L’événement

Seul, unique et intemporel

CHANSON ROCK
Délivrance
Éric Lapointe
Instinct Musique
3 étoiles et demie

Ce n’est pas Éric Lapointe qui va s’offrir un duo rap ou des arrangements électro. Il sera à jamais coulé dans le rock, avec un son et des textes bien à lui.

Son huitième album, Délivrance, commence sur des chapeaux de roue avec la chanson Ma nuit, où le rockeur parle de peau douce et de vices sur les accords de guitares tonitruants de son « frère de toujours », Stéphane Dufour.

Suit la « power ballade » Belle folie, extrait sorti en mars dernier. « C’est dans ton lit que l’amour peut enfin respirer », beugle plus tard le chanteur sur la charnelle Ma rose. La cadence ralentit avec la pièce acoustique La guerre a perdu, bellement chantée avec l’ex-candidate de La voix Noémie Lafortune. Rien à voir avec l’autre duo – presque métal – avec l’ancien finaliste du concours télévisé Travis Cormier.

En milieu d’album, les arrangements de cordes de la ballade Besoin de toi et les accords à la Tom Petty de Rien ne s’endort s’avèrent des moments forts. Tout comme la chanson Est-ce que tu sais ?, peut-être la plus pop de l’album.

Pour ses textes – dont certains sont plus faibles, avec des rimes boiteuses –, Lapointe a fait appel aux plumes de Luc De Larochellière, Lynda Lemay, Michel Rivard et feu Roger Tabra. Il reprend Le p’tit bonheur de Félix Leclerc. Sans vous, chantée avec un piano à la toute fin de l’album, est dédiée à ses fils. « Sans vous, je serais passé à côté de ma vie », chante-t-il.

Éric Lapointe lance un nouvel album qui aurait pu sortir en 2008… ou même en 1998. Depuis le début de sa carrière, il demeure fidèle à un son rock, à une énergie brute et à des textes qui rebrassent les mêmes thèmes.

Certaines chansons de Délivrance s’égarent du reste, dont Madame. Et au bout du compte, Lapointe propose beaucoup de ballades.

Peut-on lui reprocher de faire du surplace ? Pas en ce qui nous concerne, car seul Éric Lapointe peut faire… du Éric Lapointe.

— Émilie Côté, La Presse

Critique

Avancer avec grâce

SOUL/R&B
Good Thing
Leon Bridges
Columbia/Sony
3 étoiles et demie

Leon Bridges a sorti son album Coming Home en 2016 et fut une révélation avec sa voix d’or et sa vieille âme. Avec sa musique soul, authentique et réconfortante, le chanteur texan s’est vite attiré des comparaisons avec Sam Cooke. Légère déception à la première écoute de Good Thing, qui donne l’impression que Bridges a délaissé le soul pour surfer sur la vague R&B du moment. Or, cette impression est trop sévère. Bridges a peut-être enfoncé la pédale de la pop sur des extraits comme Forgive You, mais il garde un parfum vintage dans sa démarche plus contemporaine, avec des instrumentations folk, jazz, R&B et funk. L’audacieuse et dansante chanson You Don’t Know a même une basse disco. Mrs. est une ballade de fin de chaude soirée d’été. Georgia To Texas nous transporte dans un club jazz. Sur If It Feels Good (Then It Must Be), on peut toutefois deviner avec agacement qu’il a travaillé avec le réalisateur de Maroon 5 et Twenty One Pilots, Ricky Reed. Leon Bridges a donc décidé d’élargir ses horizons au lieu de se répéter. Il le fait avec grâce et avec le même cœur dans la voix, même s’il s’éparpille un peu trop. Au final ? Il passe le test difficile du deuxième album. Leon Bridges sera à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts le 28 septembre.

— Émilie Côté, La Presse

Critique

Alfa ou rococo ?

SYNTH POP, POP
L’amour et le chaos
Alfa Rococo
Coyote Records
3 étoiles et demie

David Bussières et Justine Laberge évoluent sur des terres synth pop et indie pop, terres relativement comparables à celles que labourent Steve Dumas et Ariane Moffatt. Ce qu’ils accomplissement se situe plus ou moins au même niveau que ces collègues de la même génération. De manière générale, leurs textes sont bien conçus et consonants, on y recense un taux comparable de clichés poétiques et de trouvailles inspirées. Musicalement, on devine que ces bonnes gens écoutent et ruminent pas mal de sons technoïdes et de pop en vogue… Ils pourraient d’ailleurs en intégrer davantage sans craindre le tune-off radiophonique, ils pourraient aussi soigner davantage leur production, surtout côté mix et matriçage – mais bon, voilà une remarque d’audiophile. Chose certaine, on ne ressent pas cette vacuité conceptuelle présumée par quiconque croit forcément bidon leurs succès à la FM commerciale. David et Justine sont de vrais artistes populaires de notre temps, aussi de vrais amoureux, de vrais parents, de vrais citoyens, de vrais êtres sensibles, humains intelligents et lucides. Il faut être de mauvaise foi pour les regarder de haut, pour voir dans leur travail opportunisme et fausses prétentions. Bien au contraire, cette pop n’a aucune prétention malgré sa rigueur artisanale… et trouve malgré tout preneur dans le chaos des perceptions.

— Alain Brunet, La Presse

Amé bien armée

ÉLECTRO-POP
Amé
Sa couleur
Oblik/Believe
*** 1/2

Assistée de son réalisateur et partenaire Étienne Chagnon, Amélie Larocque a vraiment pensé à son affaire pour offrir un produit aussi clairement référencé, aussi efficace. Elle sait écrire sans maladresse, elle sait faire des tubes avec adresse (pour Marc Dupré, Renée Wilkin, Jérôme Couture), elle sait chanter très juste et très fort. Lui sait générer une pop synthétique de classe mondiale, particulièrement prisée en Europe – basses très costaudes, ponts de claviers rutilants, Auto-Tune et tout et tout. Ils savent tous deux ficeler de puissantes accroches destinées aux jeunes auditoires de masse, ils savent fort bien d’où ils viennent musicalement, de Depeche Mode à Robyn en passant par Mylène Farmer, ils savent où la synth pop, la dance pop et l’électro-pop sont rendues. En fait, ce qu’ils viennent de faire requiert une véritable expertise du studio et un véritable talent de hitmaker. Nous ne sommes pas ici dans le sous-produit décalé et… arrêtons de nous étonner que des artistes québécois francophones puissent pondre une telle douzaine de tubes potentiels, en phase avec la planète. La chanteuse et son comparse pourraient ainsi irradier les clubs de la francophonie, bien au-delà du marché local. Bien sûr, le succès dans la pop culture peut se comparer à un billet de loterie gagnant, tous les espoirs sont néanmoins permis pour l’opus Sa couleur.

— Alain Brunet, La Presse

Sermon de la troisième Cène

GARAGE, PUNK, NOISE POP
Jesuslesfilles
Daniel
Bonsound
*** 1/2

La troisième galette de Jesuslesfilles est flambée au garage rock, au punk rock et à la pop bruitiste. Mine de rien, le chemin de croix avait démarré il y a 10 ans, la formation a bien sûr cheminé sur les voies d’évitement, ses membres ayant mené parallèlement d’autres projets. À table au sermon de la troisième Cène (redoutable sermon !), Jesuslesfilles se compose du guitariste et chanteur Martin Blackburn (membre originel et parolier du band), de la chanteuse Yuki Berthiaume (aussi d’I.D.A.L.G.), du guitariste Philippe Hamelin, du bassiste Guillaume Chiasson (Ponctuation et Solids) et du batteur Benoit Poirier (autre membre originel). Le claviériste Thomas Augustin (Malajube) a aussi contribué et c’est idem pour le saxophoniste Christophe Lamarche-Ledoux (Chocolat, Organ Mood). L’épais brouillard du mix est une gracieuseté de Jean-Michel Coutu (I.D.A.L.G.), aussi coréalisateur de Daniel aux côtés de Martin Blackburn. À l’évidence, malgré les accroches mélodiques, on n’est pas dans la chanson à texte… Pas évident de trouver le sens de ces mots perdus dans ce maelström de distorsion… À force d’écouter, on y discerne des poèmes sommaires sur des thèmes sommaires. Voyez ces quelques titres : Daniel, Soleil, Hôpital, Solitaire, Motocycle, Vilaine, Téléroman, Parasol… On retient d’abord Trop demander, un vrai tube rock dont le groove est assorti d’une irrésistible modulation harmonique. On en veut d’autres !

— Alain Brunet, La Presse

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