EN ROUTE VERS LES ÉLECTIONS

Immigration et alarmisme

Grosse semaine sur l’immigration ! Le PQ et la CAQ déposent des documents, le PLQ fait des annonces.

La bonne nouvelle ? On discute enfin de ce sujet sans drame, loin de nos débats interminables et plutôt échevelés sur les accommodements. La mauvaise : chez certains, le vocabulaire est inutilement alarmiste. « La situation actuelle est donc intolérable » (CAQ). « Depuis 15 ans, la politique d’immigration libérale est un échec complet » (PQ). On doit être critique de la gestion libérale, mais franchement : intolérable ? Échec complet ?

Après plusieurs lectures et entretiens avec des intervenants terrain, je découvre ceci : oui, les nouveaux arrivants sont trop souvent en chômage, mais moins qu’auparavant ! Le Québec retient 71 % des immigrants sur son territoire, mais c’est plus qu’en 2014 (57 %). On s’améliore, mais moins vite qu’en Ontario. 

Pourquoi ?

Entre les lignes des documents partisans, on saisit que plusieurs employeurs, y compris dans les institutions publiques, sont frileux. Ne se donnent pas la peine d’affronter leurs préjugés, de modifier leurs conditions d’embauche.

Un exemple : on exige la sempiternelle expérience canadienne pour embaucher une personne immigrante. Comment voulez-vous qu’un nouvel arrivant satisfasse à cette exigence ? Les associations d’employeurs réclament une hausse des seuils d’immigration, mais leurs membres ne sont pas toujours prêts à accueillir les nouveaux arrivants. Certains commentateurs s’empresseront de cibler les demandes d’accommodements. Foutaise !

La résistance à l’embauche des Québécois de souche récente ne date pas d’hier. Heureusement, un nombre grandissant d’employeurs, en ville et en région, travaillent fort – nécessité oblige – à attirer des personnes immigrantes dans leur entreprise. Les communautés sont prêtes à aider les nouveaux arrivants à s’intégrer. Il y a de l’espoir !

Deux : trop de personnes immigrantes ne parlant pas français ne suivraient pas de cours de langue. Attention ! La vérificatrice générale citée par le PQ et la CAQ fait référence uniquement aux cours offerts par le ministère de l’Immigration ; il est exact que ces cours ne rejoignent que le tiers des immigrants ne parlant pas français. Sachons cependant que la Commission scolaire de Montréal enseigne le français à 15 000 immigrants, bon an, mal an. Elle rejoint à elle seule 40 % de la clientèle potentielle. Une recherche commandée par le ministère de l’Immigration en 20141 nous apprend que 78 % des immigrants québécois parlent français2. Bien sûr, on doit faire mieux.

Je veux que le Québec conserve sa langue officielle, aujourd’hui et pour toujours. Simplement, je conteste les propos alarmistes.

Et j’ai entendu tant de fois des personnes immigrantes parlant français se plaindre que l’une des premières questions posées dans une entrevue d’embauche est : « Parlez-vous anglais ? » Choquant, non ?

Nous avons une responsabilité collective, celle de prendre des mesures énergiques pour que les milieux de travail soient conformes à ce que nous attendons d’eux sur le plan linguistique : chaque travailleuse, chaque travailleur doit pouvoir travailler en français, à moins de circonstances particulières comme des contacts avec l’étranger. Nous faisons preuve de laxisme sur cette question, fascinés que nous sommes par la mondialisation et son potentiel économique. Et nous sommes trop peu critiques de la pensée néolibérale qui nivelle les langues et les cultures au lieu de valoriser la diversité culturelle.

Femmes immigrantes

La situation des femmes immigrantes me préoccupe. Elles sont très qualifiées et pourtant plus souvent sans emploi que les hommes immigrants et les Québécoises de souche. On est devant une discrimination qui n’ose dire son nom. Le Québec ne peut pas se priver de tous les talents nécessaires à son développement économique et social !

Je suis aussi critique de l’une des propositions du PQ selon laquelle on exigerait une connaissance préalable intermédiaire du français chez tout nouvel arrivant sélectionné et sa conjointe. Je suis certaine que cette exigence sera néfaste pour plusieurs femmes qui auront difficilement accès à des cours de français dans leur pays d’origine.

Le gouvernement fédéral verse cette année 478 millions au Québec pour la francisation et l’intégration des immigrants. Le gouvernement québécois peut agir vigoureusement avec cette somme importante !

Finalement, je rejette totalement la proposition de la Coalition avenir Québec selon laquelle on instaurerait un statut de travailleur temporaire pour tous les immigrants économiques, y compris les membres de leur famille. Pensez-y : durant trois ans, une épée de Damoclès est brandie au-dessus de votre tête. Vous ignorez si vous serez accepté par le Québec. Quelle belle incitation à aller travailler ailleurs au Canada ! De plus, les enfants des travailleurs temporaires ne sont pas soumis à l’exigence d’aller à l’école française. La CAQ y a-t-elle pensé ? Quant à son test des valeurs, tout a été dit, sauf peut-être : la CAQ est-elle certaine que tous les Québécois de vieille souche le réussiraient non seulement en théorie, mais en pratique ? Poser la question, c’est y répondre !

1 Brahim Boudarbat, Gilles Grenier, 2014

2 Statistique Canada, 2011

* Ex-députée de Québec solidaire de 2012 à 2017, Françoise David a été présidente de la Fédération des femmes du Québec.

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