Nord-du-Québec

Le défi d’une vie pour sauver la sienne

Le 30 janvier dernier, John Clarence Kawapit, un Cri de 46 ans, a entrepris de marcher quelque 2000 km, de la baie d’Hudson à la baie d’Ungava. Il s’est donné comme mission de visiter les 13 communautés autochtones qui se trouvent sur sa route et de faire partager l’histoire de son périple, « John’s Healing Journey ». Un voyage personnel qu’il accomplit pour vaincre ses dépendances et sensibiliser les jeunes et moins jeunes autochtones aux cercles vicieux qui les guettent. Récit.

« En décembre, j’ai essayé de mettre fin à mes jours. J’ai accroché ma corde et… » John marque une pause pour combattre l’émotion qui lui monte à la gorge. Il s’excuse. Sa voix parvient dans le combiné avec un délai. C’est qu’il parle avec un téléphone-satellite, le seul qu’il peut utiliser là où il se trouve : dans le Nord-du-Québec, à 25 jours de marche de sa communauté, qu’il a fuie « pour se guérir ».

« Je souhaite plus que jamais avoir une meilleure vie et obtenir des réponses aux questions existentielles qui me tourmentent depuis toujours », explique d’emblée John Clarence Kawapit.

John a grandi dans le village cri de Whapmagoostui, voisin de Kuujjuarapik. À 46 ans, le père de famille a réalisé qu’il était dans un cul-de-sac. L’alcool et la drogue menaient sa vie depuis si longtemps qu’il ne voyait qu’un moyen de s’en sortir : quitter sa communauté et arpenter la terre de ses ancêtres pour trouver un sens à sa vie. Il estime avoir marché 400 kilomètres depuis un mois.

« Je dois lutter contre moi-même. Mais je résiste. Je n’ai pas bu une goutte d’alcool depuis mon départ, et je n’ai pas touché à la drogue. J’ai aussi arrêté de fumer. Je me sens beaucoup plus en forme. » Il rigole en avouant que la taille de ses pantalons est passée de 40 à 36 en si peu de temps.

GARDER LA TÊTE HAUTE

Les 11 premiers jours – le temps qu’il a mis pour marcher jusqu’au premier village sur son itinéraire, Umiujaq – ont été les plus éprouvants, autant physiquement que psychologiquement. Un de ses genoux le faisait souffrir, il a dû apprendre à bâtir un igloo, il a manqué de nourriture durant deux jours et, surtout, il faisait face à ses démons qui le suivaient tel un nuage noir accroché au-dessus de sa tête.

« L’itinéraire que je me suis donné n’est rien. Ce sera sûrement de 80 à 90 jours en temps, mais c’est minime comparativement aux 40 années durant lesquelles j’ai porté la souffrance sur mes épaules. » 

— John Clarence Kawapit, dans une vidéo publiée sur la page Facebook « John’s Healing Journey », suivie par plus de 2500 personnes

Enfant, John a été agressé sexuellement par un membre de sa famille. Même des décennies plus tard, le fait de parler de son enfance volée lui brise la voix.

« J’ai entretenu tellement de haine… J’ai grandi avec cette souffrance… » Les longues pauses qui marquent le récit de John trahissent son émotion encore vive. «  Je marche aujourd’hui pour toutes les femmes, tous ceux qui liront ceci et qui ont dû passer par là. »

John est loin d’être seul. En 2010 uniquement, l’Administration régionale Kativik a dénombré 293 agressions sexuelles dans les communautés du Nord-du-Québec, sur une population de 10 000 personnes.

Le marcheur n’a pas honte de son passé et il espère que son chemin de croix saura inspirer d’autres âmes en peine. Ses escales dans les villages sont ponctuées de conférences et de rencontres.

« Vendredi, je suis allé parler dans une école, souligne John. J’ai raconté mon histoire aux enfants, mes problèmes d’alcoolisme, ma scolarité inachevée… Je veux tout faire pour ne pas qu’ils répètent les mêmes erreurs que moi. »

Ricky Moorhouse, un résidant d’Inukjuak, faisait partie des centaines de personnes venues l’accueillir à son arrivée au village.

« Je suis John sur sa page Facebook depuis son départ, et on parle beaucoup de lui ici, à la radio locale, raconte-t-il. Tout le monde était très content de le voir arriver. Beaucoup de gens se sentent concernés par son histoire. »

D’ailleurs, des personnes se joignent à lui pour marcher quelques kilomètres, voire quelques jours à ses côtés. De bons Samaritains lui fournissent de la nourriture, l’aident à monter son campement pour la nuit ou lui font don d’articles utiles.

« Je suis allée à sa rencontre en motoneige quelques jours avant qu’il ne rejoigne ma communauté. Je lui ai apporté des vivres parce que mon cousin marchait avec lui et je savais où ils se trouvaient, a raconté Lucy Nowra, une jeune femme de la communauté d’Inukjuak. John inspire beaucoup de gens, et sa cause est bonne. »

MARCHER VERS LA LUMIÈRE

Après une quarantaine d’années à broyer du noir, John est convaincu qu’il tiendra bon. Il s’accroche à sa spiritualité et à sa croyance nouvelle en chérissant les moments uniques qui s’offrent à lui. Comme ces loups « qui [l’ont] protégé en marchant à [ses] côtés durant plusieurs heures », ou encore ce panorama unique auquel il a eu droit il y a quelques jours.

« Il n’y avait pas un nuage dans le ciel et le soleil levant était magnifique. Puis, j’ai réalisé que quelque chose brillait dans le ciel. C’était des étoiles qui scintillaient au-dessus du soleil. C’est la plus belle chose que j’ai vue dans ma vie. »

Qu’il visite ou non chacune des 13 communautés de son parcours, John estime qu’il a déjà atteint son plus grand objectif.

« Je me suis pardonné. J’ai appris ce qu’était l’amour. Personne ne m’avait jamais montré ce que c’était, aimer. […] Je me vois changer, je me transforme. Même mes proches, lorsqu’ils me parlent, ils me disent que je suis en train de devenir un homme. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.