Adieu, Poupou !

Plus qu’un cycliste, Raymond Poulidor, alias « l’éternel second », était une immense figure populaire en France.

PARIS — Une page du cyclisme français vient de se tourner. L’ancien champion Raymond Poulidor s’est éteint mercredi, à l’âge de 83 ans. Son départ marque la fin d’une époque, celle du Tour de France des années 60, avant que cette épreuve pittoresque ne devienne le cirque surmédiatisé qu’il est aujourd’hui.

Dans l’imaginaire sportif des Français, Raymond Poulidor reste à jamais « l’éternel second », sorte de perdant magnifique, maintes fois victime de la fatalité.

Il faut savoir qu’en 14 Tours de France (1962-1976), celui que l’on surnommait affectueusement « Poupou » n’a jamais porté – ne serait-ce qu’une seule journée ! – le maillot jaune, même s’il a terminé à huit reprises sur le podium (trois fois sur la deuxième marche et cinq fois sur la troisième) – un record absolu. Incroyable, quand on sait le nombre de cyclistes anonymes qui ont endossé la mythique tunique, parfois le temps d’une seule étape…

Certains attribuent cette guigne à des chutes malvenues ou à un mauvais sens stratégique.

Mais son plus grand drame fut sans doute de s’être retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, face à des adversaires plus grands que lui.

Quand il passe chez les pros en 1960, Raymond Poulidor doit rivaliser avec Jacques Anquetil, qui remporte le Tour de France à cinq reprises sous son nez. « Maître Jacques » est décidément trop fort.

Après la retraite d’Anquetil en 1969, manque de bol : Poulidor est dépassé sur sa gauche par un autre rival sans pitié, Eddy Merckx, dit le « Cannibale », jeune phénomène belge qui remporte à son tour cinq fois le Tour de France.

Poupou, malgré quelques sursauts, ne parvient pas à suivre la cadence. Il prend sa retraite du cyclisme en 1977, à 41 ans.

Le problème Poulidor

Il lui a été reproché d’être « trop gentil » sur la route. De ne pas avoir « l’œil du tigre », pour citer Rocky. Mais Jean-Paul Ollivier, qui a couvert près de 40 éditions du Tour de France pour la télé française, préfère nuancer. Pour l’ancien journaliste sportif, le « problème » de Poulidor, fils d’agriculteur surpris par son propre succès, est plutôt qu’il se contentait de peu.

« Il était gentil dans les courses parce qu’il était heureux de se trouver dans ce milieu. Il était heureux d’être coureur cycliste et de connaître la gloire. Il n’avait jamais connu ça. Ses parents étaient de modestes métayers de la Creuse. Il était content. Ça suffisait presque à son bonheur. C’était ça, le problème. »

Poupou ne s’est jamais plaint de sa condition de perdant. Éternel optimiste, il en tirait même une sorte de fierté. « Si j’avais gagné le Tour, on ne parlerait plus de moi aujourd’hui », répétait-il souvent à la fin de sa vie, philosophe.

Il est vrai que cette guigne a contribué à forger son mythe. Jean-Paul Ollivier croit toutefois qu’au fond de lui, Poulidor avait fait contre mauvaise fortune bon cœur. « Jamais souffert ? Je pense qu’il y a une part de légende dans cette affaire. Il aurait aimé gagner davantage de courses. Il aurait aimé dominer aussi. Mais il s’en satisfaisait parce qu’il ne pouvait pas faire autrement. »

Un héros populaire

En dépit – ou à cause – de cette malchance, « Poupou » a toutefois obtenu ce qu’Anquetil n’a jamais pu avoir malgré ses cinq victoires du Tour : un amour inconditionnel des Français, qui se reconnaissaient dans ce fils du pays. Il avait su toucher les classes populaires par sa gentillesse, sa modestie et son extraordinaire résilience face à l’échec, voire l’injustice.

« Deuil national, peut-être pas, mais il est vrai que les Français l’adoraient, souligne encore Jean-Paul Ollivier. C’était un personnage très humble, qui avait eu une enfance miséreuse et qui avait gardé ce contact chaleureux avec le peuple. »

« Les Français ont pris position pour Poulidor parce que Poulidor représentait le terroir, la France. Il ralliait tous les suffrages. Et il aimait les gens. Ce n’était pas forcé. Il était naturellement comme ça. »

— Jean-Paul Ollivier, ancien journaliste sportif

Toute la journée hier, les hommages ont afflué, du président Emmanuel Macron, qui a parlé de « panache », à son ancien rival Eddy Merckx, qui a salué le départ d’un « monument »

Sa légende, du reste, doit être corrigée. S’il est vrai que Poulidor n’a jamais porté le maillot jaune, son palmarès n’en demeure pas moins digne de mention.

Bon grimpeur et capable d’attaques mémorables, « Poupou » a notamment remporté le Tour d’Espagne en 1964, deux classiques avec Milan-San Remo (1961), la Flèche wallonne (1963), deux Paris-Nice (1972 et 1973), deux critériums du Dauphiné (1966 et 1969) ainsi que sept étapes du Tour de France.

Son repos est bien mérité.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.