Soins palliatifs

« D’excellents à rien »

Louise La Fontaine a perdu son frère en janvier. Âgé de 60 ans, il était atteint de la maladie d’Alzheimer. « On a offert des soins palliatifs dans cet établissement-là, relate Louise La Fontaine. Et les soins palliatifs, c’était un chariot pour prendre du café. »

L’accès aux soins palliatifs, leur définition et leur organisation varient énormément d’une région à l’autre au Québec, passant d’« excellent à rien », constate Louise La Fontaine. Et cette dernière sait de quoi elle parle : médecin en soins palliatifs et éthicienne, elle est également présidente de l’Association québécoise de soins palliatifs.

On observe aussi une disparité dans les grands centres : « À Montréal, donne-t-elle en exemple, selon ton code postal, tu vas avoir d’excellents soins palliatifs à domicile, alors qu’ailleurs, à un autre code postal, il n’y a presque rien qui se fait à domicile. »

De 20 % à 40 %

Selon les études, de 20 % à 40 % des gens en fin de vie qui auraient besoin de soins palliatifs complets en bénéficient.

Endroits où meurent les Québécois qui ont besoin de soins palliatifs

60 % : à l’hôpital

20 % : en CHSLD

10 % : en maison de soins palliatifs

10 % : à la maison

Source : Dr Patrick Vinay

Au Québec, les soins palliatifs sont offerts à domicile, dans une des 31 maisons de soins palliatifs ou en centre hospitalier (dans des unités qui y sont consacrées ou dans des lits dispersés). Le ministère de la Santé soutient que le Québec compte un nombre suffisant de lits destinés aux soins palliatifs, « mais le nombre de lits n’a rien à voir avec la qualité et la suffisance des soins », souligne la Dre La Fontaine.

Les soins palliatifs ne se résument pas à une simple médecine de symptômes, rappelle la Dre Elisa Pucella, directrice médicale à la Maison de soins palliatifs de Laval. C’est plutôt un accompagnement holistique, qui comprend les dimensions médicale et pharmacologique, mais aussi les sphères psychologique, sociale et spirituelle.

Manque de médecins

Si la dimension psycho-socio-spirituelle demeure souvent « la plus grande vulnérabilité » au sein des équipes, la Dre Louise La Fontaine constate également « de grandes lacunes et une grande précarité » sur le plan médical : il manque de médecins formés en soins palliatifs et la récente loi qui demande aux omnipraticiens de suivre un certain nombre de patients complique le recrutement, dit-elle.

Sur cinq malades qui vont mourir, quatre vont obtenir des soins palliatifs appropriés avec un médecin généraliste, note le Dr Patrick Vinay, médecin en soins palliatifs retraité et ex-chef de l’unité des soins palliatifs de l’hôpital Notre-Dame. Et un malade sur cinq aura besoin de soins plus spécialisés, parce que son problème est plus complexe, parce que sa douleur est plus complexe.

Actuellement, constate le Dr Vinay, le Québec ne compte pas suffisamment de médecins aptes à s’occuper de ce cinquième des mourants et qui puissent être consultés par les autres médecins.

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Nombre de médecins (omnipraticiens ou autres) qui ont suivi une formation particulière prolongée d’un an en soins palliatifs au Québec

Une quarantaine

Pas plus d’une quarantaine de médecins au Québec offrent des soins palliatifs à temps plein, auxquels s’ajoutent une centaine de médecins qui consacrent plus de 40 % de leur pratique aux soins palliatifs et environ 200 qui leur consacrent moins de 40 %.

« On a un déficit d’expertise. Et ce déficit d’expertise est plus significatif que le fait qu’on a assez de lits », résume le Dr Patrick Vinay.

Les médecins déplorent aussi un manque de maisons de soins palliatifs, qui sont le fruit d’initiatives privées. Ces maisons, qui comptent sur le soutien de bénévoles, sont à moitié financées par le privé.

« On se sent fragiles dans une maison comme ça, confie la Dre Elisa Pucella, directrice médicale de la Maison des soins palliatifs de Laval. On dépend des dons de la population et de la perception que la population a de nous. »

« Ma mère me dit : “Elisa, c’est une maison de luxe dans laquelle tu travailles. Tu as le temps de parler aux patients, les infirmières sont aux petits soins…” Mais c’est le strict minimum ! Tu ne peux pas faire autrement, je trouve ! »

— La Dre Elisa Pucella

En fait, résume le Dr Patrick Vinay, c’est toute une organisation qui reste à construire : établissement d’un certificat en soins palliatifs par le Collège des médecins, reconnaissance du certificat, établissement d’équipes mobiles qui puissent aller dans le CHLSD lorsque c’est nécessaire…

« Pour vous dire le fond de ma pensée, je pense qu’on réfléchit beaucoup en ce moment sur l’aide médicale à mourir, qui concerne moins de 1000 patients par année, mais pas du tout aux 65 000 autres [qui meurent au Québec chaque année], dont au moins 45 000 méritent des soins palliatifs de qualité », dit le Dr Vinay, qui était engagé dans le mouvement d’opposition au projet de loi sur l’aide médicale à mourir.

Pendant qu’on mettait en place l’aide médicale à mourir, il n’y a pas grand-chose qui s’est fait pour améliorer les soins palliatifs, constate également la Dre Louise La Fontaine.

« Si, quand tu sonnes, le personnel infirmier est débordé et qu’il ne peut venir dans un délai rapide t’administrer ton antidouleur, est-ce que tu souffres de ta maladie ou d’un manque de ressources ? Il n’y a pas de rejet de l’aide médicale à mourir, mais la société ne devrait pas accepter que les gens choisissent ça faute de mieux », conclut la Dre Elisa Pucella.

Des obstacles au développement des soins palliatifs

Mythes des soins palliatifs

De nombreux mythes entourent les soins palliatifs : la morphine précipite la mort, les patients meurent de faim ou de soif, la mort provoquera inévitablement de la souffrance… Ces mythes peuvent faire peur aux patients.

Sentiment d’échec

Les patients et leurs médecins peuvent ressentir un sentiment d’échec envers la maladie, ce qui retarde le recours aux soins palliatifs. La peur de mourir et l’acharnement thérapeutique jouent aussi un rôle.

Manque de ressources

Manque de formation des intervenants, manque d’expérience médicale, coupes budgétaires en santé : la qualité des soins palliatifs est inégale d’une région à l’autre et d’un établissement à l’autre au Québec, rapportent de nombreux médecins en soins palliatifs.

Organisation des soins

Les patients sont souvent dirigés à la dernière minute vers les soins palliatifs. « Si l’organisation des soins fait en sorte qu’on nous les envoie tout le temps tardivement, ça perpétue encore plus le mythe que la médication tue », déplore la Dre Marjorie Tremblay, médecin en soins palliatifs.

Manque d’information

La population est souvent mal informée sur les soins palliatifs et son droit d’y recourir, constate la Dre Marjorie Tremblay. « On ne peut pas faire un choix libre et éclairé et revendiquer des soins de qualité quand on ne sait pas ce que c’est », souligne la Dre Louise La Fontaine.

Source : conférence de la Dre Marjorie Tremblay

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