Chronique

La course qui ne passe pas

Si je me fie aux très nombreux courriels reçus dans la foulée de mon reportage sur les 24 millions de dollars consacrés à la course de Formule E, vous ne voulez absolument rien savoir de cet évènement. Vous m’avez exprimé très clairement votre frustration. Et vous savez quoi ? Je la partage.

Il y a plusieurs choses qui clochent avec cette course de voitures électriques qui se déroulera dans les rues du centre-ville les 29 et 30 juillet et qui bouffe beaucoup d’argent public. La première étant qu’il est difficile de croire que la présentation de cet évènement convaincra les Montréalais du bien-fondé de l’électrification.

Puisqu’il s’agit de cela finalement : utiliser ce nouveau sport automobile pour faire la promotion de l’électrification des transports. C’est du moins ce que les organisateurs se tuent à nous répéter. Lors de deux entretiens avec Simon Pillarella, le directeur général de Montréal c’est électrique, l’OBNL chargé d’organiser l’évènement, on a tenté de me convaincre de l’efficacité de cette opération.

Selon lui, cet évènement « est beaucoup plus qu’une course ». Celle-ci ne serait que le prétexte pour faire découvrir le savoir-faire des Québécois en matière d’électrification. Il m’a assuré que l’évènement de Montréal serait différent de ceux qui ont eu lieu à New York ou Paris. Selon l’organisateur, les gens vont comprendre l’importance de cet évènement quand ils le découvriront.

Votre frustration s’est également exprimée dans le joyeux bordel que cet évènement suscite. Il s’ajoute aux nombreuses fermetures de rues causées par les foires commerciales, la création de l’allée piétonnière du Village gai, le Tour de l’île, les festivals, les feux d’artifice, le défilé de la Saint-Jean, celui de la Fierté, sans oublier la récente Boucle du Défi Pierre Lavoie.

Précisons que cette énième entrave à la circulation est créée pour faire la promotion d’un moyen de locomotion. Mettons que ça ne nous donne pas tellement le goût d’acheter une voiture électrique.

Personnellement, depuis quelques mois, je songe plutôt à un rouli-roulant ou à une trottinette.

Cet évènement, né de la volonté du maire Denis Coderre, est entouré d’une aura grise depuis le début. Celui qui a réalisé de très bons coups depuis son élection il y a quatre ans réalise sans doute son plus faible avec cet évènement. Cette course ne passe pas.

Dans cette affaire, Denis Coderre a agi seul, comme s’il n’y avait pas d’opposition devant lui, comme s’il était sûr et certain de remporter la prochaine élection en novembre prochain. Et là-dessus, je vous avoue qu’il n’a pas tort de penser ainsi.

Je ne sais pas pour vous, mais moi, je ne vois pas beaucoup le maire venir défendre et expliquer sa décision alors qu’il le devrait. Lors de mes entrevues avec Simon Pillarella, ce dernier m’a dit plusieurs fois, lorsque je le mettais devant des chiffres, qu’il n’était pas au courant de telle ou telle décision car elle avait été prise avant son arrivée.

Il m’a donc renvoyé à la Ville de Montréal. Et qu’a fait la Ville de Montréal au bout du compte ? Elle m’a renvoyé au pauvre directeur général pris avec ce projet dont peu de gens ont envie de s’occuper en ce moment.

Parmi toutes les choses que Simon Pillarella m’a dites, il y en a une qui a fait office d’ampoule dans ma tête. Quand je lui ai demandé de m’expliquer pourquoi on avait décidé de placer le circuit au centre-ville, il m’a parlé des points de vue que les caméras de télévision vont pouvoir offrir aux 19 millions de téléspectateurs (selon lui) qui vont regarder les deux courses de Montréal.

Pour celle de New York, on a installé le tracé à Brooklyn. Pourquoi, pensez-vous ? Pour avoir une vue imprenable sur les gratte-ciel et la statue de la Liberté. À Paris, le tracé encerclait les Invalides. Là encore, les téléspectateurs ont eu droit à des images de cartes postales.

Ceux qui regarderont la course de Montréal découvriront le mont Royal, le fleuve et le centre-ville. En effet, c’est une très belle publicité pour la métropole. Mais est-ce que cela vaut 24 millions de dollars ?

À quoi bon vouloir attirer des centaines de milliers de visiteurs si c’est pour les mettre dans des bouchons ? À moins qu’on ait eu l’idée d’utiliser la marge de crédit de 10 millions de dollars réservée pour l’évènement afin de leur fournir des rouli-roulants et des trottinettes.

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