« Vous savez que vous mâchez du plastique, présentement ? »
Mon crayon s’arrête. Je regarde mon interlocuteur, un écologiste bien connu. J’ai sûrement l’air du chevreuil qui vient d’apercevoir les phares d’une voiture. Une fois de plus, et cette fois par totale inadvertance, je viens d’enfreindre la règle que je me suis imposée pour le prochain mois : zéro plastique jetable.
Car la gomme à mâcher est effectivement faite… de plastique. Du polyisobutylène, plus précisément, la même matière qu’on retrouve dans les chambres à air de vélo. Recyclable, même : une entreprise américaine, Gumdrop, recueille les vieilles gommes mâchées et les transforme en peignes, en crayons ou en bottes.
Vivre un mois en n’ayant recours à aucun plastique jetable, est-ce possible ? J’ai essayé. Armée de ma brosse à dents en bambou, de mon shampooing en barre et de mes essuie-tout réutilisables, j’ai banni tous les emballages de plastique. Adieu, le Saran Wrap et les sacs Ziploc. J’ai couru les épiceries zéro déchet avec mes contenants, rempli mes bouteilles de lait en verre et découvert les noix de lavage. Et l’expérience s’est parfois révélée proche de la cure de désintoxication.
AVANT LE JOUR J
L’opération zéro plastique a nécessité une petite préparation. Sur le web, on découvre facilement des sites comme Life without plastic, fondé par un couple de Canadiens qui se spécialisent dans la vente d’articles de remplacement au plastique. En quelques clics, la commande était passée. Dans la section pharmacie : du déodorant, du dentifrice et de la soie dentaire en pot de verre ; une brosse à dents en bambou, avec soies en charbon souple. Un shampooing/revitalisant en barre. Dans la section cuisine : des sacs à sandwichs et à légumes en tissu, une paille en bambou, de la pellicule lavable faite en cire d’abeille et un sac réutilisable pliable, transportable dans un sac à main.
Bref, j’étais prête (du moins, je le croyais).
JOUR 1
Après m’être brossé les dents au charbon et lavé les cheveux avec ma barre (avec des résultats peu concluants dans les deux cas), direction le supermarché du quartier. Il était urgent de faire des achats : le seul article dans mon frigo qui n’avait pas transité dans le plastique était… une aubergine.
Avant aujourd’hui, je n’avais jamais réalisé à quel point nos épiceries sont un océan de plastique. Aucun achat possible dans le comptoir des viandes, évidemment, ni à ceux des charcuteries ou des fromages.
En arrivant au comptoir de la boucherie avec mes contenants réutilisables, on m’informe que cette pratique est interdite chez Metro. Au fil des semaines, je ferai la même demande à quatre supermarchés de chaînes différentes, et aucun d’entre eux n’acceptera de remplir de viande ou de poisson mes contenants de plastique réutilisables.
En fait, dans plusieurs rangées du supermarché, il est impossible d’acheter quoi que ce soit. Les biscuits, les craquelins ? On oublie ça. Tout est dans le plastique. Le surgelé ? Éliminé en totalité. Les pâtes ? Les boîtes – en carton – ont toutes leur petite fenêtre de plastique.
Dans l’allée des produits ménagers, je réalise qu’il faudrait régler deux délicates questions d’ici la fin de la journée : le papier toilette et les sacs à déchets. Et une question surgit : ça existe, des sacs à déchets sans plastique ?
« Quand je vais au supermarché, maintenant, je ne vois plus les aliments, je vois des déchets », résume Marie-Soleil L’Allier, cofondatrice des épiceries zéro déchet LOCO, où je me suis rendue pour compléter mes achats.
Le principe de l’épicerie zéro déchet est simple. Vous apportez vos contenants. Vous les pesez sur place. Vous écrivez le poids sur le plat ainsi que le code du produit avec lequel vous le remplissez. À la caisse, le poids du contenant est déduit.
Bon choix de vrac, céréales, fruits secs, noix, farines, nouilles de riz. Il y a aussi du lait en vrac !
Belle section de produits de beauté et d’entretien en vrac, et même du maquillage. La question du papier hygiénique est réglée : chez Loco, on le reçoit par boîtes de 100 rouleaux, emballés dans du papier.
Et maintenant, la question qui tue : est-ce plus cher ? Réponse : oui. Mais vous achetez un produit de meilleure qualité, biologique et issu de producteurs locaux.
Cependant, il n’y a pas de viande. Un peu de poisson, du tempeh, emballés dans du plastique. Bref, je n’ai toujours rien pour souper… Je découvre le Saint Graal au marché Jean-Talon : alléluia, le poissonnier du marché emballe dans du papier. Le boucher et le marchand de saucisses acceptent sans peine de remplir mes contenants réutilisables. Ce sera le cas dans la majorité des petits commerces que je fréquenterai assidûment au cours du prochain mois. Boucheries, fromageries, poissonneries : à peu près partout, on accepte les contenants réutilisables.
Pourquoi pas au supermarché ? Question de salubrité, explique le président de l’Association des détaillants, Pierre-Alexandre Blouin. « On est responsables de fournir au consommateur un produit qui ne mettra pas sa santé en danger. » Concrètement, après avoir rempli chaque contenant apporté de l’extérieur, le boucher (ou le poissonnier) doit désinfecter de nouveau son plan de travail pour s’assurer qu’aucune bactérie ne le contamine. « On ne peut pas se permettre de faire ça avec l’affluence qu’on a dans nos supermarchés. »
JOUR 2
Amazon me livre la bible des opposants au plastique : le livre Plastic Free, de l’Américaine Beth Terry, une comptable d’Oakland qui vit depuis plus de 10 ans sans avoir recours à aucun emballage ou objet fait de plastique, incluant les bons vieux plats Tupperware ou les bouteilles réutilisables. Après avoir vu la photo d’un squelette d’oiseau dont l’estomac était rempli d’articles de plastique, elle est devenue une militante antiplastique. En parcourant son ouvrage, on réalise à quel point le plastique fait intimement partie de nos vies. Il est dans nos frigos et nos placards, dans nos ustensiles de cuisine, de ménage, dans nos pharmacies, nos portefeuilles, nos placards à balais, dans nos vêtements, nos souliers, dans le ruban gommé, le matériel de plein air, les boîtes de mouchoirs… Le plastique est au troisième rang des matériaux les plus fabriqués par l’homme, après le ciment et l’acier.
Ironiquement, mon colis est livré dans une boîte en carton… remplie d’une pléthore de petits sacs de plastique gonflés d’air. Bonjour, le paradoxe.
JOUR 6
C’est l’histoire de ma vie : il n’y a plus rien dans le frigo. La nuée de sauterelles qui vit chez moi a (encore) tout dévoré. Il est 17 h et je n’ai pas beaucoup de temps. Direction : mon supermarché de quartier. Au comptoir des poissons, le préposé m’informe que des sacs de papier sont offerts. Je regarde les sacs d’un œil suspicieux. Extérieur apparence aluminium, intérieur probablement plastifié. Mais bon, pour ce soir, ça ira. Pendant que j’ai le dos tourné, le commis emballe mon gros morceau de poisson… dans une barquette de plastique et deux couches de film alimentaire. « C’était trop gros pour tenir dans nos sacs de papier », me dit-il piteusement en tendant l’emballage.
Je baisse les bras. Je n’ai ni le temps ni l’énergie de courir ailleurs. Ce soir, mon repas sera full plastique.
JOUR 8
J’ai fini par dénicher des sacs à déchets sans plastique, faits d’amidon de maïs, et pas faciles à trouver. Maintenant, il faut régler la partie « lavage ». Et surgit cette question : pourquoi les fabricants insèrent-ils systématiquement une mesure de plastique dans chaque boîte de savon à laver ? Imaginez le nombre de mesures de plastique qui se retrouvent (inutilement) à la poubelle chaque année… Enfin. Que de questions.
Je débarque à l’épicerie zéro déchet pour remplir mon contenant réutilisable de savon à linge. On m’y parle des noix de lavage. Ces noix sont saturées de saponine, une molécule produite naturellement par les plantes qui se dissout dans votre eau de lavage et agit comme un détergent. On place les noix dans un petit sac de tissu et hop, on lave. Ça dure quatre ou cinq lavages. Et ça marche.
JOUR 10
Avec plusieurs membres de ma famille, je participe à un événement sportif. Quelques jours avant, j’ai dû faire des achats dans un magasin de sport. Tout est emballé dans le plastique. Je n’ai pas vraiment d’autres options. Mais la défaite est totale quand je réalise que j’ai oublié mon sac réutilisable. Je ressors du magasin avec l’ennemi numéro un en main : le sac de plastique.
Sur place, au jour J, c’est le festival du plastique. Les poubelles débordent de bouteilles de Gatorade, de couvercles de verres à café, d’emballages de barres énergétiques… Le repas offert aux sportifs est évidemment présenté dans du plastique : assiette, couverts, film alimentaire, contenant de salade de chou…
Échec et mat du zéro plastique aujourd’hui. Au moins, j’avais ma bouteille réutilisable.
JOUR 19
Visite à l’hôpital Sainte-Justine. À la cafétéria, je cherche à éviter les couverts jetables. Or, c’est impossible. Vérification faite, l’hôpital n’offre aucun couvert non jetable. Tout, absolument tout, les assiettes, les ustensiles, les barquettes, les bouteilles, tout est flanqué à la poubelle ou, pour certains articles choisis, au recyclage. La quantité de déchets générés donne le vertige.
Les vrais mordus du zéro déchet cuisinent beaucoup, apportent leur lunch et, surtout, se promènent en permanence avec leurs contenants repliables et refermables qui incluent les ustensiles, qu’ils utilisent dans les restaurants pour éviter les couverts jetables. J’avoue que je ne me suis pas rendue là.
Un soir, la famille réclame un repas commandé au resto. Après une certaine réflexion (il y a du plastique dans les boîtes de poulet, dans les barquettes de sushis, le libanais est livré dans du styromousse), nous avons opté pour une pizza. Livrée dans un carton.
JOUR 30
Que retenir de cette expérience ? Que le virage vers la réduction du plastique est relativement aisé à prendre quand on y va une étape à la fois. Facile, par exemple, d’aller faire l’achat de quelques sacs de tissu ou de pochettes en filet dans un Dollarama, qu’on apporte à l’épicerie pour y placer ses fruits et légumes. Pas vraiment compliqué non plus d’aller faire de temps en temps le plein de produits ménagers ou de soins personnels dans un magasin zéro déchet, en réutilisant systématiquement ses contenants. Traîner un sac réutilisable pliable, une gourde et une paille en bambou dans son sac à main. Apporter son assiette et ses ustensiles au bureau.
Bref, objectif zéro plastique, mais une étape à la fois.
ET LE RECYCLAGE ?
Pourquoi éviter de consommer du plastique, puisqu’on peut le recycler ? D’abord, il faut savoir qu’au Québec, 82 % des plastiques finissent à la poubelle et non dans le bac vert. De plus, le plastique, contrairement au verre, se dégrade dans l’opération recyclage. Le plastique issu d’une bouteille d’eau, par exemple, ne pourra pas être utilisé pour fabriquer une nouvelle bouteille d’eau. Il sera utilisé pour fabriquer un tapis ou une veste de laine polaire. Il faudra donc produire de nouveau du plastique pour fabriquer une autre bouteille d’eau, ce qui consomme du pétrole, l’ingrédient numéro un du plastique. Le terme downcycling résume bien cette lente dégradation de la matière plastique au fil des recyclages. Au vu des dommages que la production et le rejet de matières plastiques causent à l’environnement, l’idéal est donc de réduire à la source la consommation de matière plastique.