Naissances lotus

Quand bébé conserve son cordon ombilical

La semaine dernière, le Daily Mail de Londres affirmait que les naissances lotus – où l’on ne coupe pas le cordon ombilical – étaient à la hausse, témoignages à l’appui. Épiphénomène ou véritable tendance ? Cinq mots pour comprendre.

LA PHILOSOPHIE

La pratique viendrait des populations tribales d’Indonésie. Popularisée il y a quelques années par une sage-femme américaine, les naissances lotus consistent à garder intact après l’accouchement le cordon ombilical (et le placenta qui s’y rattache), jusqu’à ce qu’il se dessèche et tombe naturellement (ce qui peut prendre entre sept et dix jours). Pourquoi donc ? Deux justifications sont généralement avancées : d’abord, parce que le bébé a été accroché au placenta pendant neuf mois, et que la coupe serait un geste violent et traumatisant, disent les adeptes citées par le Daily Mail. Dans une entrevue accordée il y a quelques années au New York Post, qui avait beaucoup fait jaser à l’époque, la sage-femme Mary Ceallaigh affirmait aussi que les naissances lotus permettaient au nouveau-né de tirer tout le sang du cordon, « au moment même où il en a le plus besoin ». « Les systèmes immunitaires des nouveau-nés vivent d’énormes bouleversements à la naissance. En ne modifiant pas le volume sanguin à ce moment précis, on permet de prévenir une foule de maladies à venir », avait-elle dit au Post.

UNE PRATIQUE MARGINALE

À l’époque, la sage-femme Mary Ceallaigh disait que 5 % de ses patientes vivaient des naissances lotus. De son côté, Isabelle Brabant, qui vient de quitter la pratique, mais qui a été sage-femme pendant 30 ans, n’a jamais vu d’accouchement pareil. « Je serais extrêmement surprise d’apprendre que 1 %, même 0,1 % des accouchements sont de la sorte », a commenté l’auteure d’Une naissance heureuse. Si certaines femmes lui ont déjà posé des questions sur le sujet, en plus de 2000 accouchements réalisés, pas une femme n’a voulu procéder de la sorte. Même son de cloche du côté de Sainte-Justine. « On ne m’a jamais demandé cela », signale la gynécologue Catherine Taillefer, qui voit là un phénomène de « naturalisme poussé à l’extrême ». 

LES VERTUS DU CORDON

Si les médecins ont longtemps coupé le cordon dans les secondes qui suivaient la naissance, depuis quelques années, c’est de moins en moins le cas. L’Organisation mondiale de la santé recommande d’ailleurs d’attendre entre une et trois minutes, précisément parce qu’il est vrai qu’à ce moment, il y a un « retour du sang du placenta vers le bébé », résume Isabelle Brabant. « Les bénéfices pour les bébés sont très importants, dit-elle. Dans la première minute de vie, 90 % du sang revient vers le bébé. Cela veut dire que le bébé a un nombre de globules rouges plus grand. Et cela peut prévenir l’anémie dans la première année de vie. » Mais après ? « À ce que l’on sait, d’un point de vue biologique, il n’y a plus aucune valeur dans le cordon », dit-elle. Pour cause : le cordon sèche très rapidement, et en quelques heures, « il n’y a plus rien qui passe par là ». « Il n’y a aucune étude qui démontre de bénéfice au-delà de deux minutes », renchérit Catherine Taillefer.

UN RISQUE HYGIÉNIQUE

C’est évidemment la préoccupation des médecins : « Le risque, pour nous, est hygiénique », signale Catherine Taillefer. Le placenta est en effet gorgé de sang, et le risque d’infection est non négligeable. Si les adeptes disent garder le placenta au frais à l’aide de sel et d’herbes ou d’une glacière, « le risque d’infection pour le bébé est pour nous significatif », dit la gynécologue. Bref, non, ce n’est pas quelque chose qu’elle recommanderait. 

UNE VALEUR SYMBOLIQUE

D’après Isabelle Brabant, l’intérêt de garder le cordon serait ici symbolique. « Il y a quelque chose de symbolique dans l’envie de ne pas intervenir sur quelque chose qui va tomber tout seul, et qui a nourri le bébé pendant neuf mois. » Si elle, personnellement, avait « autre chose à faire la première semaine » que de s’occuper de garder frais un placenta, elle ne juge pas du tout ceux qui font le choix de le faire. « Si, pour d’autres, il y a autour de ça un rituel et du sens, dit-elle, pourquoi pas ? » De là à parler d’une tendance, elle émet toutefois quelques réserves. « Si vous voulez parler de tendance, regardez plutôt le nombre de parents qui sont sur leur téléphone et sur Facebook dans la première heure, après la naissance de leur bébé. Ça, c’est une tendance, et ça m’attriste… »

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