Analyse

La guerre des « goons »

QUÉBEC — « Lorsque les citoyens assistent à un échange d’invectives plutôt qu’à un véritable débat, ils cessent de nous écouter. Comme on dit chez nous, ils “changent de poste”. » Philippe Couillard croyait poser les balises de son gouvernement, lors du message inaugural de mai 2014, ses premiers mots, comme premier ministre à l’Assemblée nationale.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Au premier tiers de la campagne électorale, Philippe Couillard n’a toujours pas attaqué directement son principal adversaire François Legault – il faisait allusion à lui indirectement, critiquant plutôt ses engagements. Quant à Jean-François Lisée, il est totalement absent de la campagne libérale – il faut dire que le Parti québécois (PQ) est devenu l’allié objectif du Parti libéral du Québec (PLQ) – plus il monte, plus la Coalition avenir Québec (CAQ) baisse.

Mais des escouades libérales sont régulièrement montées au front. En marge de la campagne des chefs a sévi la guerre des « goons » – ces justiciers du hockey qui ont plus de poings que de points. Plus direct, Jean-François Lisée a choisi d’aller lui-même dans les coins, de faire lui-même le coup de feu – il tirait encore à bout portant sur Éric Caire hier.

Les fiers-à-bras libéraux ont tiré les premiers ; l’encre des affiches était à peine sèche que le président de la campagne du PLQ, Alexandre Taillefer, soutenait que la CAQ était « une menace à la paix sociale ». 

Les candidats qui font irruption dans la campagne nationale n’ont généralement pas bonne presse. Le chef reste au-dessus de la mêlée, tandis qu’on fait des gestes désespérés pour renverser la tendance, écraser une bonne nouvelle pour l’adversaire.

Un exemple probant ? La sortie de trois candidats libéraux, lundi dernier. Pierre Arcand, Marc Tanguay et Isabelle Melançon avaient été désignés volontaires par les stratèges du PLQ pour stigmatiser la semaine « catastrophique » de la CAQ. En fait, le parti de François Legault venait, au contraire, de mettre un terme à sa série noire. Après les déboires de Stéphane Le Bouyonnec et d’Éric Caire, on avait annoncé le retour de Christian Dubé comme candidat-vedette. Homme affable et discret, Arcand est manifestement dans un rôle de composition comme fier-à-bras. Il semble être de toutes les missions difficiles. C’est lui qui avait eu à prévenir le député de Marquette, François Ouimet, qu’il n’était plus le bienvenu comme candidat libéral. On l’a aussi éjecté virtuellement de son ministère, le Conseil du trésor, pour satisfaire Gaétan Barrette.

Gaétan Barrette, lui, avait aussi été délégué aux basses œuvres ; un point de presse où il a laissé entendre que l’Unité permanente anticorruption devrait s’intéresser à l’emprunt contracté par le député caquiste Éric Caire ! Le caquiste de La Peltrie avait pourtant eu l’absolution de la commissaire à l’éthique de l’Assemblée nationale.

En 2014, la campagne péquiste n’était pas exempte de ces interventions ; Bernard Drainville et Jean-François Lisée avaient été conscrits en renfort de la campagne de Pauline Marois. Mais, se souvient un stratège libéral, ces interventions étaient au moins en surface organisées pour appuyer un engagement. On tirait sur les promesses des adversaires, jamais sur les individus.

Durant la campagne en cours, l’apparition de ces escouades de « justiciers » improvisés n’est pas l’apanage des libéraux. Lors de la journée de congé de François Legault, samedi dernier, Ian Lafrenière et Geneviève Guilbault ont été envoyés au front. Le premier s’est empêtré dans les nuances quant à l’intervention du politique auprès de la police. La seconde, avec un plan d’attaque plus précis, a exigé des comptes de l’administration de Gertrude Bourdon, candidate-vedette des libéraux. Sous sa gestion, le Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ) avait scindé des contrats pour qu’ils passent sous le radar du Conseil du trésor, afin de signer des ententes sans appel d’offres.

Depuis le début de la campagne, Philippe Couillard se défend d’être derrière des interventions parfois acrimonieuses de ses troupes. En fait, les commandes viennent du « war room », le chef libéral n’est pas pour autant informé du détail des interventions de ces guerriers d’élite. 

Les choses dérapent parfois : l’intervention de Marwah Rizqy et de Christine St-Pierre au début de la campagne en est l’illustration. Les deux protagonistes avaient des « lignes » bien précises à faire passer : François Legault était « sexiste » parce qu’il avait cautionné la diffusion des textos de la candidate libérale Gertrude Bourdon.

Mais la candidate Rizqy s’est lancée dans une série d’attaques tous azimuts contre « toute la dynamique que M. Legault entretient avec les femmes ». Legault avait ordonné à sa femme de se taire en 2014, il avait parlé de « la femme de l’autre » pour identifier Julie Snyder, alors conjointe de Pierre Karl Péladeau. L’apothéose ? Legault était sexiste parce qu’il s’opposait à la mairesse de Montréal Valérie Plante et à sa ligne « rose » ! Cette intervention a été, partout, tournée en ridicule.

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