). Informé de ce diagnostic, le CLSC finit par rappeler Mme Lemery Frenette – en juin, donc quatre mois après avoir placé l’enfant sur une liste d’attente – pour lui annoncer que son fils doit changer de liste.

« On ne sait même plus ce qu’on attend exactement, déplore la maman de Félix. On nous dit que la douance n’est pas traitée par le département de santé mentale, mais celui du psychosocial. Et on ne sait même pas ce qui arrive avec la requête en pédopsychiatrie. »

Incapables de se résoudre à voir leur fils souffrir sans rien faire, les parents se tournent vers une clinique privée de psychologie. Ils se heurtent à un autre mur. Là aussi, il y a des mois d’attente.

Pendant ce temps, Félix continue de dire qu’il serait mieux mort. À 10 ans.

***

Les parents ne sont pas les seuls à critiquer les guichets. Des médecins de famille et des pédiatres se plaignent aussi du « parcours du combattant » qu’ils doivent entreprendre lorsqu’ils envoient un patient à un psychiatre pour une opinion, un suivi ou une prise en charge.

« La santé mentale est le parent pauvre d’un système de santé à bout », lance la Dre Suzanne Villeneuve, omnipraticienne dans un groupe de médecine familiale (GMF) sur le territoire du CISSS Montérégie-Centre.

« D’abord, il faut remplir un formulaire exhaustif que nous retournons au guichet d’accès première ligne en santé mentale du CLSC, comme si nous, médecins, étions de la ligne 0. Quelques semaines plus tard, nous recevons une missive nous spécifiant si le patient sera évalué ou non par une travailleuse sociale, une infirmière, ou si la demande ne peut être acceptée, décrit la Dre Villeneuve. Lorsque le patient est évalué, il est alors décidé s’il est référé ou non à un psychiatre. Si c’est le cas, il sera mis sur une liste d’attente et ne sera vu par ce médecin spécialiste que plusieurs mois plus tard. C’est aberrant. »

Durant toute cette attente, le patient souffre, insiste-t-elle. « Comme médecin de famille, je suis là pour lui fournir le support nécessaire, mais si j’ai cru qu’il fallait le référer, c’est que j’avais atteint la limite de mes ressources », souligne la Dre Villeneuve.

« Guichet de blocage »

Le pédiatre Guy Falardeau, qui pratique dans la région de Québec, désigne carrément le guichet d’accès en santé mentale comme un guichet de « blocage ». 

« On veut éviter d’avoir des consultations inutiles en pédopsychiatrie, et ce faisant, on bloque des consultations justifiées », dénonce le Dr Falardeau.

La pédopsychiatre Odile Lapierre comprend cette perception de « blocage ». La médecin spécialiste a démissionné de l’hôpital montréalais où elle travaillait jusqu’à l’automne 2016 – le pavillon Albert-Prévost de l’hôpital du Sacré-Cœur – en raison d’un « malaise éthique », dit-elle. « Avec la réforme Barrette et les coupes de personnel dans le réseau qui en ont découlé, j’avais le sentiment que la gestion de la liste d’attente était la principale priorité au détriment de la qualité des soins », raconte-t-elle. 

Cette situation lui apparaissait « incompatible » avec la qualité des services à offrir, de surcroît dans un hôpital universitaire. « Il faut se préoccuper de la liste d’attente, mais dans une optique d’accessibilité aux soins ; les patients doivent garder leur accès au psychiatre et il faut leur offrir le traitement dont ils ont besoin, et non pas les retourner au plus vite à leur médecin dans le but de réduire la liste », plaide la médecin spécialiste.

La Dre Lapierre, qui partage aujourd’hui son temps entre trois cliniques, voit régulièrement atterrir dans son bureau de jeunes patients qui ont besoin de consulter un pédopsychiatre, mais dont la requête au guichet d’accès a été refusée. 

« J’ai déjà reçu un jeune qui avait des idées suicidaires importantes et dont la requête faite par son pédiatre au guichet avait été refusée à deux reprises, sous prétexte que le pédiatre lui donnait des antidépresseurs et que le patient était donc déjà “pris en charge”, décrit-elle. Je l’ai envoyé vers l’urgence psychiatrique où le jeune a été gardé une semaine. Et ce n’est malheureusement pas un cas isolé. »

Besoin d'une réforme

Le président du comité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’AMPQ, le Dr Frédéric Charland, n’aime pas le terme « blocage », même s’il considère aussi qu’une réforme du guichet s’impose.

Trop d’enfants et d’ados ayant des difficultés psychosociales (problèmes d’anxiété ou trouble d’adaptation non spécifié, par exemple) atterrissent à l’hôpital parce que les « guichets d’accès ne remplissent pas leur rôle », affirme le pédopsychiatre, qui pratique aussi dans la région de Québec.

Environ la moitié des jeunes qui le consultent dans une semaine type à l’hôpital n’ont pas besoin d’un psychiatre, mais de services psychosociaux, ajoute-t-il.

Pour tout le Québec, il y a 200 pédopsychiatres. « Pendant qu’on voit des enfants qui auraient besoin d’un suivi avec un travailleur social, un psychologue ou un psychoéducateur, on ne traite pas les cas les plus lourds pour lesquels les listes d’attente s’allongent, illustre le Dr Charland. Comprenons-nous bien : tous ces jeunes sont souffrants, mais ils n’ont pas tous besoin d’une expertise psychiatrique pour des traitements pharmacologiques. »

Enquête Santé mentale

Temps d'attente ? Aucune idée !

Quel est le délai d’attente moyen au Québec pour un jeune qui a besoin d’une consultation en pédopsychiatrie, ou alors d’un suivi avec un psychologue dans le réseau public ? C’est la question, en apparence simple, que nous avons posée au ministère de la Santé en novembre dernier. Six mois plus tard, une conclusion s’impose : on l’ignore.

Au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), ce chiffre n’existe tout simplement pas. On dit suivre les performances des centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS) et des centres intégrés universitaires de santé et de services sociaux (CIUSSS) à l’aide d’un critère sur le pourcentage de la clientèle qui bénéficie d’un premier service de nature psychosociale à l’intérieur d’un délai de 30 jours. Tous les CISSS et CIUSSS doivent fournir ce chiffre, qui inclut tous les services psychosociaux (psychologue, travailleur social, psychoéducateur). Cependant, il n’indique aucunement le temps d’attente moyen du point de vue de l’usager et il ne dit rien sur la psychiatrie.

Comment se fait-il que le MSSS ait l’heure juste, par exemple, sur le nombre de patients en attente au guichet unique pour l’accès à un médecin de famille, mais pas pour les patients en attente d’un service en santé mentale ? Les deux guichets n’ont pas le même objectif, répond Marie-Claude Lacasse, porte-parole au MSSS.

« Le guichet en santé mentale est un service d’orientation dans les établissements vers une ressource appropriée en santé mentale. Les gens ne “restent pas en attente” au guichet d’accès en santé mentale. »

— Marie-Claude Lacasse, porte-parole au MSSS

« Et l’autre, poursuit-elle, est un service unique qui gère les personnes en attente d’un médecin de famille, par priorité, et leur attribue un médecin. »

Demandes aux 22 CISSS et CIUSSS

Pour obtenir une réponse à notre question, nous avons donc fait, en février dernier, la demande auprès de chacun des 22 CISSS et CIUSSS du territoire québécois. Deux mois après notre demande, 17 nous avaient répondu, avec des données qui varient considérablement d’un établissement à l’autre.

Certains d’entre eux n’avaient absolument aucun chiffre à nous fournir. C’est le cas, par exemple, du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal. « Nous ne possédons pas de document existant correspondant aux critères de votre demande », stipule la lettre de réponse de Marie-Ève Lemieux, responsable de l’accès. 

D’autres, comme le Centre hospitalier universitaire de Québec, se sont bornés à nous envoyer en vrac une liste de dates de demandes de consultation, sans aucune compilation. « Les listes d’attente sont tenues manuellement, ce qui explique l’absence d’homogénéité dans les documents transmis », précise-t-on.

Les bons élèves, et ils sont rares, indiquent clairement le temps moyen d’attente qui s’écoule entre la demande et « l’assignation » d’un dossier, ce qui ne veut pas dire que le patient ait reçu de service, mais que son dossier s’est ajouté à la pile de dossiers gérés par un professionnel. C’est le cas du CISSS des Laurentides, qui collige les données pour chacun de ses territoires de service. Au total, en moyenne, un enfant attend donc 169 jours (5,6 mois) pour que son dossier soit assigné en pédopsychiatrie dans cette région, et 153 jours (5,1 mois) dans le cas de la psychologie.

La plupart des CISSS ou CIUSSS trient les demandes par priorité. La priorité 1, la plus urgente, c’est là où le temps d’attente est généralement le plus bas. Au CISSS de la Gaspésie, par exemple, les enfants en attente de services de pédopsychiatrie classés en priorité 1 attendent en général trois mois pour obtenir des services, alors que les cas de priorité 3, moins urgents, patientent en général cinq mois.

Un psychoéducateur en santé mentale jeunesse dans un CLSC – qui a requis l’anonymat par crainte de conséquences professionnelles – nous a dit assister à la multiplication des « drames silencieux » sur ces listes d’attente en santé mentale. 

« Je reçois régulièrement des dossiers en attente depuis plus de 12 mois… des enfants qui, selon notre code de priorité, devraient être vus en moins de trois semaines. Des enfants, ça évolue en 12 mois ! Ça échoue une année scolaire ! », témoigne-t-il.

« Je demande des nouveaux dossiers à mon patron dès que j’ai une place à mon horaire, et les dates d’inscription des dossiers que je prends en charge ne cessent de reculer », raconte-t-il. 

Mais il aimerait bien que l’attention se détourne parfois des urgences qui débordent pour parler aussi de ces enfants tellement anxieux qu’ils cessent de manger ou qu’ils souillent leurs culottes à 11 ans, ou alors de ces ados, paralysés par leurs échecs, qui refusent de sortir de leur sous-sol.

Apprendre à gérer ses émotions sur les bancs d’école

Les psychiatres militent pour que des cours d’éducation à la santé mentale soient inclus dans le programme scolaire québécois. « Il faut commencer à enseigner aux enfants dès le primaire des stratégies pour gérer leurs émotions et résoudre des conflits. Ce faisant, nous pourrions intervenir plus efficacement sur les facteurs psychosociaux influant dans le développement des troubles anxieux, des troubles de la personnalité, des troubles de l’humeur, afin d’en prévenir la prévalence et l’aggravation », affirme le président du comité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’Association des médecins psychiatres du Québec, le Dr Frédéric Charland. « Les guichets d’accès en santé mentale seraient peut-être moins débordés, avance le Dr Charland. Si les cas plus légers ne se trouvaient pas sur les listes d’attente parce que les enfants ont les outils nécessaires pour reconnaître et gérer leurs émotions, les cas plus lourds attendraient moins longtemps. »

— Caroline Touzin, La Presse

ATTENTE EN PÉDOPSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE POUR LA CLIENTÈLE JEUNESSE

1. Gaspésie

Pédopsychiatrie : de 90 jours (en priorité 1) à 180 jours (en priorité 3)

Psychologie : en moyenne 6 mois

2. Chaudière-Appalaches

Pédopsychiatrie : jusqu’à 4 mois

Psychologie : jusqu’à 8 mois

3. Îles-de-la-Madeleine

Pédopsychiatrie : jusqu’à 18 mois

Psychologie : jusqu’à 14 mois

4. Saguenay–Lac-Saint-Jean

Pédopsychiatrie : jusqu’à 7 mois pour les cas de troubles envahissants du développement ; jusqu’à 4 mois pour les autres cas

Psychologie : en moyenne 26 jours

5. Montérégie-Centre

Pédopsychiatrie : en première ligne, en moyenne 26 jours ; en deuxième ligne, en moyenne 51 jours

Psychologie : pas de données fournies

6. Montérégie-Est

Pédopsychiatrie : le CISSS n’a pas fourni de chiffre pour la pédopsychiatrie, mais le délai moyen d’attente est de 74 jours pour les services psychiatriques

en général

Psychologie : de 2 jours (en priorité 1) jusqu’à 23 mois en priorité 4

7. Outaouais

Aucune donnée fournie sur les temps d’attente

8. Bas-Saint-Laurent

Pédopsychiatrie : les usagers classés en priorité 1 n’attendent pas, ceux qui sont classés en priorité 2 peuvent patienter jusqu’à 68 jours

Psychologie : en moyenne 140,8 jours

9. Capitale-Nationale

Pédopsychiatrie ou psychologie : jusqu’à 14 mois

10. Centre hospitalier universitaire de Québec

Pédopsychiatrie : aucune donnée fournie

Psychologie : jusqu’à 14 mois

11. Estrie

Pédopsychiatrie : délai moyen de 2 mois pour la clientèle ordinaire et de 7 mois pour la clientèle en troubles envahissants du développement

Psychologie : jusqu’à 4 semaines en clinique externe et en moyenne 12 mois pour la clinique d’évaluation en troubles du spectre de l’autisme

12. Laurentides

Pédopsychiatrie : en moyenne 169 jours

Psychologie : en moyenne 153 jours

13. Mauricie

Pédopsychiatrie et psychologie : en moyenne 33 jours

14. Est de Montréal

Pédopsychiatrie : pas de données précises pour la clientèle jeunesse, mais selon le type de problème, les délais généraux en psychiatrie vont de 41 à 150 jours pour une évaluation psychiatrique. Les cas de priorité 5 peuvent patienter en moyenne 244 jours.

Psychologie : entre 45 et 75 jours

15. Lanaudière

Pédopsychiatrie : en moyenne 97 jours

Psychologie : aucune donnée fournie pour la clientèle jeunesse, mais les délais se situent entre 67 et 327 jours en moyenne pour la clientèle adulte.

16. Nord de Montréal

Aucune donnée fournie

17- Centre-sud de l’île de Montréal

Aucune donnée spécifique sur la clientèle jeunesse

Enquête Santé mentale

Le faux diagnostic de Laurie

À 6 ans, Laurie* a reçu un diagnostic de TDAH. Elle a pris des médicaments jusqu’à l’âge de 14 ans. Sauf qu’elle n’avait pas de TDAH.

Laurie a un trouble du spectre de l’autisme (TSA).

Elle a vécu huit ans avec un mauvais diagnostic.

Durant toutes ces années, la maman de Laurie, appuyée par le pédiatre de l’enfant, le Dr Guy Falardeau, a pourtant insisté pour qu’elle soit vue en pédopsychiatrie.

Le médecin a fait plusieurs requêtes en ce sens au guichet d’accès en santé mentale.

Or, il a fallu que Laurie atteigne le « fond du baril » et atterrisse dans un centre jeunesse pour qu’un pédopsychiatre accepte de réviser le diagnostic de TDAH.

Son histoire illustre à quel point le guichet d’accès en santé mentale – censé faciliter l’accès aux services en santé mentale – est « un désastre », affirme le DFalardeau.

« Je considère que c’est un échec du système de santé. [...] L’obsession du TDAH, que je trouve omniprésente dans notre société, a certainement nui. À partir du moment où ce diagnostic tombe, on ne regarde pas plus loin. »

— Le Dr Guy Falardeau, pédiatre et auteur du livre Tout ce qui bouge n’est pas TDAH

De nombreux patients se voient refuser l’accès à un psychiatre lorsqu’une évaluation a déjà été faite dans le passé en première ligne ou encore par un psychiatre, en dépit de problèmes persistants qui requièrent une réévaluation, confirme la pédopsychiatre Odile Lapierre, qui a travaillé en milieu hospitalier – et qui partage aujourd’hui son temps entre trois cliniques de Montréal. 

« Je vois beaucoup d’enfants et d’adolescents ayant reçu un diagnostic de TDA qui, au final, ont un TSA ou des troubles d’apprentissage non diagnostiqués », ajoute la médecin spécialiste. 

Signaux clignotants ignorés

À 4 ans, Laurie, « pour un simple non, se [lance] par terre ; elle se [tire] les cheveux », raconte sa maman, Anne. À la garderie, elle a beaucoup de difficulté à se faire des amis.

Une fois à la maternelle, les crises de Laurie s’aggravent.

En première année, la petite se fait souvent sortir de la classe parce qu’elle n’écoute pas. L’enfant est alors évaluée par une psychologue scolaire qui conclut à un TDAH.

Toutefois, celle-là même qui conclut au TDAH prend soin d’ajouter qu’une demande de consultation en pédopsychiatrie doit être envisagée en raison du comportement anxieux et opposant de l’enfant. Malgré ces premiers signaux clignotants, rien ne bouge.

La petite commence la médication pour traiter le TDAH. Durant deux ans, elle semble mieux aller.

Puis à huit ans et demi, « tout explose », décrit la maman. « Je recevais des appels de l’école deux ou trois fois par semaine. Laurie se faisait sortir de la classe, elle grimpait sur les classeurs, elle crachait, elle se cachait dans les cases, elle battait d’autres enfants. »

Son pédiatre fait donc une requête au guichet d’accès en santé mentale pour une évaluation plus poussée en soulignant que, selon lui, le trouble d’opposition prédomine sur le TDAH chez Laurie. Il demande aussi une évaluation en psychologie au CLSC et un suivi de l’anxiété. Nous sommes en juillet 2013.

Cela prend deux mois au guichet d’accès pour… refuser la demande. Les symptômes ne justifient pas une consultation en psychiatrie ni un suivi psychologique pour l’anxiété, répond l’infirmière du guichet d’accès**.

Trois changements d’école

Pendant ce temps, l’état de Laurie continue de se détériorer. Elle est forcée de changer trois fois d’école en un an en raison de son comportement agressif. Elle tente même d’étrangler un autre enfant au service de garde.

Le pédiatre de Laurie revient alors à la charge avec une autre demande au guichet d’accès pour une consultation en pédopsychiatrie. Nous sommes en octobre 2013.

Ce n’est finalement que neuf mois plus tard, en juillet 2014, que Laurie est hospitalisée d’urgence pour six semaines au Centre de pédopsychiatrie du CHU de Québec. « Mais dès son arrivée à l’hôpital, elle est tellement agitée et impulsive que le TDAH est considéré comme évident et on ne fait qu’ajuster la médication pour le TDAH », raconte le Dr Falardeau.

Le pédopsychiatre recommande que l’enfant soit pris en charge par un psychologue, mais la demande ne se concrétise jamais.

Les années passent et se ressemblent. Entre deux « explosions » où sa maman l’emmène aux urgences désespérément à la recherche d’aide pour sa fille, Laurie connaît des périodes d’accalmie.

« Les psychostimulants aident à diminuer les symptômes, alors si ces symptômes sont d’ordre neurologique [TDAH], on fait la bonne chose en les prescrivant. Mais quand les symptômes sont d’un autre ordre [trouble d’opposition, anxiété, etc.], on ne fait que masquer le vrai problème, décrit le pédiatre. C’est la triste histoire de Laurie et de plusieurs autres patients que j’ai vus dans ma carrière. »

Une fois au secondaire, Laurie commence à exprimer des idées suicidaires. À s’automutiler. À diffuser des photos d’elle nue sur les réseaux sociaux. À voler sa mère. Rien ne va plus. Elle refait des séjours aux urgences psychiatriques où personne ne remet en question le diagnostic de TDAH.

À l’âge de 13 ans, Laurie est placée en centre jeunesse dans une unité de jeunes délinquantes. Au bout du rouleau, en arrêt de travail depuis deux ans, sa mère la confie volontairement à la DPJ.

Le pédiatre revient alors à la charge pour que le diagnostic de TDAH soit révisé. Encore une fois, il se heurte à de la résistance. Un comité de la DPJ auquel siège entre autres un pédopsychiatre décide qu’une consultation en pédopsychiatrie n’est pas nécessaire.

Le pédiatre insiste encore et obtient gain de cause. Une pédopsychiatre accepte d’évaluer Laurie et conclut que l’ado n’a pas de TDAH… mais bien un TSA.

Nous sommes à l’automne 2018 ; cinq ans après la première requête au guichet d’accès.

« C’est inhumain qu’on ait attendu aussi longtemps pour comprendre ce qu’avait Laurie. Si elle avait eu un cancer, est-ce que ç’aurait été aussi long à trouver ? »

— Anne, mère de Laurie

« Si Laurie avait eu accès à un pédopsychiatre dès le départ, je suis convaincu qu’elle ne se serait pas ramassée en centre jeunesse », conclut son pédiatre, le Dr Falardeau.

* La loi nous interdit d’identifier Laurie puisqu’elle est sous la protection de la jeunesse.

** La Presse a eu accès à tous les documents concernant les démarches faites au guichet d’accès en santé mentale jeunesse et en pédopsychiatrie dans le dossier de Laurie.

Enquête Santé mentale

« Maman ne va pas te laisser tomber »

Quand les ambulanciers arrivent à l’école de Delphine cet après-midi-là, l’enfant de 9 ans est en crise.

Ce n’est pas sa première, mais celle-ci est particulièrement violente.

La petite réussit vraiment bien à l’école, mais elle s’oppose à tout. Tout le temps.

C’est une enfant très anxieuse. Elle craint que sa maison prenne feu lorsque sa mère allume le four. Elle a peur de se noyer à l’heure du bain si son père a le malheur de remplir un peu trop la baignoire. Elle pense qu’elle va se faire kidnapper par un inconnu si la porte de sa maison n’est pas verrouillée.

Ce jour-là, Delphine vient de frapper l’éducatrice spécialisée de l’école qui tentait de l’empêcher de s’enfuir. Elle a aussi cogné la tête d’un autre élève de sa classe contre un bureau, car ce dernier « la dérangeait ». Elle crie des insultes aux adultes qui tentent de l’approcher.

Les ambulanciers doivent appeler la police en renfort pour réussir à maîtriser la fillette.

L’enfant est mise sous contention pour faire le trajet jusqu’au Centre hospitalier de l’Université Laval (CHUL) où sa maman espère qu’elle sera hospitalisée d’urgence en pédopsychiatrie.

C’est la seconde fois cette semaine-là que la maman – d’un commun accord avec l’école – envoie sa fille à l’hôpital dans l’espoir de recevoir de l’aide. Nous sommes en février dernier.

Les parents de Delphine sont au bout du rouleau. Cela fait depuis mars 2016, soit près de trois ans, que l’enfant attend pour voir un pédopsychiatre.

Son pédiatre a fait une première demande au guichet d’accès en santé mentale en mars 2016*. Il a réitéré sa requête en juin puis en janvier 2017, pour finalement recevoir une réponse en février, soit 10 mois après la demande initiale.

Réponse du guichet : une technicienne en éducation spécialisée sera affectée au dossier. Et un psychologue l’évaluera. Aucune mention de la demande en pédopsychiatrie.

« L’éducatrice spécialisée a tenté de nous aider avec des outils du genre un tableau d’émulation avec des autocollants pour encourager les bons comportements de Delphine. Comme si on n’avait pas déjà tout essayé cela », laisse tomber Olivier Bouillon, le papa de Delphine. 

« Ma fille de 9 ans décrit en détail des moyens de torture pour s’en prendre à sa mère. Elle s’attaque à ses copains de classe et leur fait des menaces de mort. Elle nous dit qu’on serait mieux sur la Terre sans elle, puis le CLSC nous envoie quelqu’un qui nous recommande un système d’autocollants… On n’est plus là du tout. »

— Olivier Bouillon, père de Delphine

Dans ses mots, la petite aux grands yeux brillants explique qu’elle a un volcan à l’intérieur d’elle. Lorsqu’elle sent une crise monter, elle n’arrive pas à la réprimer.

« On ne peut pas être indifférent à toute cette souffrance, dit le pédiatre de Delphine, Guy Falardeau. Trop souvent, les menaces suicidaires des petits ne sont pas prises au sérieux. »

En mars 2018, le pédiatre réitère sa demande pour que l’enfant soit vue par un pédopsychiatre. Ou à tout le moins qu’un pédopsychiatre se penche sur son dossier médical. Réponse un mois plus tard : une travailleuse sociale et un infirmier sont affectés au dossier.

Puis six mois plus tard, l’infirmier annonce au pédiatre que la mère a décidé de mettre fin à sa demande de consultation en pédopsychiatrie, préférant une demande de suivi en psychologie.

La maman de Delphine, Marie-Pierre Dufresne, affirme pour sa part qu’elle n’a jamais refusé la pédopsychiatrie. Au contraire, dit-elle, elle a déboursé 2000 $ pour une évaluation réalisée par une psychologue au privé, convaincue qu’elle avait besoin de cette évaluation pour avoir accès à un pédopsychiatre.

Cette psychologue a conclu à un TDAH et à un « haut potentiel intellectuel », « à moins qu’un examen médical permettrait d’identifier une condition médicale qui pourrait mieux expliquer les symptômes ».

Un guichet « mirage »

Les parents de Delphine doutent du diagnostic de TDAH. Ils se sentent complètement perdus « dans le système ». « Le guichet d’accès est un mirage », dénonce la maman de Delphine.

Bref, en février dernier, près de trois ans après la requête initiale, la petite n’a toujours pas eu accès à un pédopsychiatre, si bien que ses parents – et l’école – ne savent plus quoi faire d’autre que de l’envoyer en ambulance à l’hôpital.

La première fois, après avoir passé la nuit aux urgences du CHUL avec sa fille, la maman de Delphine est repartie le lendemain matin avec… une demande de consultation à la clinique externe du Centre de pédopsychiatrie du CIUSSS de la Capitale-Nationale (la famille vit dans la région de Québec), sans connaître les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous.

« J’ai répondu : “Vous êtes sérieux ?”, raconte la maman de Delphine. Dans ma tête, ils allaient l’hospitaliser à l’urgence psychiatrique et ils allaient l’aider. »

La seconde fois, trois jours plus tard, l’école et les parents ont renvoyé Delphine aux urgences parce qu’elle était encore dans un état de crise où elle était dangereuse pour elle-même et pour les autres.

C’est cette fois-là que la police a été appelée en renfort.

« Je pleurais ma vie, assise à l’avant de l’ambulance », décrit la maman de Delphine. Aux urgences, une travailleuse sociale les a accueillis comme la dernière fois.

Après avoir consulté l’urgentologue et le pédopsychiatre de garde, la travailleuse sociale lui a annoncé que l’enfant ne verrait pas de médecin spécialiste ce jour-là.

« À la lueur de notre évaluation, nous jugeons qu’une consultation en pédopsychiatrie n’est pas nécessaire, car pas d’éléments de dangerosité imminente ni d’altération franche du fonctionnement social chez Delphine », a écrit la travailleuse sociale dans le rapport d’évaluation de l’enfant, que nous avons obtenu.

La maman est rentrée à la maison avec sa fille, animée par un mélange de colère et d’impuissance.

À la suite de ces crises, l’enfant a été suspendue de l’école. Encore une fois. Depuis la maternelle que cela dure.

Ses grands-parents s’occupent d’elle chaque fois qu’elle est suspendue puisque les deux parents travaillent. « Sans eux, ça ferait longtemps que j’aurais été obligée de lâcher ma job tellement l’école m’appelle souvent », raconte la mère.

La maman de Delphine s’est mise à téléphoner presque tous les jours au Centre de pédopsychiatrie pour savoir où en était le dossier de sa fille. 

Elle a finalement obtenu un premier rendez-vous le 18 mars dernier, trois ans, donc, après la demande initiale.

Durant ces trois ans d’attente, la maman a fait une dépression. Elle s’est sentie coupable de « négliger » le petit frère de Delphine, qui assiste, impuissant, aux crises de sa sœur.

Certains soirs, la maman doit contraindre physiquement sa fille pour éviter qu’elle ne se blesse elle-même ou ne blesse son petit frère. Les crises durent parfois plus d’une heure.

Lorsque le papa rentre du travail, il est souvent accueilli par son fils qui court vers lui en l’implorant de venir « aider maman ».

Après ses crises de colère, Delphine se sent très souvent coupable d’avoir « explosé ». Depuis quelques mois, l’enfant demande à sa mère pourquoi elle existe, avant d’ajouter que « de toute façon », elle va « disparaître ».

« Ce n’est pas de ta faute, mon bébé. Je te promets que maman ne va jamais te laisser tomber, lui répète sa mère. On va finir par trouver de l’aide. »

* La Presse a eu accès à tous les documents concernant les démarches faites au guichet d’accès en santé mentale jeunesse dans le dossier de Delphine.

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