Attentat de Nice

La France, une cible privilégiée

L’attentat meurtrier survenu jeudi à Nice est venu rappeler, si besoin était après les attaques sanglantes contre Charlie Hebdo et le Bataclan, que la France demeure une cible privilégiée des djihadistes.

Cette réalité était manifeste en 2014 dans le message d’un porte-parole du groupe armé État islamique (EI) qui appelait les partisans de l’organisation à tuer les « incroyants » occidentaux en s’emportant particulièrement contre « les méchants et sales Français ».

Leur haine envers le pays ne date pas d’hier et s’explique par une longue série de facteurs difficiles à hiérarchiser au dire des spécialistes consultés hier par La Presse.

Thomas Juneau, qui est rattaché à l’Université d’Ottawa, souligne que le passé colonial demeure un élément-clé « dans le narratif » des organisations djihadistes et alimente conséquemment leur aversion pour la France.

Le pays, qui disposait de plusieurs colonies en Afrique du Nord, a marqué la zone de son empreinte et continue d’exercer son influence sur plusieurs pays au grand dam de ses détracteurs.

Les liens avec l’Algérie ont notamment débouché dans les années 90, au moment de la guerre civile dans ce pays, sur une série d’attentats sur le territoire français orchestrés par le Groupe islamique armé (GIA).

Le rôle de premier plan joué aujourd’hui par la France dans les campagnes militaires menées en Irak, en Syrie ou au Mali pour contrer les organisations terroristes est aussi très mal reçu, relève Stéphane Berthomet, auteur d’ouvrages sur la radicalisation et le terrorisme. « Le pays mène une action très large sur ce plan », dit-il.

La marginalisation sociale et économique d’une partie importante de la population musulmane française constitue un autre facteur non négligeable pour expliquer les frappes contre le pays, relève M. Berthomet. 

« Ça crée un terreau très favorable pour le recrutement de djihadistes. »

— Stéphane Berthomet, auteur d’ouvrages sur la radicalisation et le terrorisme

Les prisons françaises, qui sont utilisées comme lieu de recrutement, représentent un autre vecteur de radicalisation que les autorités peinent à contrôler et fait augmenter les risques d’attaques.

Enfin, la taille même de la communauté musulmane de France, qui est l’une des plus importantes d’Europe, contribue au phénomène puisqu’elle signifie qu’en absolu, un plus grand nombre de personnes sont susceptibles de basculer dans le djihadisme, relève M. Juneau.

LES DIRIGEANTS FRANÇAIS « ONT MANQUÉ DE VISION »

À la lumière des attaques survenues au cours de la dernière année et des facteurs sous-jacents, M. Berthomet doute de la capacité des autorités françaises à contrer l’action des terroristes à court ou moyen terme.

« C’est difficile à admettre, mais les dirigeants français ont tellement manqué de vision et d’anticipation face à la menace qu’elle paraît aujourd’hui difficilement contrôlable… Elle est si protéiforme, si complexe que les djihadistes vont toujours trouver le moyen d’attaquer », relève-t-il.

Les services de renseignements, qui ont été vertement critiqués il y a quelques semaines par une commission d’enquête portant sur les efforts antiterroristes de l’État, ont fort à faire pour suivre à la trace les terroristes potentiels et sont souvent dépassés.

Le président de la commission, George Fenech, a souligné qu’il « faut des ambitions beaucoup plus élevées que ce qui a été mis en œuvre jusqu’à maintenant » par le ministère de l’Intérieur en matière de renseignements.

M. Berthomet estime que les politiciens se montrent souvent disposés à libérer des ressources dans la foulée d’attentats, mais font marche arrière quelques semaines plus tard, une fois le calme revenu.

La décision du président français de prolonger de trois mois l’état d’urgence, le jour même où il avait annoncé sa suspension prochaine, témoigne des vivotements de la classe politique, relève l’analyste, qui ne croit pas à l’efficacité de cette mesure.

« Les dirigeants sont aujourd’hui prisonniers de 30 années de laxisme », conclut M. Berthomet.

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