Les goons débarquent chez VICE
Des militants d’extrême droite du groupe Atalante sont descendus de Québec pour entrer sans invitation dans les bureaux montréalais de VICE, où ces Messieurs à gros bras cachés derrière des masques ont foutu le bordel.
Ça s’est passé hier, dans Griffintown. Chez VICE, personne n’a reçu de claques sur la gueule, mais la manœuvre avait un but évident : intimider.
Intimider qui ?
Le journaliste Simon Coutu, qui enquête sur les mouvances identitaires et d’extrême droite depuis quelques années. Il venait justement de sortir un papier, la semaine dernière (1), qui montrait qu’Atalante noue des liens avec d’autres groupes identitaires, en plus de faire des incursions à Montréal.
Cette tentative d’intimidation est évidemment un scandale, c’est évidemment une attaque contre la liberté d’informer. C’est une attaque contre VICE en particulier et contre les journalistes qui enquêtent sur les mouvances identitaires en général.
En anglais et en français, VICE scrute avec brio ces mouvements identitaires qui carburent à la haine des « étranges ». Avec Simon Coutu du côté franco, Mack Lamoureux (2) et Martin Patriquin (3) décortiquent ces réseaux d’extrême droite avec des enquêtes qui montrent leurs méthodes, leurs vues et leurs ambitions violentes.
Personne n’a reçu de claques, hier, chez VICE. Mais c’est dans la nature de l’intimidation de ne pas fesser mais de faire craindre, plutôt.
Quand on vient faire du vacarme dans la salle de rédaction d’un média, en portant les couleurs d’un groupe d’extrême droite dont des membres ont soit commis des actes violents ou affirmé leur volonté d’en commettre, le message est clair : watchez-vous.
Bon, on ne raisonnera pas des gens qui pensent que la force brute et les claques sur la gueule sont une façon de faire avancer des idées.
Mais espérons que la police, elle, les a dans sa ligne de mire. Atalante n’a pas été invité chez VICE, il a volontairement causé un boucan que ses membres ont filmé et diffusé sur leurs réseaux sociaux. Il y a au minimum un potentiel de méfait là-dedans, et la dernière fois que j’ai vérifié, il y a un article du Code criminel qui porte là-dessus.
Il y a aussi un autre article, l’article 423.1 : peut-être que les membres d’Atalante et leurs cousins et cousines devraient acheter un Code criminel pour se familiariser avec cet article-là. Il porte sur l’intimidation de journalistes.
Peut-être que les Atalantais devraient aussi songer au 13 septembre 2000 et à ses conséquences. Ce jour-là, Maurice Mom Boucher a stupidement permis à un de ses sbires d’aller tirer sur le journaliste Michel Auger dans le parking du Journal de Montréal. La légende veut que la mafia montréalaise ait été catastrophée par l’attentat commandité par les Hells contre le journaliste Auger : elle savait que cela allait appeler une réponse vigoureuse de l’État face au crime organisé, face à tous les gangs de criminels organisés.
Et c’est exactement ce qui s’est produit.
L’État a accouché d’une série de mesures qui a rendu le business encore plus difficile pour toutes les mafias, qu’elles soient italienne à cravate ou québécoise en bécyk à gaz. La mesure la plus spectaculaire fut la loi antigang.
La mafia savait d’instinct ce que les Hells avaient été assez stupides pour perdre de vue, en 2000, à savoir que l’État ne laisserait pas impunie une attaque visant un journaliste qui ne faisait qu’exercer sa liberté de presse, une des quatre libertés fondamentales énoncées par la Constitution.
Maintenant, la question pour la suite des choses chez les fleurons de l’extrême droite dont Atalante n’est qu’un des visages est la suivante : êtes-vous aussi stupides que les Hells du début du millénaire ?
J’ai parlé à Simon Coutu, hier soir. Il considère évidemment que la visite d’Atalante visait à l’intimider. Il laisse à VICE le soin de décider si une plainte sera déposée. Son job à lui, m’a-t-il dit, est de continuer à poser des questions et à faire des articles.
TRUMP QUI BLOQUE, BLOQUE, BLOQUE
C’est une question en apparence frivole : est-ce que le président des États-Unis d’Amérique a le droit de bloquer sur Twitter des citoyens américains qui expriment leur désaccord avec ledit président ?
Non, vient de trancher un tribunal américain.
Sept citoyens bloqués sur Twitter par leur président ont argué en cour que cela restreignait leurs droits en vertu du premier amendement, qui interdit notamment à l’État de restreindre la liberté d’expression des citoyens.
Voilà une réalité à laquelle les Pères fondateurs des États-Unis n’avaient pas pensé : Twitter.
Essentiellement, ce qu’a dit la juge fédérale de Manhattan Naomi Reice Buchwald, c’est que le président des États-Unis incarne le gouvernement, qu’il est en quelque sorte un agent du gouvernement. En conséquence, il ne peut pas empêcher des concitoyens de voir ses tweets et d’y répondre.
Bien sûr, a-t-elle noté, l’entorse aux droits de ces citoyens bloqués par Donald Trump n’est pas immense, elle est même minime. Pas grave, a tranché le tribunal : c’est anticonstitutionnel. Cela revient à sanctionner des Américains pour avoir émis une opinion.
Il semble que ce soit un précédent, ce serait la première fois qu’un tribunal américain tranche dans un cas touchant les citoyens bloqués par un titulaire de charge publique.
L’ironie – ou la subtilité –, c’est que le président des États-Unis pourrait utiliser la fonction « masquer » pour ignorer ses critiques. La fonction « masquer » vous permet d’ignorer les messages de quelqu’un, sans pour autant que la personne ne puisse vous répondre ou vous lire. Et sans, pour Donald Trump, piétiner les droits constitutionnels de ses concitoyens, selon la juge…
Ni la Maison-Blanche ni le président Trump, hier soir, n’avaient indiqué s’ils comptaient se plier au jugement.
La juge s’est abstenue d’ordonner directement au président Trump de « débloquer » les Américains qu’il a bloqués au fil de son intense activité twitterienne.
En lieu et place, elle a écrit ceci : « Parce qu’aucun titulaire de charge publique n’est au-dessus de la loi et parce que tous les titulaires de charges publiques doivent respecter la loi une fois que le judiciaire a statué sur la loi, nous devons présumer que le président et Scavino [son directeur des médias sociaux] vont remédier à ces blocages que nous venons de déclarer inconstitutionnels. »
Être de mauvaise foi, on pourrait dire que la juge Buchwald trolle Donald Trump.