Yannick Nézet-Séguin

« Une philosophie du cœur »

Le directeur artistique et chef principal de l’Orchestre Métropolitain (OM), Yannick Nézet-Séguin, a vécu une semaine difficile. Le départ de celle qui a joué un rôle capital dans sa carrière lui cause une grande peine. « Ça a été une semaine émotive… Elle a été chargée d’images de toutes sortes », a dit le chef, joint jeudi soir à Philadelphie.

C’est à l’Opéra de Montréal, où il a occupé les fonctions de chef de chœur et de chef d’orchestre adjoint de 1998 à 2002, que Yannick Nézet-Séguin a fait la connaissance de Jacqueline Desmarais. « C’était lors d’un gala. Je dirigeais quelques pièces. Peu de temps après, elle m’a invité à faire partie du jury de sa fondation. On a passé la journée ensemble. C’est là que ça a cliqué entre nous deux. »

Quand, en 2006, l’OM traverse une période difficile, Jacqueline Desmarais offre un important soutien financier à l’orchestre. 

« Elle et Richard Renaud ont tout de suite réagi, car ils croyaient qu’avec moi à la tête de l’OM, on pouvait développer quelque chose d’absolument unique. Ils ont été très visionnaires. »

— Yannick Nézet-Séguin

Yannick Nézet-Séguin ne se souvient pas d’un moment « officiel » où Jacqueline Desmarais lui aurait dit qu’elle allait le prendre sous son aile et qu’il allait devenir son protégé. « C’était quelque chose de plus organique que ça, dit-il. C’était une vraie amitié qui s’étendait sur le désir d’aider l’OM. Je n’avais pas ce type de discussion avec elle. »

Membre du conseil d’administration du Metropolitan Opera de New York, Jacqueline Desmarais a « milité » pendant de nombreuses années afin de faire reconnaître l’immense talent du jeune chef. Finalement, le 31 décembre 2009, elle a pris les grands moyens en finançant entièrement la production de Carmen qu’a pu diriger avec éclat son protégé alors âgé de 34 ans.

En juin 2016, lorsque Yannick Nézet-Séguin a été officiellement nommé directeur musical du Met, la mécène a pu exprimer son extrême fierté à l’émission 24/60 en compagnie d’Anne-Marie Dussault. Pour elle, cette nomination ne symbolisait rien de moins que « l’apothéose de son mécénat ».

Au cours de cette entrevue, Mme Desmarais multiplie les compliments à l’égard de celui qu’elle appelle affectueusement « Yannick ». Pour elle, il est « surdoué », « aimable », « intelligent » et, surtout, il possède la faculté de se faire aimer et respecter des musiciens et des chanteurs.

« Ça, c’était la philosophie de Jacqueline Desmarais, dit Yannick Nézet-Séguin. Une philosophie du cœur. Elle savait reconnaître les artistes capables de faire vibrer les gens. »

Quand l’animatrice lui demande ce que lui doit le jeune chef, elle répond sans hésiter : « Il ne me doit rien, car il me donne tout avec son talent et son génie. »

« C’est vrai qu’elle nous faisait toujours sentir qu’on ne lui devait rien, mais on faisait tout pour lui redonner quelque chose, dit aujourd’hui Yannick Nézet-Séguin. On était très heureux quand elle venait aux concerts, on voulait bien jouer. On se faisait un devoir de partager nos succès à Montréal comme à l’étranger avec elle. Et tout cela se faisait dans l’émotion. Il y avait toujours un mélange de rires et de larmes. Après les concerts, elle était souvent très émue. »

L’un des derniers grands voyages que Jacqueline Desmarais a effectués a eu lieu en octobre 2016. Elle s’est rendue à Philadelphie entendre deux de ses protégés : le violoncelliste Stéphane Tétreault et « son » Yannick. « On a fait le Concerto de Saint-Saëns et la Symphonie fantastique de Berlioz, raconte le chef. On avait organisé son séjour. Et je me souviens de l’incroyable passion avec laquelle elle a vécu ce moment. »

Yannick Nézet-Séguin est tout à fait conscient de la chance qu’il a eue d’avoir pu compter sur Jacqueline Desmarais lors de son cheminement. « Cette manière de donner à la société et ce niveau d’engagement, on ne retrouve pas cela facilement. Il y a Mme Desmarais, mais il y a eu aussi son mari. Ce qui est extraordinaire, c’est que cet engagement est valorisé par toute la famille Desmarais. Pour eux, il est clair que c’est quelque chose d’important, quand on est membre d’une société, de soutenir ses artistes. Ce qui était unique avec Jackie, c’est que nous n’avions jamais l’impression d’être dans une relation d’autorité ou de pouvoir. »

Celui qui assure le mandat de chef de l’Orchestre de Philadelphie et celui de chef de l’Orchestre philharmonique de Rotterdam (jusqu’à la fin de la saison actuelle) entrera en fonction au Metropolitan Opera plus tôt que prévu, soit l’automne prochain (il devait commencer officiellement en 2020).

« La dernière fois qu’on s’est parlé, c’était l’été dernier… Excusez, l’émotion revient… Depuis, on communiquait par courriel. Elle me disait qu’elle voulait vivre jusqu’en 2020 pour assister à mon arrivée. Finalement, j’arrive plus tôt, mais elle est partie plus tôt. Je me console en me disant que là où elle se trouve, elle pourra encore mieux m’écouter. Elle va pouvoir assister à plus de représentations. Elle sera là, avec nous dans la salle. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.