Mariana Mazza

Compétitive

Mariana Mazza est nommée dans deux catégories, dimanche prochain, au 20Gala Les Olivier : Meilleur vendeur et Olivier de l’année, qu’elle a remporté l’an dernier pour le spectacle Femme ta gueule. Discussion à bâtons rompus avec la plus populaire des humoristes sur le succès, les compromis, son prochain spectacle qui s’annonce plus corrosif et la condescendance de la « gauche » humoristique.

Selon l’Institut de la statistique du Québec, des trois spectacles payants les plus populaires l’an dernier…

Des cinq ! Des cinq spectacles les plus populaires au Québec, il y avait un seul show d’humour et c’est le mien.

Dans le top 3, il y a deux spectacles du Cirque du Soleil et le tien, qui est deuxième. On parle d’un géant mondial du divertissement. Comment gères-tu ce succès ? Comment l’envisages-tu ?

Je le gère de mieux en mieux. Je le savais que j’allais arriver à ça, parce que j’avais cette ambition. C’est ce que je voulais : arriver de manière flamboyante. C’est un pari réussi. Mais les conséquences qui viennent avec sont mentalement éprouvantes.

Qu’est-ce qui a été le plus éprouvant ?

Ce qui est le plus difficile et le plus éprouvant, ce sont mes propres attentes, pas celles du public. J’aime me surpasser. De voir que je suis dans ce palmarès des meilleurs vendeurs et que les gens ont voté pour moi pour l’Olivier de l’année crée une pression que je m’inflige à moi-même. Je ne veux pas être en bas de ça. Je ne veux pas me décevoir moi-même. Je sais ce que je peux faire, je sais ce que je veux et ce que je ne veux pas. Je sais ce que j’ai envie de dire. J’ai des opinions et je les défends bec et ongles. Mais je m’excuse quand elles ne sont pas valables. J’ai cette espèce d’intelligence émotive dont je suis très consciente, mais ça joue des tours…

Lesquels ?

J’ai peur des fois d’être une pâle copie de moi-même.

Dans ton art ou dans la vie en général ?

Dans tout. J’ai commencé à faire ce métier-là à 21, 22 ans. Normalement pour une fille qui vient d’un milieu immigrant, avec un père manquant et une mère monoparentale, t’es encore en train de te chercher à cet âge-là. Moi, je ne sortais pas avec mes amis, je ne buvais pas, je n’allais pas aux partys. Je travaillais mes affaires, sans savoir exactement ce que j’allais en faire. J’ai toujours été différente de mes amis. Il a fallu que je me mette dans les chaussures d’une femme très rapidement. Quand j’ai vu l’impact que j’avais sur les gens, avec un micro dans les mains, j’ai compris que c’était du sérieux et qu’il fallait que j’aie un propos.

On parle de ton succès. Est-ce que tu serais déçue de faire un spectacle dont tu es fière, qui repousse tes limites artistiques, mais qui serait moins populaire ?

Non. Je voulais être le plus populaire possible avec mon premier spectacle, pour ensuite me permettre plus de libertés. J’ai un échantillonnage d’humains qui ont vu mon show. Ceux qui ont tripé vont me permettre de prendre un risque artistique. Si j’avais commencé avec un show plus underground, ç’aurait été plus difficile. Mais le succès a été flagrant. Je ne fais pas ça pour l’argent. Ça veut dire que je fais de l’argent ! L’argent ne me guide pas dans mes choix artistiques. Au début, je voulais jouer sécuritaire. Je voulais atteindre les jeunes, les vieux, les femmes, les hommes. Maintenant, je vais m’amuser comme du monde !

Je croyais au contraire que ce genre de succès encourageait le conformisme. On ne change pas une formule gagnante…

Je ne veux pas être une comptable de l’humour. Je veux avoir le salaire d’une comptable, pour pouvoir me permettre les idées d’une artiste. Je veux utiliser mon statut de « vedette », financier, populaire, pour pouvoir miser sur ma création. Dès que j’ai su que mon spectacle fonctionnait, mon premier réflexe n’a pas été de regarder mon compte en banque, mais de saisir que je pourrais faire tout ce que je veux, jouer avec le feu, dépasser les barrières. Tourner trois ans avec un spectacle, je ne ferai plus ça. Pas parce que je suis meilleure qu’une autre, mais parce qu’artistiquement, c’est emmerdant ! Pendant cette tournée, j’ai découvert bien des choses sur moi. Je suis devenue une vraie humoriste. Et je n’ai jamais arrêté de travailler. J’ai eu le temps d’écrire mon deuxième show, de commencer à écrire le troisième, en plus d’un film et une série.

Tu as commencé ta tournée à 25 ans…

Et je vais la finir à 29 ans ! Je ne suis plus la même personne. Les gens pensent me connaître, mais ils ne me connaissent pas. Ils ne savent pas ce que j’ai vécu dans l’enfance et ce que je vis intérieurement. Ils ne savent pas que je vois une psy. Ils ne savent pas que je me médicamente. Ils ne savent rien de tout ça, parce que je ne veux pas tout dévoiler en même temps. Je ne veux pas faire ce que bien des humoristes font : répéter la même formule. Je préfère me planter artistiquement en essayant quelque chose de nouveau que de me planter dans mon confort.

Dans ton spectacle, il est beaucoup question de féminisme, d’être une femme. Dans un milieu d’hommes – qui change avec la nouvelle génération –, est-ce que tu savoures comme une victoire le fait d’être la plus populaire ?

Il n’y a jamais eu autant de femmes humoristes et elles n’ont jamais été aussi fortes ! Oui, j’espérais vendre autant de billets que les gars. Moi qui ai grandi avec des garçons et qui suis toujours entourée de gars, j’étais fière d’y arriver. C’est un peu malsain, mais j’aime la compétition. Je ne veux pas être une fille parmi les gars, je veux être une fille parmi les gens. Mais c’est cool en estie que le spectacle d’humour le plus lucratif cette année soit celui d’une femme !

Pourtant, il y a deux ans, peu de gens auraient parié sur le fait qu’une jeune Montréalaise d’origine libano-uruguayenne…

Avec des tattoos, qui parle fort, avec une voix grave…

Puisse plaire autant de l’Abitibi à la Gaspésie.

J’ai eu la chance de faire la première partie de Peter MacLeod. Ç’a tout changé. Malgré tout ce qu’on peut penser de lui, c’est un humoriste qui me ressemble beaucoup. Pas dans le propos, mais dans sa façon de s’assumer. C’est un gars qui aime les gens, qui a le cœur sur la main. Il m’a appris comment prendre le temps de dire merci aux gens qui nous font vivre. De prendre le temps de les écouter. Combien de jeunes filles m’ont écrit pour me dire que je leur avais enlevé l’envie de se suicider ? J’ai un petit don pour atteindre le cœur des gens.

Ça doit être gratifiant…

Le nombre de fois où je me suis dit que j’irais en France parce que je suis sûre que ça marcherait là-bas… Ce n’est pas une bonne raison d’aller en France ! Il faut que j’y aille parce que j’ai envie d’apporter quelque chose là-bas. Mais je n’ai pas fini mon travail ici. J’ai quelque chose à accomplir. La libération de la femme ne s’est pas totalement faite au Québec, parce que les femmes – et les hommes – ne s’assument pas dans leur succès. Ça a l’air bien prétentieux de dire ça, mais tranquillement, cette prétention va se transformer en fierté. Je sais qu’en ce moment, j’ai une fougue de fille qui n’a peur de rien, même si je suis terrorisée à l’intérieur. J’aime profondément ce que je fais et ce que je suis, et tant que ça va durer, tant que j’aurai cette confiance en moi, je vais continuer à faire ce métier.

Tu parlais de Peter MacLeod. Il y a, en humour comme ailleurs, des chapelles. Certains jeunes humoristes lèvent le nez sur ce genre d’humour plus populaire…

Pars-moi pas là-dessus !

Je te pars là-dessus…

Je vais essayer de te le dire de la manière la moins émotive possible, parce que c’est un sujet qui me touche.

Tu te sens visée par ça ?

Absolument. Mais en même temps, ils parlent moins de moi que de leur propre ego. En ce moment, il y a une mode qui veut que l’humour, ça ne doit pas nécessairement être drôle. On n’est plus obligés de mettre des jokes dans nos shows. Je comprends. Mais en même temps, c’est un show d’humour ! Tu peux mettre des jokes intelligentes. T’es pas obligé de puncher aux trois secondes, mais s’il n’y a pas de jokes, je suis désolée, ce n’est pas un show d’humour. C’est une très bonne conférence. Je veux ressortir d’un show d’humour en disant : « Crisse que j’ai ri et en plus j’ai réfléchi ! » Pas : « Hostie que j’ai réfléchi et j’ai un peu ri… » C’est ma perception à moi. T’as le droit de ne pas être d’accord. Mais oui, il y a une génération qui lève un peu le nez sur l’humour populaire, selon moi.

Et qui porte un jugement condescendant sur ce que tu fais ?

Oui. C’est le mot juste. Ce n’est pas du mépris, mais de la condescendance. Certains humoristes croient que leur humour est trop intelligent pour être populaire. Ce sont des gens brillants, qui ont des idées et qui pourraient changer des mentalités. Ils pourraient aider des gens ignorants, qui n’ont pas d’éducation et de culture, mais ils décident de rester entre eux. C’est dommage. Si les gens ne comprennent pas, il y a peut-être un problème. Et le problème, ce n’est peut-être pas les gens, mais eux ! C’est sûr que j’aimerais plaire à mon milieu. J’aimerais sentir que la « gauche » des humoristes m’aime bien. Mais ils me critiquent sans avoir vu mon show ! Mon succès ne m’est pas monté à la tête. Il a rendu jaloux des gens, qui sont devenus amers. On parle de solidarité féminine et d’égalité des sexes. L’égalité des sexes ne sera jamais atteinte tant et aussi longtemps qu’on ne va pas se tenir entre nous. À la place de faire des cliques et de se critiquer, on devrait se rassembler. On a plus de puissance que les journalistes. On peut changer la donne.

J’ai l’impression de deviner de qui tu parles…

Je ne veux pas viser personne en particulier.

Sens-tu que tu as dû faire des compromis pour devenir populaire ?

J’ai fait beaucoup de compromis pour Femme ta gueule. Je vais en faire moins dans mon prochain show. J’ai appris à mieux écrire. Et j’ai vécu tellement de choses depuis. Il y a une intelligence artistique qui s’est développée et qui va me permettre de faire moins de compromis. Je vais m’assumer encore plus. Je vais parler de la grossophobie, du mariage forcé, de la polygamie. Il y a plus de risques qu’on me critique négativement. Parce que je vais être beaucoup plus engagée dans mes opinions et m’assumer dans mon intelligence. Je n’assumais pas beaucoup mon intelligence dans mon premier show. Et je ne parle pas d’utiliser des beaux termes. Oui, j’aime sacrer. C’est mon plus gros défaut. Mais ce n’est pas ça, la vulgarité. Contrairement à d’autres, je considère que le public est intelligent et que si je fais une blague, il va être capable de la comprendre.

Tu en as voulu à ton milieu, l’an dernier, de t’avoir snobée au Gala Les Olivier, alors que tu étais finaliste dans un nombre record de catégories. Est-ce que tu l’as encore sur le cœur ?

J’ai été irritée pendant un certain temps… J’avais beaucoup d’attentes. C’est toujours ce qui déçoit le plus, dans la vie, les attentes. Il faut que je me rappelle que les seuls vrais juges de mon métier, ce sont les rires des spectateurs. Mais pour une fille compétitive comme moi, qui a fait du sport de compétition, ce serait une cachotterie de te dire que je n’étais pas en tabarnak ! J’ai fait le deuil de cette émotion malsaine. Parce que la douleur du rejet m’a tellement fait mal que je me suis dit que j’avais besoin d’une barrière émotive face aux gens qui font le même métier que moi. Dorénavant, pour tous les galas à venir, je vais prendre une ou deux coupes de vin et avoir du plaisir. Fuck off !

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