Opinion

Vous avez dit neutralité religieuse ?

Il faut le reconnaître, nous vivons au Québec, comme en France, dans un environnement plutôt hostile au discours chrétien

Au Québec, la neutralité religieuse de l’État n’est pas toujours allée de soi. Elle a commencé timidement au milieu des années 50 car, jusque-là, le Québec était chrétien depuis sa fondation. Avec la Révolution tranquille, son implantation s’est accélérée. 

Aujourd’hui, elle est solidement établie, de sorte qu’elle ne tolère aucune entorse à son intégrité. Y toucher soulève des débats passionnés. Un cas très houleux a été la prière que faisait le maire de Saguenay, Jean Tremblay, avant les séances du conseil municipal. Par un jugement de la Cour suprême, il a dû y renoncer.

Les signes religieux comme le crucifix et le voile sont particulièrement sous haute surveillance. Dès qu’ils paraissent dans les services dispensés par l’État, on s’agite fébrilement, les percevant comme des menaces à la neutralité de l’institution.

Comme tout le monde, j’ai adhéré à la neutralité religieuse de l’État. Je ne l’ai jamais remise en question, une fois devenue loi, malgré mes réserves antérieures. Mais, il y a quelques semaines, je suis tombé par hasard sur un passage d’un livre du philosophe Paul Valadier, La part des choses. Ç’a été un choc.

Il y qualifie la neutralité religieuse de l’État de « tabou qui ne résiste pas à l’analyse ; il suppose que cette institution complexe qu’est l’État soit à égale distance de toutes les oppositions et divergences sociales (y compris les religieuses), qu’il ne prend pas parti, comme l’exige l’idée même de la neutralité […]. Il s’agit d’une position intenable et purement fictive, car l’État, tout État, prend parti et il ne peut faire autrement. Ainsi, quand dans le corpus de nos lois, l’État laïque s’engage à faire respecter la liberté des cultes, il n’est nullement neutre1 ». Garantissant la pratique religieuse, il sort de la neutralité.

L’un des philosophes qui a le plus contribué à l’émergence de l’État laïque, Spinoza (1632-1677), lui que toute l’Europe intellectuelle de son temps a tant admiré, était sans équivoque à ce sujet.

Il a prôné « l’édification d’un État laïque, rappelle Frédéric Lenoir, qui garantisse la liberté de l’expression religieuse et politique ». Encore aujourd’hui, ce philosophe juif est une telle référence que Bergson disait que tout philosophe a deux philosophies : la sienne et celle de Spinoza.

Pas neutre

Garant de la liberté religieuse, l’État n’est pas neutre : il ne se tient pas au-dessus ou au-dessous de la planète religion. Ainsi, le Québec n’a pas été neutre dans les débats entourant le cimetière musulman près de Québec : il a pris parti en sa faveur. Lors de l’attentat à la grande mosquée de Québec, en janvier dernier, le Québec ne s’est pas contenté d’une opération policière et judiciaire, il a fait preuve de solidarité avec l’islam qui prie. Il n’a pas été neutre.

Mais, il faut le reconnaître, nous vivons au Québec, comme en France, dans un environnement plutôt hostile au discours chrétien. « On le moque sans retenue, note Louis Cornellier, on plaide pour son confinement dans l’espace privé, on se fait souvent une gloire de s’en ficher. » C’est ainsi, déplore Jean-Claude Guillebaud, que « dans les médias, nombre d’invités dans des émissions littéraires, politiques, économiques ou scientifiques se croient tenus de glisser à un moment ou un autre : “Moi, je suis athée” ».

Aujourd’hui, il faut beaucoup de courage pour défendre la liberté de proclamer sa foi, ce que n’a pas l’homme politique chaque fois qu’il a plein la bouche la neutralité religieuse de l’État. Il est comme Pilate :  il s’en lave les mains.

Si l’État laïque doit veiller à garantir la libre manifestation religieuse, et non seulement à la tolérer, c’est toujours à l’intérieur d’un cadre où toutes les religions sont jugées égales, où aucune n’est meilleure qu’une autre. Cela a comme conséquence que l’État ne peut permettre à ses fonctionnaires les plus près de son autorité de porter un signe religieux comme une croix.

Pour être cohérent, l’État laïque s’abstient de privilégier une religion mais, pour être honnête, il doit reconnaître que l’une d’elles a largement contribué à fonder le Québec, d’où la pérennité, je l’espère, du crucifix à l’Assemblée nationale. C’est tout à l’honneur de la laïcité que d’affirmer que ce crucifix-là, c’est sacré. Comme ce l’est encore de presser les élus d’oublier la neutralité religieuse et de s’engager, de se mouiller, de prendre parti pour garantir la liberté religieuse. Un exercice qui est une négociation permanente avec principes, normes et valeurs et qui mène à un compromis à mettre sans cesse à jour, à la satisfaction de toutes les parties.

Les débats autour de la libre manifestation de la foi nous concernent particulièrement, nous, les catholiques. Nous devons nous y engager, pratiquant bien sûr la neutralité partisane. Si Pie X défendait aux catholiques de se mêler de politique, le pape François, au contraire, nous demande de nous y investir, donnant lui-même l’exemple. Comme les grands prophètes en Israël, François interpelle, critique, approuve ou désapprouve les pouvoirs politiques à la lumière de l’Évangile2.

1. Valadier, Paul. La part des choses, Lethielleux, 2010, p. 115.

2. Je recommande vivement l’ouvrage qui vient d’être publié : Pape François, Rencontres avec Dominique Wolton, Politique et société, 2017, 418 pages.

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