OPINIONs HARCÈLEMENT SEXUEL

Les dénonciations d’inconduite sexuelle des derniers jours continuent de susciter de nombreux commentaires.

Voici trois lettres de nos lecteurs.

Opinion Harcèlement sexuel

S.O.S. d’un Terrien en détresse

Dans la foulée des allégations qui ont provoqué la folle semaine que nous venons de vivre, j’ai pensé à cette magnifique et terrifiante chanson de Luc Plamondon et Michel Berger (de l’opéra-rock Starmania) : S.O.S. d’un Terrien en détresse. Car toutes ces agressions dénoncées aujourd’hui à pleins réseaux sociaux ne sont-elles pas le fait de ces demi-dieux que nous fabriquons à grands coups de téléréalité, ces hommes partis de rien que nous déifions et élevons au statut de monstres sacrés, ces hommes qui ont « toujours confondu la vie avec des bandes dessinées » et qui, à force de se consacrer corps et âme à leur image, sont devenus les experts manipulateurs d’un monde qui nous divertit et nous engourdit toujours plus ?

D’aucuns diront que l’heure n’est pas à parler des agresseurs, mais bien de tous ces gens qui osent enfin briser le silence. Je veux bien et j’en suis. Mais nous ne vivons plus — encore que l’ère Trump tende à nous prouver le contraire — à l’époque bêtement binaire des bons et des méchants. 

Ces hommes qui se croient tout permis grâce au pouvoir qu’on leur confère font partie de nous. Ils sont nos frères, nos fils, nos pères, nos patrons, nos gouvernants et se fondent dans la moitié d’un monde en manque d’icônes qui assouvit sans cesse ses fantasmes au milieu d’une foule qui applaudit et en redemande. 

Il faut revoir, à cet effet, l’émission de variétés préférée des Québécois du 17 juillet dernier où l’animatrice Pénélope McQuade reçoit, dans la bonne humeur et avec tous les honneurs, le puissant Gilbert Rozon qu’elle dénonce aujourd’hui avec force et vigueur, tout ça dans le cadre d’une émission intitulée Les échangistes et produite par nul autre qu'Éric Salvail. Showbusiness, vous dites ?

Si des mécanismes doivent de toute urgence être mis en place afin que les victimes puissent dénoncer rapidement et de façon sécuritaire, en plus de recevoir toute l’aide dont elles ont besoin, il faudra un jour penser à aider, en plus de les dénoncer, tous ces hommes (et quelques femmes aussi, sans doute) qui ne savent visiblement pas composer avec cette force inouïe que constitue le pouvoir. Car nous participons tous, de près ou de loin, à la fabrication de ces monstres qui chutent aujourd’hui un à un (et qui en confortent secrètement plus d’un dans leur propre incapacité à se donner du pouvoir !).

Ces êtres « à double tranchant » qui sont aux prises avec leur misère sexuelle — et qui brisent des vies entières avec leurs lunettes roses — sont le produit d’une société que nous concevons et fabriquons quotidiennement, insidieusement. C’est nous qui les mettons en scène, c’est nous qui nourrissons la bête. On aura beau vouloir les traîner dans la boue et les lyncher tant qu’on voudra, ces demi-dieux tombés brutalement de leur socle sur le plancher des vaches, loin du glam et des paillettes d’or, sont plus que jamais, tout comme leurs victimes, des Terriens en détresse. Et la guérison des uns ne viendra jamais sans la guérison des autres.

Opinion Harcèlement sexuel

Lorsque la poussière sera retombée

Au cours des derniers jours, de nombreuses victimes ont nommé les violences à caractère sexuel qu’elles ont subies. Elles ont témoigné de la honte, de l’impuissance et de la colère qu’elles avaient ressenties. La parole des victimes a porté des fruits. Leur courage a été salué sur de nombreuses tribunes. Le milieu culturel québécois a été secoué, mais c’est aussi tout le Québec qui a subi l’onde de choc.

Le battage médiatique autour des dossiers qui ont fait la une des médias a généré un afflux de demandes auprès du réseau des services d’aide aux victimes. En réponse, le gouvernement a débloqué des fonds pour soutenir leur travail afin qu’ils puissent accueillir les personnes, femmes et hommes, qui portent le fardeau de souffrances dont elles n’ont jamais parlé et qui ont été ravivées par ce qui s’est passé cette semaine.

Dans les circonstances, la diligence du gouvernement est bien accueillie. 

Allouer des fonds dans l’urgence d’une crise n’en reste pas moins un geste dont la portée est très limitée, car il ne sous-tend aucun engagement à long terme. On éteint les feux et on attend que le calme revienne. 

Peu importe la couleur du parti au pouvoir, certains problèmes de fond ne sont pas réglés, même si on en parle depuis des années.

Que des victimes particulièrement vulnérables doivent patienter pendant des mois sur des listes d’attente des centres d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) pour obtenir de l’aide ou qu’elles doivent se battre pour être reconnues par notre régime d’indemnisation est inacceptable. Qu’elles se tournent vers d’autres lieux que les tribunaux pour être entendues ou faire valoir leurs droits, c’est un constat qui devrait nous interpeller. Que tant de victimes de violences sexuelles ou d’autres crimes sortent amèrement déçues de leur expérience avec le système de justice devrait nous forcer à agir.

Les réponses à la pièce et les solutions improvisées dans l’urgence ne feront pas avancer les choses. Notre solidarité à l’endroit des victimes doit dépasser le seul espace du temps médiatique. Elle doit aussi s’inscrire dans la volonté politique de s’attaquer de façon durable aux vrais problèmes et de ne pas se défiler.

Opinion Harcèlement sexuel

Weinstein, Salvail, Rozon et les autres

Les révélations concernant Harvey Weinstein ont ouvert une porte pour que celles et ceux qui ont subi des inconduites, du harcèlement et des agressions sexuelles s’expriment et le disent. Cela a créé une déferlante de dénonciations à plusieurs endroits sur cette planète et le Québec n’y a pas échappé avec celles contre Éric Salvail, Gilbert Rozon, Gilles Parent et Michel Brûlé.

Ce qui est désolant, c’est leur réaction. Dire qu’ils sont désolés, qu’ils n’avaient pas l’intention et qu’ils s’excusent si leurs gestes ont pu offenser quelqu’un. Vraiment ? Tu ne sais pas que les gestes qui te sont reprochés ont porté atteinte à l’intégrité de ces personnes ? Que ton comportement est répréhensible ? Parce que tu es une personnalité connue, tu te crois tout permis ? Tu te sens hors d’atteinte ? Tu te crois au-dessus des lois ?

Et s’ils subissaient le même traitement que celui qu’ils ont infligé à leurs victimes, comment réagiraient-ils ? Ne peuvent-ils se mettre à la place de leurs victimes pour réaliser combien leur comportement peut affecter les personnes qu’ils agressent ? Sûrement pas. 

Ils ne pensent qu’à eux. Qu’à assouvir leurs besoins, leurs pulsions, leur soif d’emprise. 

Ce qu’il y a d’heureux, si on peut s’exprimer ainsi, c’est que ces dénonciations brisent l’isolement de ceux et celles qui se sont tus, qui ont caché et qui ont enfoui leurs souffrances en prenant la parole pour dénoncer.

Avec ces nouvelles dénonciations qui s’ajoutent aux autres mouvements des dernières années, espérons aussi que ceux et celles qui sont témoins de scènes d’inconduites, de propos dégradants et déplacés, de harcèlement ou d’agression manifesteront leur réprobation à ceux qui les commettent ou les dénonceront pour appuyer les victimes. 

Il me prend de rêver d’un monde où sera révolu le temps de ceux qui profitent de leur statut privilégié pour abuser de leurs victimes. Pour l’instant, c’est un rêve. À preuve, les États-Unis ont Trump à leur tête…

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