Les fourberies de Scapin

Un comique malgré lui

En montant au TNM Les fourberies de Scapin, l’une des pièces les plus jouées du répertoire français, Carl Béchard et André Robitaille n’ont pas la prétention de révolutionner Molière. Mais de nous donner, à leur manière, une nouvelle preuve de son génie.

« Ce ne sera pas un “Scapin 2.0” en pantalon de cuir avec des iPhone », nous prévient d’emblée André Robitaille, qui va emprunter les traits de l’immortel et fourbe valet dès le 16 janvier. 

« On n’a pas la prétention de refaire Molière, mais on a la conviction de faire le nôtre, de la meilleure façon possible », ajoute Carl Béchard, habitué de Jean-Baptiste Poquelin pour l’avoir joué, mis en scène et enseigné depuis un quart de siècle.

« L’acteur français Louis Jouvet disait en boutade : “Quoi de neuf ? Molière !” En effet, il y a toujours quelque chose de nouveau à découvrir dans son œuvre », se réjouit le metteur en scène qui cherche toujours la vérité et la profondeur sous les apparences des rôles comiques.

L’une des raisons qui ont motivé André Robitaille à embarquer dans cette galère, cet hiver, alors que le comédien, animateur, directeur et producteur a déjà 1000 projets dans son sac, c’est sa volonté de revenir à l’essentiel de son métier : le plaisir (contagieux) de jouer. Et sur le tréteau d’un théâtre voué aux classiques d’hier et d’aujourd’hui, le comédien de 54 ans a les moyens de puiser dans le génie de Molière.

Robitaille a rendez-vous avec Scapin depuis 1988… depuis qu’il a travaillé la célèbre scène du sac à l’École nationale de théâtre avec son professeur, un certain Jean-Louis Millette.

« Quand j’ai rencontré Lorraine Pintal pour chercher un projet de pièce, je tournais autour du pot. Puis, on a réalisé comme une évidence que je devais jouer Scapin. »

— André Robitaille

« Scapin n’est pas un Arlequin. Au-delà de la farce ou l’anecdote, poursuit Robitaille, il y a dans ses mots un sens plus profond, un propos social. Sans oublier la fantaisie, la pièce est une charge contre l’ordre établi, la lourdeur du système de justice ; un cri pour l’amour et la liberté. »

Le personnage est aussi un homme-orchestre qui aime jouer, diriger et plaire à tout le monde. « Scapin a beaucoup vécu. Il est un repris de justice qui sort de prison, il connaît tous les rouages du système, dit Béchard. Et André a une profondeur et une subtilité dans son jeu, en plus d’être très comique. »

Père manquant, fils manqué

Il y a quelque chose de triste et beau, comme une revanche sur le destin, dans cette comédie de Molière écrite en 1671, alors que l’auteur avait 49 ans, deux ans avant sa mort. Les fourberies de Scapin demeurent un hymne à l’amour et à la jeunesse. La pièce aborde le choc des générations entre les pères bourrus et les fils inconscients, avec les valets qui essaient de concilier les désirs des uns et des autres. Entre son Tartuffe et son Malade imaginaire, Molière sent le besoin d’exposer la vanité des hommes, pour mieux leur pardonner, car il sait trop bien que l’erreur est humaine.

Pendant l’absence de leurs parents respectifs, Octave (Sébastien René) a épousé en secret Hyacinthe (Marie-Ève Beaulieu), jeune Napolitaine pauvre et ténébreuse. Quant à Léandre (Simon Beaulé-Bulman), il s’est épris follement d’une gitane (qui vient d’Égypte), Zerbinette (Catherine Sénart). Or, voilà que les paternels, Argante et Géronte (Patrice Coquereau et Benoît Brière), rentrent subitement de voyage. Avec dans leurs bagages des projets de mariage pour leurs enfants… Scapin, le valet de Léandre, a plus d’une ruse dans son sac, et il s’engage à tout arranger avec les deux fils.

« Le génie de Molière : c’est un praticien d’abord et il nous invite à lire ses pièces en imaginant la mise en scène. Il écrivait comme un acteur, sur le tréteau, évoque Carl Béchard. Il a révolutionné la comédie en ignorant ses règles pour mieux inventer et mélanger les genres. Molière, c’est le modèle, la référence qui permet de remonter à la source. »

Épuisé, Molière se donne le beau rôle dans Les fourberies où, à coups de pirouettes et de prouesses, il prouve qu’il peut encore avoir de l’ardeur et du panache. Il revient à la comédie pure, populaire, avec l’air de dire que « la farce n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air ». Et l’humour, c’est du sérieux.

Au Théâtre du Nouveau Monde du 16 janvier au 17 février

Les « moliérismes »

« Que diable allait-il faire dans cette galère ? », scande Géronte à son valet Scapin, à propos de son fils, vers la fin de la pièce. Molière a écrit plusieurs répliques célèbres devenues des expressions françaises consacrées. En voici quelques-unes.

« Il faut manger pour vivre et non pas vivre pour manger. »

L’avare

« Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. »

Les femmes savantes

« J’aime mieux un vice commode qu’une fatigante vertu. »

Amphitryon

« Il vaut mieux encore être marié qu’être mort. »

Les fourberies de Scapin

« C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens. »

La critique de l’École des femmes

« Plus on aime quelqu’un, moins il faut qu’on le flatte. » 

Le Misanthrope

« Couvrez ce sein, que je ne saurais voir. »

Tartuffe

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