Élections provinciales Opinion

À quoi s’attendre ?

La campagne électorale qui s’achève s’est distinguée des campagnes précédentes sur plusieurs plans. On a pu noter de grandes différences dans les estimations des maisons de sondage, surtout en début de campagne.

De plus, il y a eu une longue période sans aucun sondage public en milieu de campagne. Enfin, les sondages quotidiens, faits pour Capitales Médias, sont en accès payant, non public. Dans de telles circonstances, comment savoir à quoi s’attendre ?

La campagne

Six firmes ont fait des sondages dans cette campagne et elles utilisent toutes des méthodologies différentes pour évaluer les intentions de vote. Ipsos combine un sondage web (2/3 des répondants) et un sondage téléphonique (1/3). Mainstreet et Forum font des sondages téléphoniques automatisés. Les autres firmes, Léger, CROP et ResearchCo, font des sondages web, mais leurs échantillons sont constitués de façon différente.

Toutefois, malgré ces différences, si on prend les huit sondages publiés de la mi-septembre à hier – à l’exception d’un sondage Forum avec des valeurs aberrantes que j’exclus pour la suite –, les appuis au Parti libéral du Québec (PLQ) sont tous estimés entre 28 et 31 % et ceux de la Coalition avenir Québec (CAQ) entre 27 et 32 %. Les appuis au Parti québécois (PQ) sont estimés entre 19 et 23 % et ceux à Québec solidaire (QS) entre 14 et 20 %. Tous les sondages ont donc situé les appuis au PLQ et à la CAQ à l’intérieur de la marge d’erreur et donc à égalité. Au-delà de cette égalité en tête, il y a une variation plus importante dans l’estimation des appuis à QS.

Par ailleurs, si on estime l’évolution des appuis à l’aide de tous les sondages disponibles depuis le début de septembre, on conclut à une baisse des appuis à la CAQ de deux points, concurrente à une hausse des appuis d’environ un point au PLQ et à QS, et à une stagnation des appuis au PQ.

Ces appuis et ces mouvements sont-ils les mêmes dans toutes les couches de la population, similaires pour tous les partis ? Qui vote pour qui ?

Il est intéressant d’examiner les appuis selon les groupes d’âge et la langue maternelle pour mieux comprendre ce qui s’est passé et ce qui risque de se produire le jour de l’élection.

Quels groupes d’âge pour quels partis ?

Tant le Parti québécois que le Parti libéral vont chercher des appuis similaires dans les divers groupes d’âge. L’appui estimé des 18-34 ans au PQ se situe en moyenne à 17 % et celui des 55 ans et plus à 22 %, une différence d’à peine cinq points. De plus, le PQ a augmenté ses appuis dans tous les groupes d’âge de façon similaire.

Du côté du PLQ aussi, les appuis des différents groupes d’âge étaient très similaires en début de campagne, autour de 30 %. Toutefois, il y a eu des mouvements différents selon les groupes d’âge pendant la campagne. Les jeunes ont délaissé le PLQ en début de campagne, puis y sont revenus partiellement dernièrement. Chez les 55 ans et plus, le mouvement est plus important. Les sondages montrent une hausse de près de 10 points dans les appuis au cours du mois de septembre, essentiellement aux dépens de la CAQ.

Du côté des « nouveaux partis », la situation est très différente. Les appuis à la CAQ étaient similaires chez les 35-54 ans et chez les 55 ans et plus en début de campagne, soit entre 35 et 40 %. Toutefois, ils se situaient à près de 12 points de moins chez les 18-34 ans et la baisse des appuis à la CAQ a été encore plus marquée chez ces derniers.

Pour ce qui est de la hausse des appuis à QS au cours de la campagne – plus de cinq points –, elle dépend presque exclusivement d’une hausse des appuis chez les 18-34 ans, passés de 15 à 30 %. Chez les 55 ans et plus, QS se situe en moyenne à 7-8 %, alors que chez les 35-54 ans, elle se situait à 10 % en début de campagne et elle a fait des gains jusqu’à 15 %.

Ces appuis différenciés selon les groupes d’âge sont-ils susceptibles d’avoir un impact sur les résultats par circonscription ? Sans doute. À titre d’exemple, sur les 12 circonscriptions où il y a le plus d’électeurs de 18-34 ans, trois ont déjà des députés QS et quatre sont dans des circonscriptions susceptibles de basculer vers QS. Par contre, le fait que les jeunes ont moins tendance à aller voter et le retour d’une partie des 55 ans et plus vers le PLQ devraient inciter à la prudence.

Le paradoxe du non-francophone péquiste ou caquiste

Il y a un paradoxe connu dans les sondages : lorsqu’il est plus difficile de rejoindre un sous-groupe de la population, les répondants de ce sous-groupe seront moins représentatifs de cette population.

Concrètement, au Québec, cela veut dire que moins on rejoint de non-francophones, moins ceux qui sont rejoints sont représentatifs de leur groupe. Cette relation se vérifie aisément dans la présente campagne. L’appui au PLQ chez les non-francophones monte au-delà de 70 % quand leur proportion dans les sondages atteint 20 %, alors qu’il se retrouve autour de 50 % quand moins de 10 % des répondants sont non francophones. Quelle conséquence ? Certains sondages sous-estiment les appuis au PLQ de 2 à 3 % au profit des autres partis, surtout de la CAQ.

Il y a plusieurs manières de tenir compte de cette situation. Si on corrige les données de tous les sondages en faisant l’hypothèse que les non-francophones votent à 70 % pour le PLQ et à 10 % pour la CAQ et qu’il n’y a pas eu de changement pendant la campagne, on arrive à une estimation des appuis où le PLQ et la CAQ sont strictement à égalité. Si on applique une répartition non proportionnelle des discrets (tous les répondants qui ne révèlent pas de préférence pour un parti) en attribuant 50 % de ceux-ci au PLQ et 25 % à la CAQ et au PQ respectivement, on conclut que le PLQ devance la CAQ de trois à quatre points.

Quelle conséquence sur les résultats ? Contrairement aux jeunes, les non-francophones se concentrent dans les circonscriptions de la grande région de Montréal, et ils concentrent leur vote sur un seul parti.

Ils peuvent donc faire la différence dans les circonscriptions où ils constituent une proportion importante des électeurs et où la course est serrée. Trente-sept circonscriptions comptent plus de 25 % d’électeurs non francophones. Presque toutes ces circonscriptions ont été remportées par le PLQ lors des dernières élections. Deux sont allés à QS.

La CAQ ou le PLQ

La situation actuelle au Québec rappelle celle de l’élection présidentielle américaine de 2016 où on avait conclu trop rapidement à la victoire assurée de Hillary Clinton.

Il est important de rappeler que lorsque les sondages montrent que les appuis à deux partis sont à l’intérieur de la marge d’erreur, cela signifie que l’un ou l’autre parti peut être en avance.

De plus, lorsque les sondages se trompent, ils ont tendance à tous se tromper dans la même direction. On voit qu’en faisant des hypothèses plausibles sur le vote des non-francophones ou sur la répartition des discrets, on arrive à des estimations légèrement différentes, qui confirment que les deux principaux partis sont à égalité.

Dans les circonstances, c’est la seule information sensée que l’on peut transmettre aux électeurs. Dans cette élection, les sondages ne nous permettent pas de conclure de façon fiable qui de la CAQ ou du PLQ gagnera l’élection. Ils ne nous permettent que de conclure sur les deux partis qui ne gagneront pas : le PQ et QS.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.