Alain Chainey

Les hauts et les bas d’un recruteur

Le départ de Mikhail Sergachev pour Tampa Bay a rappelé une foule de souvenirs, tantôt douloureux, tantôt moins, à l’ancien recruteur en chef des Ducks d’Anaheim Alain Chainey.

Responsable du recrutement pour l’organisation californienne entre 1996 et 2008, Chainey se rappelle encore un appel de son directeur général Jack Ferreira, le 7 février 1996.

« C’était quelques mois avant que je ne devienne recruteur en chef, alors que j’étais recruteur pour l’équipe, raconte Chainey, aujourd’hui analyste à TVA Sports. Notre gérant venait de nous annoncer qu’il venait d’échanger notre quatrième choix au total en 1995, Chad Kilger, et notre deuxième choix au total l’année précédente, le défenseur Oleg Tverdovsky, pour du renfort à court terme. David [McNab, assistant au directeur général] était dévasté. J’étais découragé. En plus, Jack Ferreira nous avait d’abord annoncé que Tverdovsky était échangé, puis le lendemain, on a ajouté Kilger. J’avais participé activement à ces deux repêchages et ça me faisait mal de voir nos jeunes joueurs partir. »

Les Mighty Ducks ne venaient tout de même pas d’acquérir un pied de céleri. L’attaquant qui s’amenait de Winnipeg avait déjà, à 26 ans, quelques brillantes saisons derrière lui... un certain Teemu Selanne !

« C’était une réaction humaine normale. On n’a pas mis de temps à réaliser que l’arrivée de Selanne a permis aux Ducks d’obtenir beaucoup de crédibilité, et il a formé tout un duo avec Paul Kariya, mais quand tu repêches un jeune, tu espères le voir grandir dans l’organisation. C’est une réaction humaine normale. Le DG nous dit toujours que notre travail est de repêcher et que ça lui donne des cartes dans son jeu. Mais lorsque tu perds un joueur que tu as désiré, tu as un pincement au cœur. Tu perds un petit gars que tu as vu jouer très souvent. »

Kilger n’a jamais connu une saison de plus de 28 points, même s’il a vécu de bons moments à Montréal en milieu de carrière. Tverdovsky a eu quelques bonnes saisons offensives, mais il a été échangé à nouveau trois ans plus tard.

Mike Comrie

Quelques années plus tard, un scénario bien différent s’est produit. « Bryan Murray était alors le DG des Ducks, relate Chainey. J’assistais à un match à Guelph, en Ontario, quand Bryan m’a appelé pour me dire qu’il venait d’échanger notre espoir encore dans les rangs juniors, Corey Perry, et notre choix de première ronde en 2004 pour le centre Mike Comrie, des Oilers d’Edmonton. Je suis tombé sans connaissance. Je ne parlais plus. Bryan se demandait même si j’étais encore au bout du fil... »

Perry avait été repêché en fin de premier tour quelques mois plus tôt, le deuxième choix des Ducks au premier tour après Ryan Getzlaf. « Bryan m’avait expliqué qu’il avait besoin d’un joueur de centre pour aider l’équipe à court terme et qu’il devait bouger. Il m’a demandé d’appeler les autres recruteurs pour leur annoncer la nouvelle. Les gars n’arrivaient pas à y croire. Il y en a même certains qui pleuraient. Je regardais le match et j’étais incapable de me concentrer. Je ne voyais pas le match pantoute, je pensais seulement à ça. Le lendemain, Murray me rappelle pour m’annoncer que la transaction venait d’avorter. Kevin Lowe a demandé aux propriétaires des Mighty Ducks de payer le boni de 1 million à Comrie, et ceux-ci ont refusé... »

Treize ans plus tard, Perry a disputé 886 matchs avec les Ducks et amassé 717 points, dont 349 buts, et a connu six saisons de plus de 30 buts. Comrie a pris sa retraite six ans après l’échange avorté, sans n’avoir jamais réussi une saison de plus de 60 points.

« Imagine-toi la réaction de Trevor Timmins quand le Canadien a échangé Ryan McDonagh pour Scott Gomez. Comment Timmins doit se sentir chaque fois qu’il le voit jouer... »

— Alain Chainey

Chainey estime toutefois que le Canadien a fait un très bon coup la semaine dernière en obtenant Jonathan Drouin en retour de Sergachev. « Sergachev va être bon pour l’avenir, mais l’avenir du Canadien, c’est l’immédiat. Il faut gagner des matchs, et il manquait de profondeur à l’attaque. Jonathan Drouin a seulement 22 ans, il est très créatif et dynamique, et il excelle en supériorité numérique. »

Getzlaf et Perry

Chainey était entraîneur adjoint avec les Nordiques lorsque le responsable du recrutement à Québec, Pierre Gauthier, a été nommé adjoint au directeur général à Anaheim et a convaincu Chainey de le suivre.

Il a connu sa plus grande année en 2003 en repêchant coup sur coup Getzlaf et Perry, qui restent à ce jour les locomotives des Ducks.

« Getzlaf était cinquième sur notre liste finale et Perry, huitième. Vers le 14e rang, en voyant que Getzlaf n’avait toujours pas été choisi, Bryan Murray s’est approché de moi et m’a demandé si Getzlaf avait des problèmes à l’extérieur de la glace. Je lui ai expliqué que c’était un jeune qui, certains soirs, va prendre ça à la légère, la constance n’est pas au rendez-vous, mais ces jeunes-là vieillissent. Un joueur de centre de ce gabarit avec de très bonnes mains, un excellent passeur... J’étais vraiment nerveux lorsque les Capitals se sont présentés sur l’estrade un rang avant nous, parce que Getzlaf demeurait à Regina, tout comme le recruteur en chef de Washington. Finalement, les Capitals ont repêché Eric Fehr. J’étais soulagé. »

En voyant que Perry était toujours disponible en fin de premier tour, Chainey a supplié Murray d’obtenir un autre choix de premier tour. « On a offert deux choix de deuxième ronde aux Stars de Dallas pour obtenir le choix au 28e rang. Ils ont répondu que si le joueur qu’ils avaient ciblé n’était plus disponible au 28e rang, ils allaient faire l’échange. Mais nous aussi on attendait de voir si Perry était toujours disponible à ce rang. Finalement, le joueur qu’ils convoitaient a été choisi et nous avons pu obtenir leur choix. »

Chainey a dirigé son dernier repêchage en 2008 avant de prendre sa retraite et de laisser la place à Martin Madden fils. Il garde encore un douloureux souvenir de ce repêchage.

« On voyait Erik Karlsson dans notre soupe, tous nos recruteurs étaient unanimes, mais notre directeur général Brian Burke ne voulait pas repêcher un défenseur de 5 pieds 10 en première ronde. Bob Murray était le DG adjoint, je lui ai demandé de convaincre Burke. Il n’a jamais réussi à le faire. On a échangé notre 12e choix au total pour reculer de quelques rangs et obtenir un choix de deuxième ronde supplémentaire. Ottawa savait qu’on l’aimait, ils ont fait un échange pour s’avancer au repêchage et le choisir quelques rangs avant nous. J’avais envie de pleurer. »

Les Ducks ont finalement repêché Jake Gardiner au 18e rang. « Karlsson mesurait peut-être 5 pieds 10 et pesait 165 livres, mais notre recruteur en Europe nous disait qu’il allait grandir et grossir, car sa famille était imposante. Il avait complètement raison. On l’avait rencontré à plusieurs occasions. Je me rappellerai toujours notre interview avec lui avant le repêchage à Ottawa. Je lui avais demandé de se donner une note de 1 à 5 pour son patin. Il avait répondu 4,5 et s’était donné la même note pour ses habiletés avec la rondelle : 4,5. Son tir ? Il avait répondu 4. Quand je lui ai demandé combien il se donnait pour son sens du jeu, il m’avait rétorqué... 6. Il aurait pu être un Ducks. Tout ce qu’on aurait eu à faire, c’est de le choisir à notre rang... »

ALAIN CHAINEY SUR...

... LE REPÊCHAGE DE 1998

« Avec le recul, on aurait dû choisir Simon Gagné, mais plusieurs équipes l’ont raté aussi et Vitali Vishnevsky, notre choix au cinquième rang, a été un bon défenseur pour nous. C’était un défenseur à caractère défensif très robuste. Les gens l’ont aimé à Anaheim. Il a rempli son rôle comme on le voyait, un quatrième ou cinquième défenseur, très impliqué physiquement avec une bonne première passe. On le savait qu’il ne dominerait pas offensivement. On était “vendus” sur lui. Les joueurs l’ont beaucoup aimé aussi. »

... LE REPÊCHAGE DE 2000

« Stanislav Chistov, qu’on a repêché au cinquième rang [devant Mikko Koivu et Mike Komisarek], était l’un des meilleurs joueurs de ce repêchage. Il dominait dans tous les tournois. Pierre Gauthier était le directeur général et il l’adorait. Il a bien fait à sa première année. Mais il y a eu le lock-out et on a fait l’erreur de l’envoyer dans la Ligue américaine. Ça n’a pas fait son affaire, il aurait préféré retourner en Russie. Finalement, ça a été très difficile pour lui et il ne s’en est jamais remis. Après deux ou trois ans, c’était fini, il est rentré en Russie. À l’époque, lorsque les Russes faisaient face à l’adversité, très souvent, la voie de sortie, c’était de retourner à la maison. » 

... LE REPÊCHAGE DE 2005

« Nous avons presque gagné la loterie et avons obtenu le deuxième choix. On aimait Carey Price, mais à Anaheim à l’époque, on ne voulait pas repêcher de gardien en première ronde. Il était premier sur la liste de nos gardiens, mais c’était une liste parallèle. Nous ne repêchions jamais de gardien dans les deux premières rondes. On aimait bien Marc Staal, Jack Johnson aussi. On aimait beaucoup Bobby Ryan. Il était dominant offensivement, même s’il n’était pas en grande forme physique à cet âge. On a fait une erreur avec Anze Kopitar. On l’a remonté d’une dizaine de rangs sur notre liste, mais il a terminé aux alentours du septième rang sur cette liste, et il était meilleur que ça. »

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