Chronique

Une fille et sa moto

Pendant des décennies, la moto fut une affaire de gars et de gros bras, une affaire de cuir et de métal hurlant, de puissance, de vitesse et de tuyaux d’échappement émettant leurs coups de tonnerre pour imposer leur loi.

Mais les temps changent. Les motards ne sont désormais plus seuls sur les routes où s’aventurent de plus en plus de femmes, avides de grand air et de liberté et fières de maîtriser le bolide qui gronde entre leurs jambes. Aujourd’hui, les femmes motocyclistes comptent pour 15 % de la population à moto et ouvrent la voie à une nouvelle génération qui transforme sa culture.

C’est ce changement qui est au cœur de la série documentaire Filles de moto, diffusée sur Unis TV au printemps et qui revient cette semaine en reprise.

La série n’a pas d’animatrice en tant que tel, mais plutôt une figure de proue : Catherine David, 37 ans, diplômée en littérature, en théâtre et en design, actrice occasionnelle sur feu Virginie, où elle a interprété quatre rôles différents, entrepreneuse en communications et en publicité et grande motocycliste devant l’éternel.

À écouter cette jolie et énergique brune parler de moto avec du feu dans ses grands yeux noirs, on croirait qu’elle est née sur une moto. Il n’en est rien. La moto est entrée dans sa vie il y a seulement cinq ans. Mais en y entrant, la moto a bouleversé sa vie et l’a transformée à jamais.

« J’ai toujours été une fille d’action et de projets, une fille avec beaucoup d’énergie, trop peut-être. Pendant longtemps, je ne savais pas quoi faire de cette énergie. On dirait que la moto m’a aidée à me concentrer, à me ramasser, à être dans le moment présent, quoi. »

J’ai rencontré Catherine David un soir chez ses voisins et amis à Villeray. Son énergie, sa vivacité, sa volubilité m’ont immédiatement conquise. Quand j’ai su que Filles de moto revenait à l’antenne et qu’il y aurait probablement une deuxième saison, j’ai voulu connaître un peu plus son histoire.

Elle m’attendait au resto, son casque de moto sur la table à côté d’un verre de rouge.

Deux jours plus tôt, cette fille qui mord dans la vie à pleines dents et qui n’hésite jamais à prendre des risques a foncé à Québec pour remplacer son collègue et ami Charles-Edouard Carrier au micro de son émission Rock et Gaz, à CKRL. De la radio, Catherine David n’en avait jamais fait de sa vie. Mais elle a plongé. Comme elle a plongé, il y a cinq ans, en apercevant sa moto.

C’était une Harley-Davidson Sportster 1200, un beau petit modèle turquoise, puissant, mais compact, qui trônait dans la salle de montre d’un concessionnaire montréalais.

À ce moment-là de sa vie, Catherine n’avait jamais conduit une moto, se contentant du banc arrière de la moto de son bien-aimé de l’époque. Mais ce jour-là, en plein mois de décembre, alors qu’il neigeait sur la ville, Catherine a décidé qu’il lui fallait à tout prix cette moto. Qu’importe si elle était au chômage, qu’elle n’avait pas une cenne et que la moto coûtait la peau des fesses.

« Mon intuition me disait qu’il fallait que je l’achète. Je suis partie du principe que l’univers a horreur du vide et que si je faisais un trou de 10 000 $ dans ce vide, l’univers allait venir à mon secours. Et c’est exactement ce qui s’est passé. »

— Catherine David

« Ce mois-là, un mégacontrat de pub, le plus gros que j’avais jamais obtenu, m’est tombé du ciel et j’ai pu acheter la moto. »

Elle ne se doutait pas que la moto allait lui ouvrir la porte non seulement d’un monde, mais aussi d’une communauté et qu’elle y ferait des rencontres qu’elle n’aurait jamais faites autrement.

Reste que ses premières « virées » sur sa moto furent catastrophiques. « Je ne sais pas combien de fois je me suis arrêtée sur le bord de la route en pleurant et en tremblant. Je me sentais tellement vulnérable. Je pensais que je n’y arriverais jamais et puis un jour, je roulais sur la 15 et j’ai pris la mesure de ce que j’avais accompli. Surtout, j’ai pris conscience que je conduisais ma moto toute seule et que j’avais du fun. Ce fut une épiphanie. »

La moto a mené Catherine à multiplier les projets et les aventures comme partir rouler seule dans les Adirondacks ou cofonder avec Charles-Edouard Carrier le site web Oneland, dédié « aux filles, aux gars, aux nomades, aux beatniks, artistes, artisans, mécanos, surfers, tous ceux qui se retrouvent dans la quête du moment parfait et du Let go ». Puis sont venues les collaborations au magazine de moto Révolution. Ponctuellement, Catherine part en reportage sur les routes de l’Oregon, de la Californie ou de l’Outaouais, sa région natale, pour le magazine. C’est d’ailleurs en lisant un de ses articles dans Révolution qu’une productrice de la boîte de production St-Laurent TV a eu l’idée de la série Filles de moto.

Catherine n’anime pas, mais c’est tout comme. C’est elle, le lien et le leader des filles de moto. Certaines filles viennent à peine d’avoir leur permis, d’autres, comme Janet, 71 ans, sont des pionnières ou des old ladies qui roulent depuis des décennies.

« L’image de la moto change, et les femmes y sont pour beaucoup, estime Catherine. On n’est plus dans l’image du biker patché et poilu. Maintenant, quand on fait des évènements moto, c’est plus dans des bars de danseuses, c’est dans des cafés. Maintenant aussi, on s’associe à des causes comme la santé mentale ou le cancer de la prostate et on organise des levées de fonds dans des camps de moto comme celui à Picton, en Ontario, le 7 septembre prochain. Pas pour boire de la bière. Pour participer à un immense dîner champêtre et gastronomique, préparé par des chefs réputés. La moto est vraiment en train de se redéfinir. »

Dans les virées sur la grand-route, la moto est le lien, le liant, le prétexte en somme, pour provoquer des rencontres. Catherine se souvient encore de cette autochtone aveugle rencontrée au hasard d’une virée. « Elle était assise sur le banc arrière de la moto de son mari, mais tous ses sens étaient en éveil et à force de l’écouter décrire les sons, les odeurs, le contact de la pluie ou du vent sur son visage, elle m’a amenée à rendre mes rides en moto plus sensorielles », raconte Catherine, qui aimerait que des rencontres comme celle-là soient au cœur de la deuxième saison de Filles de moto.

Le 21 novembre, à l’occasion de la Ride de la Sasquatch, un rallye urbain en manteau de fourrure, Catherine David fera sa dernière ride de la saison. En attendant, elle profite de l’été qui se prolonge pour rouler, en ville ou sur la grand-route, heureuse et insoumise, laissant dans son sillage un parfum de gazoline et de liberté.

Filles de moto, dès le 6 septembre à 19 h sur Unis TV

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