Générations 150

George Hunter

Dans le cadre du 150e anniversaire du Canada, l’ONF lance le projet Générations 150, une série de récits qui abordent les notions d’héritage et de patrimoine. Chaque samedi, nous vous présentons une histoire qui explore nos origines, notre identité et le type de nation que nous sommes en train de devenir.

George Hunter a pris plus de photos du Canada du XXe siècle que quiconque. Mais vous ne le connaissez probablement pas. Ses photos sont dans les atlas, encyclopédies et magazines ; dans les galeries, musées et archives publiques ; sur les vieux timbres et billets de banque.

Vous souvenez-vous du bateau de pêche au saumon sur l’ancien billet de 5 $  ? De la raffinerie sur le billet de 10 $  ? Ce sont ses images. Celle du carrousel de la Gendarmerie royale du Canada, sur l’ancien billet de 50 $, aussi… ou presque. Alors que George venait de cadrer sa photo, un agent a exhibé son badge, lui a ordonné de bouger et a installé son propre appareil pour prendre la photo lui-même.

Le plus remarquable dans cette histoire, c’est qu’elle n’a rien d’extraordinaire – pour quelqu’un comme George. Un policier un peu effronté, ce n’est rien pour un homme qui a photographié le Canada et le monde durant 70 ans, subi l’assaut d’un orignal au parc national de Banff, attrapé de justesse le dernier vol en partance de Kaboul le jour où les Soviétiques ont envahi l’Afghanistan et fait atterrir de force un Cessna 180 en panne à Rimouski.

En 2013, George a créé la Canadian Heritage Photography Foundation pour s’assurer que sa collection serait accessible au public au lieu d’être stockée dans une salle sombre. N’ayant pas d’enfant, il l’a confiée à Gary Landa, son comptable de longue date.

Voici un extrait de la mission de la fondation, telle que décrite par George : 

« Un pays qui ne mesure pas la valeur de son patrimoine n’est pas un pays. Ma mission est de faire voir aux Canadiens – et au monde entier – un peu de notre pays. Plus ils découvriront son immensité et la diversité de ses habitants, plus ils l’apprécieront. »

George s’est consacré à cette cause dès son adolescence. En 1939, âgé de 18 ans, il vendait sa première photo. En 1950, il s’est lancé à son compte.

Au cours de sa carrière, George a sillonné le Canada plus d’une centaine de fois.

Il a pris des photos dans des cuisines, des studios d’artistes, sur des quais de pêche et le long des routes de campagne. Sous terre, dans les mines les plus profondes, et dans les airs, en hélicoptère et en avion. Son catalogue dresse une chronologie du Canada d’après-guerre, des wagons à foin tirés par des chevaux aux semi-remorques modernes sur les autoroutes à plusieurs voies.

Plusieurs de ses photos, prises pour des clients publics et privés, présentaient un jeune pays en plein essor industriel.

Cheminées fumantes, mines à ciel ouvert, nouvelles autoroutes : les Canadiens étaient fiers d’incarner cette image de beauté « usinée ». Mais dans les années 70 et 80, la demande pour ce type de photos diminue. George se tourne dès lors vers la photo de voyage.

Et rien n’était impossible pour lui.

Après que les 46 photographes du TIME eurent affirmé que la photo aérienne de nuit était « irréalisable », le directeur artistique du magazine a fait appel à George. En immobilisant son avion juste assez longtemps, il est parvenu à capter les villes éclairées de nuit pour la première fois. Le résultat a été si exceptionnel que le TIME en a fait le plus long photoreportage de son histoire.

Ces clichés représentent bien la contribution de George : des images que les spectateurs n’avaient jamais vues, capables de les transporter au-delà de leur perspective habituelle. À une époque où le voyage aérien n’était pas très accessible, avant Google Maps et les images satellites, ses photos ont permis aux Canadiens de voir leur patrie du ciel, transformant leur perception de leur pays et d’eux-mêmes.

L’anonymat de George s’explique en partie par le manque d’intérêt des Canadiens pour la photographie. Il a été l’un des premiers photographes admis à l’Académie royale des arts en 1977, et son travail est aujourd’hui exposé dans les plus prestigieuses galeries.

Mais, durant sa carrière, la photographie était perçue comme une forme d’art inférieure. Maia-Mari Sutnik, son amie, ancienne conservatrice du Musée des beaux-arts de l’Ontario, estime qu’il est difficile de mesurer l’héritage de George en raison d’une méconnaissance de l’histoire photographique canadienne : « Nous avons, jusqu’ici, négligé le sujet. Si on ne publie pas l’œuvre de George Hunter, il n’y aura aucune prise de conscience. Et nous serons tous perdants de ne pas avoir rendu compte du patrimoine photographique canadien. »

George était conscient de ce problème. « Les Canadiens ne considèrent pas la photo comme un art, disait-il à un chroniqueur. J’essaie d’élever son statut au sein de mon propre pays. »

Ainsi, il a consacré ses vieux jours à compiler ses photos, ajoutant une légende sur chacune d’elles avant d’en faire don à divers musées et galeries publiques au pays. Avant sa mort, il avait plusieurs centaines de tirages dans au moins une galerie publique ou un musée de chaque province et territoire, à l’exception du Nunavut.

Sa détermination prenait racine dans un amour profond et impérissable pour son pays.

Au fond, que si peu de Canadiens connaissent George importe peu. Il n’a pas besoin de vos éloges. Il veut simplement que vous voyiez ses photos et que vous preniez conscience, comme il l’a fait, que « presque tous les coins du pays ont quelque chose de magique quand on les regarde à travers un objectif ».

Qui est le photographe

Né à Regina et résidant de Winnipeg, le photographe George Hunter a énormément voyagé. Il a passé sept décennies à saisir des images spectaculaires de lieux partout au Canada et dans plus d’une centaine d’autres pays. Nommé à l’Académie royale des arts du Canada en 1977, il a fait paraître ses photographies dans diverses publications au pays, aux États-Unis, en Europe et au Japon.

Qui est l’auteur

Aujourd’hui producteur de contenu interactif au Studio numérique de l’ONF à Vancouver, Nicholas Klassen a auparavant cofondé l’agence de stratégie et de création en ligne Biro Creative. Il y a conseillé d’importants organismes, dont Greenpeace, WWF et Avaaz.org, dans le cadre de projets primés ou sélectionnés aux prix Webby. Auparavant, il était rédacteur senior du magazine Adbusters.

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