Interdiction de l’amiante au Canada

Le croisé du chrysotile

Thetford Mines — Le Canada a confirmé hier son intention d’emboîter le pas à des dizaines de pays en interdisant l’amiante d’ici 2018, mais la nouvelle n’est pas de nature à entamer les convictions de Jean-Marc Leblond.

Même si les grandes organisations sanitaires s’entendent sur le fait que le produit est trop dangereux sous toutes ses formes pour être utilisé, l’homme de 67 ans défend bec et ongles l’idée que le type d’amiante produit par le passé au Québec devrait continuer à être commercialisé.

« Il y a des champignons qui sont mortels. Est-ce qu’on va bannir pour autant tous les champignons ? », a-t-il demandé à La Presse cette semaine lors d’une rare entrevue accordée à ses bureaux de Thetford Mines, quelques jours avant l’annonce d’Ottawa.

À titre de président de l’Association internationale du chrysotile (AIC), M. Leblond répète ici et ailleurs que ce type d’amiante peut être utilisé de manière sécuritaire.

« J’ai fait le tour du monde trois fois », relève le spécialiste en marketing international pour illustrer la portée de ses activités professionnelles au sein de l’industrie de l’amiante depuis 45 ans.

Les problèmes de santé qui sont observés aujourd’hui découlent des négligences du passé et donnent une fausse impression de la dangerosité du produit, affirme-t-il, faisant fi de l’avis de nombre d’experts en santé publique.

« À l’époque où je suis arrivé à Thetford Mines, les gens devaient balayer la poussière devant leur porte chaque matin », relate le représentant de l’AIC, qui est financé par des associations de producteurs et d’importateurs d’amiante provenant de pays étrangers.

Études faussées, faits déformés

Les militants qui livrent bataille depuis des années pour obtenir l’interdiction complète de l’amiante affirment que l’organisation chapeautée par M. Leblond ne cesse de brandir des études faussées pour chercher à valider son point de vue sur le chrysotile et n’hésite pas à attaquer agressivement ses détracteurs pour obtenir gain de cause.

Le représentant de l’AIC pense plutôt que ce sont les militants qui déforment les faits en refusant de reconnaître que l’amiante chrysotile est moins dangereux et qu’il ne devrait être pas traité de la même manière que les autres types d’amiante.

« Je me base sur la science », assure-t-il en présentant une série d’épais documents préparés par l’organisation regroupant plusieurs études sur le sujet.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne partage pas l’avis de l’AIC et soutient qu’il n’existe pas de seuil sécuritaire d’exposition à l’amiante, quel que soit le type considéré.

La position irrite M. Leblond, qui reproche aux experts de l’OMS de l’avoir élaborée sans véritablement tenir compte du point de vue de son organisation.

L’AIC, affirme-t-il, a même entamé une procédure judiciaire inusitée pour être entendue à Genève. 

« On ne demande pas la mer à boire, on demande seulement à être entendus, mais les bureaucrates de l’OMS ne veulent pas. »

— Jean-Marc Leblond

Un porte-parole de l’organisation internationale en Suisse a indiqué à La Presse n’avoir aucune connaissance d’une telle procédure, qui serait actuellement « suspendue », au dire de M. Leblond.

L’AIC tente aussi activement d’empêcher le classement de l’amiante chrysotile comme produit dangereux dans le cadre de la convention de Rotterdam, même si le comité scientifique de l’organisation responsable de son application recommande depuis longtemps de procéder en ce sens.

Une telle classification marquerait la fin du commerce international de l’amiante chrysotile, soutient M. Leblond, qui s’insurge contre la récente proposition d’un groupe de pays africains de revoir le processus décisionnel par consensus pour dénouer l’impasse à ce sujet.

Le Canada, à l’époque où il défendait énergiquement l’industrie locale, est déjà intervenu directement pour empêcher un tel classement de l’amiante chrysotile, mais il promet aujourd’hui de « mettre à jour » sa position.

Santé Canada a longtemps cautionné l’idée qu’il pouvait exister une différence de dangerosité entre les types d’amiante, mais il a fait disparaître discrètement cette distinction l’année dernière.

Vestiges du passé

Des montagnes de résidus miniers témoignent de l’importance passée de l’industrie locale, aujourd’hui au point mort. Elles constituent le cœur du projet de relance de la ville, note M. Leblond, qui insiste sur la richesse de leur contenu en minerai et les retombées économiques pouvant en découler.

« Mais elles contiennent aussi des traces d’amiante. Si Ottawa impose une interdiction totale, on risque de ne pas pouvoir les exploiter », a relevé le président de l’AIC avant l’annonce du gouvernement, qui s’est fait rassurant à ce sujet hier.

Le refus de distinguer l’amiante chrysotile n’en demeure pas moins problématique aux yeux de M. Leblond, qui s’est fait demander par certains membres de son organisation si l’AIC allait intervenir pour contrer les intentions d’Ottawa.

« Je leur ai dit que je pense que ce serait inapproprié qu’une organisation entièrement financée de l’étranger intervienne à ce sujet. Et c’est ce que je dirai de nouveau si le conseil d’administration soulève la question », dit-il.

Le Canada se trompe malgré tout en refusant de distinguer les types d’amiante, répète M. Leblond, qui s’attend à ce que le siège de l’AIC déménage à l’étranger si Ottawa maintient sa position à ce sujet.

« Les carottes seraient cuites », conclut-il.

L’AIC, organisation méconnue

L’Association internationale du chrysotile (AIC), au dire des militants anti-amiante, intervient régulièrement à l’étranger pour protéger l’industrie et décourager l’adoption de mesures limitant le commerce de l’amiante chrysotile. Son siège a été transféré au Québec à la fin des années 90 lorsque la France a interdit l’amiante et sa vocation a été revue par la suite pour défendre spécifiquement l’amiante chrysotile, relève son président, Jean-Marc Leblond. Enregistrée comme une organisation à but non lucratif, elle dispose, selon lui, d’un budget annuel de « moins de 1 million de dollars » et opère à partir d’un bureau à Thetford Mines servant aussi de siège à une firme de « représentation internationale » créée par M. Leblond, Polyser, qui facture des honoraires à l’AIC pour ses services. Les administrateurs inscrits au Registraire des entreprises proviennent de pays producteurs d’amiante comme la Russie, le Kazakhstan et le Brésil et de pays importateurs comme l’Inde.

Production canadienne d’amiante

Interdiction d’ici 2018

Le gouvernement Trudeau a mis fin à des années de tergiversations hier au sujet de l’utilisation de l’amiante en annonçant son interdiction complète d’ici 2018 dans l’industrie du bâtiment. Longtemps considéré par les experts et l’Organisation mondiale de la santé comme une substance cancérigène, l’amiante est encore utilisé au Canada dans des canalisations mêlant le ciment et le chrysotile. Les autorités fédérales comptent établir un nouveau règlement environnemental visant à interdire « la fabrication, l’utilisation, l’importation et l’exportation de produits contenant de l’amiante ». Ce faisant, le gouvernement fédéral tournera définitivement la page sur une importante industrie, le Canada ayant été à une époque l’un des plus importants producteurs d’amiante du monde.

Production canadienne d’amiante

Des preuves irréfutables

Quatre ministres du gouvernement Trudeau – la ministre des Sciences Kirsty Duncan, la ministre de l’Environnement Catherine McKenna, la ministre de la Santé Jane Philpott, et la ministre des Services publics et de l’Approvisionnement Judy Foote – se sont rendues au centre de cancérologie d’un hôpital d’Ottawa pour confirmer cette décision. « Des preuves irréfutables nous ont amenés à prendre des mesures concrètes pour interdire l’amiante », a affirmé la ministre Duncan. Ce faisant, le gouvernement Trudeau, qui avait déjà interdit au printemps les produits contenant de l’amiante dans la construction des nouveaux édifices publics, concrétise ainsi l’une de ses promesses électorales. L’amiante est largement reconnu pour causer le cancer du poumon et le mésothéliome, deux problèmes de santé agressifs et mortels.

Production canadienne d’amiante

Des exceptions au Québec

Conscient des difficultés économiques de certaines villes du Québec qui ont longtemps été au cœur de la production de l’amiante au Canada, le gouvernement Trudeau n’a pas l’intention d’interdire aux villes d’Asbestos et de Thetford Mines le droit de revaloriser les résidus d’amiante pour en extraire du magnésium. La ministre des Sciences Kirsty Duncan a reconnu qu’il existe « une longue histoire » au Québec avec l’industrie de l’amiante et qu’elle n’empêcherait pas la province de tenter de tirer profit des occasions d’affaire découlant de la mise en valeur des résidus. Rappelons que la dernière mine de fibre chrysotile a fermé au Québec en 2012.

Production canadienne d’amiante

Soulagement dans les régions touchées

Le maire d’Asbestos, Hugues Grimard, s’est dit soulagé d’apprendre que le gouvernement Trudeau n’interdira pas les projets en cours dans sa municipalité. « C’est important de rassurer les investisseurs, parce que ça a un énorme potentiel de développement économique », a affirmé le maire Grimard, dans une entrevue à Radio-Canada. M. Grimard a expliqué qu’il pourrait y avoir encore 400 millions de tonnes de résidus miniers à exploiter. La députée libérale provinciale de Richmond, Karine Vallières, a aussi exprimé sa satisfaction, relevant que d’autres projets sont toujours à l’étude dans les régions qui dépendaient autrefois de l’industrie de l’amiante.

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