Cyclisme

Marinoni rêve encore

À presque 80 ans, ce célèbre fabricant de bicyclettes pourrait être à la retraite depuis longtemps. Mais Giuseppe Marinoni n’y pense pas. Il fabrique encore des cadres. Et il se prépare pour une nouvelle aventure : le 19 août, il veut battre le record de l’heure cycliste dans sa catégorie d’âge. La Presse a rencontré cet increvable rêveur.

Jeudi dernier, Giuseppe Marinoni s’est levé comme le reste du Québec dans un décor plus blanc que blanc. Les bancs de neige semblaient reformés pour durer trois mois et à la radio, à la télé et dans les journaux, il était encore question de cette tempête qui ne voulait pas mourir.

C’était bien là le pays que le jeune Italien avait choisi au début des années 60 et qu’il n’a plus quitté depuis.

Jeudi matin, Marinoni est rentré à son usine de Terrebonne à 8 h. Il a sorti ses outils, a serré un cadre d’acier dans un étau et s’est mis à en faire la finition pour l’envoyer à la peinture. Puis, vers 11 h, il a troqué son bleu de travail contre ses cuissards, a croqué dans une pomme et a lancé : « Les pommes, ça donne de l’énergie. »

L’homme de 79 ans est ensuite monté sur un vélo stationnaire pour un petit 30 km. C’est là, en selle, qu’il a répondu, haletant, aux questions de La Presse sur son dernier défi : le record de l’heure cycliste chez les plus de 80 ans.

« L’année passée, j’ai roulé 12 000 km. Mais l’exploit, ce n’est pas ça. L’exploit, c’est qu’en plus, je travaille », lance cet ancien coureur amateur devenu fabricant.

« Je fais encore des cadres, mais c’est pour mon plaisir, mon grand plaisir. Je suis à la retraite. Je ne travaille pas, je m’amuse… 60 h par semaine. »

— Giuseppe Marinoni

Marinoni s’apprête à partir pour l’Italie. Il va s’entraîner pendant deux mois en Lombardie, sa région natale. « Là-bas, c’est de la montagne. Tu montes ou tu descends, t’as pas le choix ! »

Le record qui soulève les passions

S’il se prépare ainsi, c’est qu’il a en tête de battre l’une des marques les plus prestigieuses du cyclisme, le record de l’heure. Il l’avait fait en 2012 dans la catégorie des 75 à 79 ans. Il veut le faire maintenant à 80 ans.

Son record a depuis été battu, en quelque sorte. C’est que ce prestigieux record soulève les passions. Il est depuis toujours sujet à débat.

En 1996, l’Union cycliste internationale (UCI) avait introduit une série de règlements pour baliser le record de l’heure. Le grand Eddy Merckx avait réussi à parcourir 49,431 km en 60 minutes en 1972. Depuis, sa marque avait été battue par des cyclistes qui utilisaient des vélos modernes plus performants.

L’UCI avait alors invalidé les nouveaux records et imposé des règles strictes : fini, les roues pleines et les barres de triathlon. C’était la « règle Merckx ».

C’est dans ce contexte que Giuseppe Marinoni a réussi son record à 75 ans : avec un vélo d’acier de 1978, avec des roues à 32 rayons et avec un guidon recourbé classique. Il a réussi à parcourir 35,728 km dans l’heure sur la piste d’un vélodrome d’Italie. C’était le nouveau record du monde dans son groupe d’âge.

Mais en 2014, l’UCI fait volte-face. Les équipements modernes sont désormais permis. La marque de Marinoni a été abaissée en 2016. « Mais mon record, il ne sera peut-être jamais battu, dans le fond. À moins que quelqu’un veuille le faire avec une bicyclette comme la mienne », précise-t-il, avec un brin de fierté.

Le vieux bicycle

Cinq ans plus tard, Giuseppe Marinoni va suivre les nouvelles règles. Il va utiliser des roues pleines, plus aérodynamiques. Il aura aussi des barres de triathlon. Mais pas question pour lui d’enfourcher un vélo en carbone.

Cet amoureux de l’acier aura le même cadre qu’il y a cinq ans. Il s’agit du vélo qu’il avait fait pour le cycliste Jocelyn Lovell en 1978. « Lovell a reçu sa bicyclette à midi. À 16 h, il était champion canadien avec son meilleur temps à vie », raconte Marinoni, qui rappelle que Lovell, devenu tétraplégique après une collision avec un camion en 1983, est mort en juin dernier.

« Je pourrais avoir du carbone. Mais selon moi, il n’y a pas une grosse différence. Si je perds quelques mètres, ce n’est pas grave. »

« Lovell, pour moi, ç’a été un grand ami, et là, il est mort. Je vais le faire en son honneur, avec son vieux bicycle. »

— Giuseppe Marinoni

Le record chez les 80-84 ans appartient au Français Paul Martinez, avec 38,657 km. Il l’a établi en août dernier, déclarant : « J’ai passé une belle journée avec les copains. »

Marinoni devra donc améliorer pas mal son record de 2012. « Normalement, on s’améliore entre 7 et 15 % » avec les nouvelles règles, explique Marinoni.

« En plus, quand je l’ai fait à 75 ans, je n’étais pas si en forme que ça. J’ai décidé au mois de juillet que je voulais faire le record. Mais là, ça fait longtemps que j’ai décidé. Je m’entraîne un petit peu plus », dit-il.

Son essai aura lieu le 19 août dans le nouveau vélodrome construit près de Toronto pour les Jeux panaméricains de 2015. Le réalisateur du documentaire Marinoni, le feu de la passion, Tony Girardin, organise des voyages en autocar qui partiront de Terrebonne et de Montréal pour aller l’encourager.

Giuseppe Marinoni, lui, est toujours là, sur son vélo stationnaire, à pédaler. On lui demande pourquoi retenter le record, lui qui l’avait réussi à 75 ans. « Ben, parce que je vais avoir 80 ans ! », dit-il, comme si c’était une évidence.

« Je viens d’une famille de cyclistes. Mon oncle a été champion d’Italie en 1939. Moi, à 21 ans, j’ai été champion amateur de la Lombardie. Mon petit cousin, lui, a gagné deux Tours d’Italie. Nous autres, les Marinoni, c’est comme ça. C’est du monde qui aime travailler. Quand on fait quelque chose, on le fait à fond. »

L’entrevue était terminée. On est sortis de l’usine et tout autour, l’horizon était bouché par des bancs de neige. On s’est dit que ce pays de glace était un drôle d’endroit d’où sortir un champion cycliste. À l’intérieur, Giuseppe Marinoni pédalait toujours.

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