Éditorial  Mode de scrutin

Trop de « vrai changement »

Les promesses de « vrai changement » s’empilent sur le bureau du premier ministre Trudeau. Il veut réformer le Sénat. Légaliser la marijuana. Encadrer l’aide médicale à mourir. Et mettre en œuvre chacune des recommandations de la Commission vérité et réconciliation sur les pensionnats autochtones.

Tout cela, il a la légitimité pour le faire. Mais pas pour changer le mode de scrutin. Pas à lui seul.

En campagne électorale, M. Trudeau a promis de faire cette réforme en consultant les Canadiens. Cela pose deux problèmes. D’abord, il y a une contradiction. Le premier ministre promet en même temps d’écouter la population et de changer la façon d’élire les députés. Or, cela présume que les Canadiens veulent remplacer le mode de scrutin uninominal à un tour. Est-ce vraiment le cas ? Et s’ils le veulent, existe-t-il une solution plus populaire que le statu quo ? Pas certain. Selon un récent sondage de l’Institut Broadbent, 43 % des répondants préfèrent le système actuel.

Ensuite, il y a un manque de légitimité. Même si la population voulait changer de mode de scrutin, le gouvernement libéral ne peut choisir à lui seul le nouveau système.

Or, même si M. Trudeau promet de consulter les électeurs, il refuse d’organiser un référendum.

« Doit-on organiser un référendum pour tout ce qui importe pour le futur du pays ? Il faut faire des choix », a-t-il expliqué lors d’une interview de fin d’année à CTV.

C’est bien sûr vrai pour la vaste majorité des dossiers. Mais pas pour la réforme du mode de scrutin. Il y a une loi non écrite : même s’il est majoritaire, un gouvernement ne peut changer à lui seul le système électoral (mode de scrutin ou découpage des circonscriptions). Sinon, il risquerait d’arranger le système à son avantage. Voilà pourquoi un vaste consensus est nécessaire.

Comment l’obtenir ? Un référendum est l’une des solutions. C’est ce qu’ont fait trois provinces (Île-du-Prince-Édouard, Colombie-Britannique et Ontario). Et c’est ce qu’ont aussi fait la Nouvelle-Zélande et le Royaume-Uni, qui partagent notre système parlementaire. Dans chacun des cas, la population a préféré le statu quo.

Il est vrai que cette question se prête mal à un référendum. La raison : elle est très technique, et il existe plus de deux choix. On ne peut y répondre par « oui » ou « non ». Par exemple, veut-on un système proportionnel mixte ? Le vote préférentiel ? Un scrutin à deux tours ? Ou le bon vieux système actuel ?

Le premier ministre pourrait donc procéder autrement. Mais pour cela, il faudrait un très vaste appui de la Chambre des communes. En effet, une élection est un jeu à somme nulle. Si un parti gagne un siège, cela signifie qu’un autre l’a perdu. Si les principaux partis s’entendent, on pourra conclure que la solution dépasse les intérêts partisans. Avec l’appui des conservateurs et néo-démocrates, M. Trudeau aurait donc la légitimité nécessaire. Mais cette voie paraît bloquée, car la chef intérimaire conservatrice s’y oppose.

M. Trudeau semble avoir promis ce qu’il ne peut faire à lui seul. Il devra bientôt le reconnaître.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.