Chronique

Montréal manque de vision

Ce n’est pas moi qui fais ce constat lapidaire et déprimant, c’est Estelle Métayer, véritable gourou de l’information et des données. J’ai eu la chance de la rencontrer hier en marge du panel qu’elle animait sur la gestion des villes avec intelligence, au New Cities Summit, à Montréal.

Un mot, avant de poursuivre sur le manque de vision de Montréal, sur cette femme de 46 ans qui maîtrise quatre langues, bientôt cinq, et qui pilote des avions par passion.

Née à Lyon, en France, Estelle Métayer parle français, anglais, italien, néerlandais et apprend l’arabe. Elle est tombée amoureuse du Québec, il y a 25 ans, puis d’un Albertain, aussi en amour avec le Québec. Elle chasse les tendances et travaille à son compte avec les entreprises pour les préparer à l’avenir et leur faire voir ce qu’elles n’ont pas encore vu. Un métier dont j’ignorais même l’existence. Elle siège également à quatre conseils d’administration : Ubisoft, BRP, la Banque Zag, une filiale de Desjardins, et Ricardo Média.

Montréal, donc.

Puisqu’il était question des villes et du futur au New Cities Summit, je lui ai demandé à quoi, selon elle, Montréal allait ressembler dans cinq ans.

Sa réponse : 

« Montréal a beaucoup de promesses, mais pas encore une vision très claire de là où elle va être. Prenons les transports en commun. À Paris, en cinq ans, on a éliminé la moitié des routes pour créer des zones réservées aux autobus et aux taxis. C’était clair, rapide, direct. Du jour au lendemain, on a séparé les routes en deux. Il y a une partie pour les transports en commun et une partie les automobiles. À Montréal, on a fait beaucoup d’essais. Il y a beaucoup de choses très bien, les vélos partagés, Téo Taxi, mais c’est timide et ça ne fait pas partie d’une seule vision. C’est beaucoup d’initiatives, mais pas forcément une vision très claire. »

Alors, Montréal dans cinq ans ?

« Dans cinq ans, on espère que nos ponts ne tomberont plus. Ce n’est pas une vision très attirante ! »

En effet.

« Ça prend une vraie vision qui ne soit pas de réparer ce qui ne va pas, mais de créer quelque chose de nouveau, que ce soit en transports en commun, du point de vue numérique, de la qualité de nos infrastructures, du type d’énergie qu’on utilise, tout ça », poursuit Estelle Métayer.

« Il faut beaucoup de gens de bonne volonté qui croient fort à leur ville. »

— Estelle Métayer

Le panel qu’elle animait en matinée réunissait deux femmes et deux hommes d’horizons et de nationalités différents : Chiara Corazza, à la tête de Paris-Ile de France capitale économique, Anil Menon, président du département Smart+Connected Communities chez Cisco, Alexandre Taillefer, homme d’affaires bien connu et ex-« Dragon », et Ivy Taylor, mairesse de San Antonio, au Texas.

Le sujet : « The Age of Urban Tech », qui est aussi le titre du sommet qui se tient jusqu’à demain au Hyatt de Montréal. L’idée, c’est la technologie qui rend notre vie plus simple et plus intelligente et qui permet de rendre les villes plus équitables et efficaces.

« Un sujet difficile à définir, dit Estelle Métayer, parce qu’il y a plein de choses au-delà de la technologie : la gestion des données, la gestion des relations de travail avec les syndicats, la gestion des partenariats public-privé, etc. Et que les villes ont toutes des objectifs différents. Il y a des gens qui s’occupent d’attirer les investissements, d’autres qui s’assurent que les plus pauvres aient accès aux services essentiels, d’autres qui veulent que les gens puissent aller au travail sans être en retard. Donc, ce n’est pas facile d’avoir un consensus sur ce qui se dessine parce que chacun a ses propres objectifs. »

Mais il n’est pas interdit de rêver.

Voici donc cinq conseils que donne Estelle Métayer aux villes pour mieux se transformer.

1. Comprendre les technologies

« On ne peut pas prendre de bonnes décisions si on n’a pas les bonnes personnes autour de la table et les bons décideurs. Il faut s’assurer qu’on a des gens qui comprennent les technologies, chose assez rare. »

2. Garder les meilleures pratiques

« Chaque ville va avoir ses propres solutions. Donc, on garde les meilleures pratiques. »

3. Bien choisir ses partenaires

« Il y a différents rôles à jouer dans une ville et c’est complexe. Les gens qui vont faire avancer les choses sont les gens qui comprennent cette complexité. Alexandre Taillefer, par exemple, parlait de lobbying. Les lobbyistes sont toujours vus comme quelque chose de mauvais. Mais pour faire avancer des dossiers, il faut convaincre. »

4. Ne pas signer de contrats sur 20 ans

« Il faut bien choisir ses partenaires, mais pas forcément signer des contrats sur 20 ans, parce que la technologie, ça évolue tellement vite. Et c’est difficile pour une ville, où le cycle de décision prend plusieurs années, de ne pas s’engager pour ne pas avoir à recommencer tous les trois, quatre ans. Les cycles de technologie, aujourd’hui, sont de quatre, cinq ans. Les ordinateurs qu’on achète ne seront plus bons dans cinq ans, les systèmes qu’on achète ne sont déjà plus bons au moment où on les reçoit. »

5. Être agile

« En anglais, il y a un terme très intéressant qui s’appelle “nimble”, que j’aime beaucoup. C’est l’agilité. C’est cette capacité de dire il nous faut des villes agiles. Les Américains appellent ça le pivot : être capable de pivoter constamment. Et ça, c’est une culture. Il y a une vraie culture à changer pour s’assurer que nos villes, et les gens qui interviennent dans nos villes, aient cette mentalité un peu d’entrepreneuriat, d’essayer des choses, de changer quand ça ne fonctionne pas, d’adapter, etc. »

OÙ INVESTIR SON ARGENT ?

En terminant, Estelle Métayer a demandé aux participants de son panel de répondre à la question suivante : « Si vous deviez investir tout votre argent dans une seule entreprise de nouvelle technologie, ce serait laquelle ? » Je lui ai demandé, à son tour, de répondre. « Moi, a-t-elle dit, ce serait lié aux données. Ce serait dans une compagnie capable de prendre toutes les données importantes (du système de santé, de transport, de téléphone, d’impôt) et de s’assurer qu’elles soient partagées et connectées, pour que je n’aie pas à payer mon parcomètre avec une application à Montréal, une autre dans une autre ville, comme Westmount, pour m’assurer que quand je veux me rendre chez mon médecin, automatiquement, on me dise quel autobus prendre, qu’on me dise combien coûte mon électricité chaque heure de la journée pour que je puisse décider quand partir mon ventilateur si je veux économiser. Et toutes ces données-là, aujourd’hui, elles ne se parlent pas. Mais je suis persuadée que ça va se faire. »

SUR LA ROBOTISATION

« Quand on pense à la robotisation, on pense souvent que ce sont les gars qui flippent les hamburgers qui vont disparaître. Moi, je pense que c’est la classe moyenne. La robotisation va enlever le job des avocats, des comptables, de tous les cadres intermédiaires. Et je pense que pour une ville, c’est encore plus drastique comme changement parce qu’on attire ces jobs. Qu’est-ce qu’on va réinventer dans les villes si ces jobs disparaissent ? C’est ça qui me préoccupe. Les métiers d’avenir sont dans les données, dans la partie analytique et la prise de décisions. Statisticien, c’est un bon métier pour le futur. Négociateur, ce serait intéressant aussi. »

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