Livre  Lettres à une jeune entrepreneure

La passion d'entreprendre

En neuf lettres franches et directes à une jeune entrepreneure, Alexandre Taillefer raconte et transmet sa passion de l'entrepreneuriat à travers son parcours d'affaires et de ses expériences personnelles – bonnes et moins bonnes. 

Tu voudrais que je te dresse une liste des qualités d’un entrepreneur ? Bon, si tu insistes, mais sache qu’il y a autant de manières d’entreprendre qu’il y a d’entrepreneurs. Il reste que certaines attitudes, certains traits de caractère sont communs à l’écrasante majorité des gens d’affaires. Je dirais d’abord qu’il faut avoir un « front de bœuf ». Cette belle expression de notre terroir est synonyme d’audace et de cran, et implique aussi pour moi une grande capacité de persuasion. Tu dois pouvoir convaincre les gens, qu’il s’agisse d’investisseurs, d’élus, de partenaires, d’employés, de clients ou de consommateurs, de la pertinence des solutions que tu proposes.

Il faut aussi une bonne capacité d’adaptation, parce que les imprévus et les embûches ne cesseront jamais de se dresser devant toi au fil de ta carrière.

Il faut que tu sois capable de te relever rapidement quand tu es au tapis. Tu sais, si tu savais d’avance tout ce qui t’attend, tu ne te lancerais probablement pas dans l’aventure d’une entreprise. C’est pour cela que je crois qu’il faut, jusqu’à un certain point, conserver une attitude candide, presque naïve. À toujours craindre le pire, on n’essaie jamais rien.

Pour être une bonne entrepreneure, il te faudra aussi posséder des qualités de rassembleuse. Il faut savoir rallier les autres à un but commun, et s’entourer de gens plus compétents que soi dans certains domaines. Éric Boyko, un ancien partenaire de Stingray, disait toujours : « Moi, je n’ai aucune idée de comment on construit une navette spatiale. Mais donne-moi le bon de commande et je vais te la livrer. »

On me demande souvent si l’art d’entreprendre s’enseigne. Je réponds toujours que les grandes écoles forment avant tout des administrateurs, qui ne sont pas nécessairement des entrepreneurs. Obtenir un MBA ne signifie pas pour autant que tu auras du succès en affaires.

L’École des sciences de la gestion de l’UQAM m’a remis récemment un doctorat honoris causa. J’en ai été très touché et honoré, d’autant plus que, si tu te souviens, je ne possède pas de diplôme universitaire. Comme bien d’autres à qui les grandes écoles ont dit non, j’éprouve un certain plaisir à prouver aux gens qu’ils ont eu tort de ne pas m’accepter dans leurs rangs. C’est la même chose quand les faits prouvent que ceux qui ont refusé d’embarquer dans un de mes projets ont eu tort. Eh oui ! que veux-tu, la vanité est aussi un moteur de persévérance…

Quand j’avais rencontré le recteur de l’UQAM, j’en avais profité pour plaider en faveur d’une formation en gestion plus pratique et variée. Pourquoi ne pas offrir, par exemple, des ateliers d’improvisation aux étudiants ? J’ai fait beaucoup d’impro dans ma jeunesse, et ça m’a aidé à vaincre ma timidité tout en stimulant mon imaginaire et ma créativité. Pourquoi, aussi, ne pas aborder plus en profondeur le droit et la fiscalité ? Pourquoi ne pas en apprendre davantage aux étudiants sur la négociation de contrats ? Pourquoi ne pas leur enseigner l’abc de la propriété intellectuelle ? Toutes ces choses sont cruciales dans un parcours d’affaires.

Et ce n’est pas tout : pour avoir fréquenté beaucoup de diplômés des diverses écoles d’administration, je suis en mesure de faire un constat : on leur enseigne mal la comptabilité ! Pourtant, être capable de lire parfaitement un bilan, des états financiers, un flux de trésorerie, c’est l’une des qualifications les plus importantes d’un entrepreneur. Je me trompe peut-être, mais j’ai l’impression qu’on donne aux étudiants la technique comptable sans leur apprendre à avoir une vision comptable, laquelle est au moins aussi importante. Il y a des gens – et je me compte maintenant parmi eux, après tant d’années passées à apprendre sur le tas – qui sont capables de très bien comprendre une entreprise rien qu’en en regardant le bilan. La comptabilité nous parle : il faut savoir l’écouter.

Attention : ce n’est pas parce que certains entrepreneurs ont réussi sans passer par l’université que tu devrais en conclure que tu pourras t’en tirer sans diplôme universitaire. Bien sûr, tu pourras me rappeler que Bill Gates, Steve Jobs, Mark Zuckerberg et quelques autres milliardaires ont bâti des empires après avoir quitté l’université. Ce sont des exceptions, et on aurait tort de tenter délibérément de les imiter. Il y a vingt-cinq ans, il était possible de s’en tirer sans études. Aujourd’hui, la compétition est bien plus féroce, et il est beaucoup plus important de détenir au moins un diplôme universitaire de premier cycle. Pas nécessairement en administration, note bien. Ça peut être en droit, en économie ou dans une autre discipline.

Par ailleurs, ne t’y trompe pas :  la formation, c’est l’affaire d’une vie. Tu en apprendras tous les jours, je t’assure.

Tu ne devrais jamais t’asseoir sur tes diplômes ou sur ton expérience. Il y a une quantité impressionnante d’organismes et de programmes qui aident à la formation des jeunes entrepreneurs ou leur viennent en aide financièrement. Le journal Les Affaires rapportait que l’« écosystème de l’entrepreneuriat » est à ce point foisonnant qu’on comptait, en 2015, quelque 144 organismes d’accompagnement des entreprises. L’offre est si grande pour celles et ceux qui ont besoin de soutien, de mentorat, qu’on ne sait pas vers où se tourner ! Il faut savoir en profiter. […]

Dans ce métier, il n’y a pas 36 façons de faire : il faut y aller, se péter la gueule, se relever, puis foncer à nouveau. Pour ça, il faut avoir un tempérament particulier, mais si tu me lis, c’est probablement que tu l’as. Tu verras : il suffit d’avoir un peu de succès pour devenir accro. Quand tu goûteras à cette joie, tu deviendras très vite une « junkie » de l’entrepreneuriat. Tu seras obsédée par ta stratégie de croissance. Tu te demanderas constamment comment obtenir une part de marché de plus, comment être plus intelligente que la concurrence, comment améliorer tes marges, comment lancer un nouveau projet. C’est cet état de motivation constante qui nous fait avancer.

Lettres à une jeune entrepreneure

Alexandre Taillefer, avec Pierre Cayouette

VLB éditeur

Montréal 2017, 120 pages

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