OPINION

CRYPTOMONNAIE Une (autre) occasion ratée par la Régie de l’énergie

La Régie de l’énergie a rendu, plus tôt cette semaine, une autre décision qui montre les limites d’une institution incapable de s’adapter à la réalité changeante du secteur de l’énergie et de tester de nouvelles avenues. Il est grand temps de revoir cette structure qui a un pouvoir déterminant pour l’avenir énergétique du Québec.

La proposition d’Hydro-Québec pour gérer la forte demande de l’industrie de la cryptomonnaie était simple. Reconnaissant que la génération de la cryptomonnaie est hautement spéculative, avec très peu de valeur ajoutée pour l’économie québécoise, que ce soit en termes d’emplois ou d’investissements pérennes, Hydro-Québec proposait de vendre aux enchères un bloc de puissance fixe pour une durée prédéterminée.

Cette approche aurait permis de maximiser le rendement pour l’ensemble des Québécois sans pénaliser l’installation de futures industries ou la signature de contrats d’approvisionnement présentant un plus grand potentiel de développement économique.

En imposant des conditions qui limitaient son impact sur la pointe hivernale, Hydro-Québec s’assurait que ces contrats n’auraient pas eu d’effet sur les tarifs pour l’ensemble des consommateurs.

L’originalité de cette proposition aurait permis de tester de nouvelles façons de valoriser l’électricité alors que le secteur connaît, partout dans le monde, des transformations majeures. 

Cette proposition avait, de plus, le mérite de reconnaître que le minage de la cryptomonnaie ne s’appuie que sur une seule ressource : l’électricité. Si, pour le secteur minier traditionnel, l’extraction des ressources s’accompagne du paiement de redevances basées sur la valeur de la production, pourquoi ne pas faire de même pour la cryptomonnaie ? C’était justement la proposition d’Hydro-Québec.

L’innovation rejetée

Or, si la Régie approuve la création d’une nouvelle catégorie de consommateurs ainsi que celle d’un bloc d’énergie, elle rejette l’aspect le plus innovateur de la proposition d’Hydro-Québec, c’est-à-dire la vente aux enchères, qui aurait permis à Hydro-Québec et à l’ensemble des Québécois de récolter une partie de l’élément spéculatif de ce secteur en contrepartie du soutien de l’électricité (qui représente le seul entrant dans la fabrication de cette valeur).

Il aurait pourtant été possible à la Régie de tester le régime pendant quelques années et d’évaluer sa pertinence. Elle choisit plutôt, avec sa frilosité habituelle, de préserver le statu quo et de protéger l’ordre établi.

Faible diversité des régisseurs

Cette incapacité de la Régie de l’énergie à saisir les occasions et à intégrer de manière plus large les grands enjeux de société à ses décisions provient de la loi qui encadre le fonctionnement de l’énergie, mais également de la faible diversité des régisseurs.

Ceux-ci, nommés par le gouvernement pour des mandats de cinq ans renouvelables, ont tout intérêt à éviter de faire des vagues s’ils veulent maintenir leur emploi. Leur formation est, de plus, très étroite : la majorité des régisseurs actuels sont avocats ou économistes. Une seule a une formation scientifique et aucun ne détient un doctorat.

L’orientation légaliste de la Régie explique probablement pourquoi celle-ci n’a jamais mené de réflexion plus large sur la transformation du système énergétique malgré des dispositions dans la loi qui lui permettent de le faire.

Or, alors que le secteur de l’électricité se transforme sous l’impulsion entre autres de la production décentralisée et des technologies de l’information, et que la transition énergétique relève maintenant de la Régie de l’énergie, il est essentiel que celle-ci dispose des outils légaux et intellectuels pour appuyer la transformation.

Pour ce faire, une révision en profondeur de la Régie s’impose. Il faut revoir la loi, les objectifs et la nomination des régisseurs afin que ceux-ci disposent d’une formation universitaire avancée, de connaissances techniques approfondies, de perspectives larges sur ces questions, du cadre législatif et de l’indépendance pour prendre des décisions audacieuses.

Avec cette révision, la Régie pourra jouer le rôle qui lui revient et permettre au Québec de se positionner pour les enjeux de demain plutôt que de le condamner à faire du surplace.

* Normand Mousseau est également directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier à Polytechnique Montréal.

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